Rentrée 100% Covid : y-a-t-il une corrélation entre (dés)ordre public et efficacité économique et sanitaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean Castex Premier ministre
Jean Castex Premier ministre
©PASCAL GUYOT / AFP

Covid-19

Alors que le gouvernement mise tout sur la sécurité sanitaire et la relance de l’économie, l’insécurité, la montée des incivilités, de la violence et des séparatismes s’étalent chaque jour un peu plus dans les journaux. Que nous dit la recherche économique sur la corrélation entre état politique et social d’un pays et potentiel de croissance économique ?

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Atlantico.fr : Face à la défiance politique et l'hyper violence qui se sont installées dans notre pays, est-il possible de mener une politique efficace sur le plan sanitaire ?

Laurent Alexandre : Restons raisonnable ! La violence est historiquement à un niveau très bas en Occident. Steven Pinker a bien montré que la taux d’homicide a chuté de près de 99 % en quelques siècles… Quant à la violence politique, n’idéalisons pas le passé. En 1961 l’OAS multipliait les attentats à Paris et à Alger : 2020 est très calme en comparaison.

Le principal probleme n’est pas la violence ni la défiance… c’est la montée du charlatanisme et du complotisme.

Le professeur Raoult a indiqué être est un admirateur de Paul Feyerabend, philosophe radical des sciences auteur de Contre la méthode, esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance et Adieu la raison ou la tyrannie de la science. Selon cet «anarchiste épistémologique» une intuition peut être aussi « vraie » que le constat expérimental. Ainsi, la méthode Raoult s’inscrit dans une contestation radicale de la méthode scientifique. Pour Feyerabend, il n’existe pas de théorie supérieure à une autre. Les croyances ont le même poids que les faits objectifs et il n’y a pas de règles générales définissant la démarche scientifique. Cette école de pensée affirme que l’astrologie et l’astronomie ont la même valeur. 

L’anarchisme méthodologique de Didier Raoult a rencontré un immense écho dans les classes populaires et chez les complotistes : selon l’IFOP, 80 % des sympathisants Gilets jaunes sont pro-Raoult. L’adhésion à la chloroquine et aux thèses de Raoult est également forte au RN et chez les Mélenchonites, alors qu’elle est minoritaire chez les Verts et chez les Macronistes. On voit donc se dessiner un pôle populiste pro-Raoult, rassemblant le RN et LFI face à un pôle anti-populiste et anti-Raoult dans les bourgeoisies verte et macroniste. L’affaire Raoult accentue les clivages observés lors de la crise des Gilets jaunes. C’est pourquoi le Président Macron est allé à Marseille voir Didier Raoult, tellement adulé par les Gilets jaunes qu’il était capable de les faire redescendre dans la rue. Le président est l’otage de la « Gilet-Jaunisation » de la médecine qui généralise le complotisme, fait paniquer l’opinion, la fait rechercher un sauveur et la rend folle. Une opinion déboussolée a transformé Raoult en gourou. La « Trumpisation » et la « Gilet- Jaunisation de la médecine» ont été foudroyantes: la rationalité, les élites parisiennes, les essais cliniques rigoureux, sont voués aux gémonies par les pro-Raoult. 

Même si les épidémiologistes alertent régulièrement sur le risque de pandémies, personne n’a vu arriver celle-ci et seuls les mythomanes prétendent le contraire. Les fans du professeur Didier Raoult, dans un déni complet, ont oublié qu’il avait dit que le coronavirus serait, grâce à la chloroquine, l’infection respiratoire la plus facile à traiter de notre histoire et qu’elle faisait moins de victimes que les accidents de trottinettes. Que le Professeur Raoult raconte successivement tout et son contraire n’empêche pas les gens de l’adorer. Nous assistons à des phénomènes para-sectaires, des adhésions religieuses, sur lesquelles les arguments de raison n’ont pas de prise, car nous sommes sortis du rationnel. 

La crise de la chloroquine a connu une exacerbation avec les folles déclarations du Professeur Luc Montagnier. Le Prix Nobel 2008 a annoncé que des séquences du virus du SIDA ont été placées volontairement dans le coronavirus. Il a ajouté que les antennes de téléphonie mobile 5G favorisent la diffusion du Covid-19. L’opinion a adhéré à ces thèses même si, dès 2017, Le Figaro titrait sur le naufrage du professeur Luc Montagnier. L’Académie des Sciences et l’Institut Pasteur ont d’ailleurs protesté officiellement contre ses thèses complotistes insensées. 

Un pays en pleine crise de défiance et où règne une insécurité grandissante peut-il être un pays performant économiquement ?

Mathieu Mucherie : De nombreux travaux ont été réalisés par le passé sur la corrélation entre confiance (interpersonnelle, dans les institutions etc… ) et performance économique, notamment par Jean-Philippe Vincent. Les nouvelles théories en investissement sur l’incertitude montrent que l’investissement a une valeur d’option : plus on est dans un cadre institutionnel qui permet d’installer un certain niveau de confiance, plus l’investissement paraît immédiatement judicieux. Il faut un haut niveau de confiance pour se lancer sans remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même.

La confiance se définit par deux aspects essentiels. 

Le premier est d’ordre structurel, fondamental. C’est l’actif le plus précieux pour une société car les gens vont échanger davantage entre eux et diminuer les coups des transactions. Cette confiance fondamentale, en éliminant toute menace juridique entre les différentes parties et en réduisant les intermédiaires est donc favorable à l’activité économique. 

Le second aspect s’apparente au sens keynésien. C’est une confiance temporaire, dans le cycle, conjoncturelle. C’est celle qui est mesurée par les indicateurs de l’INSEE. 

Souvent, les politiques nous parlent de la confiance pour essayer de maximiser la consommation, les recettes fiscales. Leur point de vue est extrêmement keynésien. Il faut que les citoyens consomment tout de suite et que les plans de relance génèrent immédiatement de l’emploi pour que les résultats soient visibles avant les élections présidentielles de 2022. 

La confiance fondamentale est pourtant ce que nous avons de plus précieux : pouvons-nous sortir en toute sécurité ? Nos biens sont-ils protégés ? Sans réponse positive à ces deux questions, il ne peut y avoir de croissance économique réelle dans le pays car il n’y a pas de projet à long terme, pas d’abaissement du taux d’actualisation, pas de structure normale de la monnaie. La crise du coronavirus a malheureusement touché à cette confiance fondamentale en impactant directement nos relations sociales — par exemple, ne plus pouvoir serrer la main de votre voisin. Des rapports distants rajoutent des coûts de transaction. La crise du coronavirus a pu démontrer le coût réel de la crise de confiance et nous pouvons parier que dans 18 mois, au moment de l’élaboration potentielle d’un vaccin, la question se posera à nouveau.

Un lien peut-il être établi entre le déconfinement et la montée de la violence ?

Laurent Alexandre : Certes les jeunes se sont défoulés un peu bruyamment sur les Champs Elysées (et je le réprouve) mais on ne peut pas en tirer des conclusions générales.

Il faudra des mois de recul pour noter une tendance de fond. Il est trop tôt pour se prononcer.

Comment l'État peut-il renforcer son autorité et tenter de faire appliquer efficacement une politique économique fiable à la rentrée ?

Mathieu Mucherie : Il est interessant de parler de l’autorité de l’Etat plutôt que de son pouvoir. « L’autorité ne se décrète pas mais s’exerce » a dit Bruno Retailleau. L’une des premières conditions au retour de cette autorité de l’Etat, c’est sa capacité à aller à la rencontre de ses promesses. Il s’agit de faire preuve de plus de transparence, de vérité. L’Etat français a promis beaucoup, a agi beaucoup de façon parfois confuse dans de nombreux domaines. Il est donc extrêmement difficile pour lui d’être à la hauteur de ses promesses. Emmanuel Macron avait, par exemple, promis de faire disparaitre les SDF des rues… ça n’a pas été le cas. Il faudrait idéalement que les Français attendent moins de l’Etat et que l’Etat apprenne aux Français à davantage se passer de lui. Ce sera une oeuvre de longue haleine.

A cela s’ajoute l’autorité morale de l’Etat : il doit être impartial. Il se comporte aujourd’hui comme une nounou qui aurait des préférences parmi les enfants dont elle a le soin. Il faut s’éloigner des conditions individuelles et dicter des règles valables pour tous, créer de l’égalité par l’indifférenciation. La faille de l’Etat providence, soulevée très tôt par nombre de libéraux, c’est que les citoyens finissent un jour par apprendre à s’en servir pour leurs intérêts personnels et sapent toute l’autorité de l’Etat.

Comment l'État peut-il renforcer son autorité et tenter de faire appliquer efficacement une politique sanitaire fiable à la rentrée ?

Laurent Alexandre : Globalement la population est raisonnable. Bien sur quelques agitateurs crient à la dictature sanitaire mais cela reste marginal. La cohésion sociale est considérée comme excellente en Allamagne, mais il y a eu des manifestations anti confinement et anti masques.

La polémique autour de Didier Raoult est plus profonde que le seul débat sur l’efficacité de la chloroquine. Elle traduit la bataille entre les rationalistes et les promoteurs de la post-vérité scientifique. Un discours irrationnel tenu par le premier sauveur venu peut manipuler l’opinion... 

Au milieu de cette hystérie, l’opinion ne comprend pas toujours la nécessité d’évaluer les médicaments même en période d’urgence. L’essai randomisé en double aveugle versus placebo est pourtant un des grands progrès des cinquante dernières années pour s’assurer de la réelle efficacité des traitements. S’en affranchir, c’est la certitude de tuer des malades. 

Le refus des méthodes internationales d’évaluation des médicaments est dangereux. Les exemples d’anciens traitements inefficaces ou dangereux se comptent par milliers : notre intuition médicale est mauvaise conseillère et nous l’avons admis même si cela a été une terrible blessure narcissique pour ma profession. 

Cette crise a fortement abîmé la crédibilité internationale de la recherche française. « On ne peut passer sous silence la défaite mémorable pour la santé publique et la culture scientifique du grand public qu’aura été la présentation sur les réseaux sociaux, puis dans une revue scientifique de complaisance, d’études cliniques qui, malgré une présentation tapageuse, ne permettent pas de conclure à une efficacité́ ou absence d’efficacité. Ce qui est proprement sidérant, c’est que la préférence donnée au jugement des médias, du public et des politiques sur l’évaluation rigoureuse par les pairs et la nécessité d’une réplication expérimentale, a été accompagnée de la théorisation de la supériorité de l’empirisme sur la méthode expérimentale, de critiques contre les essais randomisés, jugés non éthiques, et finalement de la préférence donnée à l’argument d’autorité par rapport à la médecine fondée sur les preuves », se désole le Professeur Gabriel Steg dans Les Échos. Didier Raoult a inventé la post-médecine : une communication qui refuse tout débat scientifique associée à un profond mépris pour ceux qui ne pensent pas comme lui. C’est un terrible retour en arrière. Mais, il faut sauver la raison : on ne pourra pas piloter la médecine de demain en pleine hystérie obscurantiste ! 

Les organisations professionnelles d’infectiologues se sont publiquement émues le 23 juin 2020 de la dérive des pro-chloroquine comme le Professeur Perronne: «Une crise sanitaire ne justifie pas qu’on dise, ou qu’on fasse, n’importe quoi ! Nos instances, représentant les médecins spécialisés en maladies infectieuses en France, souhaitent dénoncer les affirmations sans fondement qui ont été diffusées sur des chaînes de radio-télévision nationales au cours des derniers jours. Elles sont d’autant plus graves qu’elles sont l’œuvre d’un médecin, chef de service dans un hôpital. Selon ses propos, 25 000 morts liées à la Covid-19 auraient pu être évitées en France si la combinaison hydroxychloro- quine et azithromycine avait été prescrite massivement. 

« En se fondant sur les données solides disponibles à ce jour, on peut affirmer que la prescription de l’hydroxychloroquine aux patients atteints par la Covid-19 n’a pas fait la preuve de son efficacité, les études rigoureuses réalisées par des équipes sans a priori, au niveau international, ont toutes conclu sur l’absence de bénéfice, tandis que le risque de décès lié à un mauvais usage est lui parfaitement avéré. 

« Certains voudraient faire croire que l’intuition est suffisante pour imposer des choix thérapeutiques en médecine. Ce qui aurait dû rester une controverse scientifique est porté sur la scène médiatique au travers de propos infondés scienti- fiquement et d’accusations calomnieuses. Ce retour à l’empirisme représenterait une régression majeure de la médecine moderne, un retour vers la médecine du moyen âge. 

« La situation de crise sanitaire ne doit pas être une excuse pour s’affranchir de toute rigueur dans l’évaluation des traitements et dans les débats. Le public est en droit d’attendre de la part de ses médecins de la sérénité dans la communication des données médicales, sans tromperie ni démagogie. Au nom de l’éthique, du respect des victimes et de leurs familles, ainsi que de tous les professionnels de santé fortement impliqués dans cette pandémie, nous condamnons cette communication sans fondement. » 

C’est le nœud du problème : le pilotage de la pandémie exige de réduire l’influence des complotistes et des charlatans. Les chercheurs doivent monter au créneau alors que dans cette période hystérique, bien des scientifiques ont pris peur et ont renoncé à expliquer le monde. Ils ont déserté l’arène politique et laissé le charlatanisme et le complotisme se déployer. En outre, la pression populaire en faveur de Didier Raoult est tellement forte que les experts rationnels n’osent plus s’exprimer sur le sujet à part quelques praticiens courageux . 

Il faut aussi lutter contre la désinformation sur les réseaux sociaux… La Twitter School of Medicine rend fou. Didier Raoult a réussi grâce à sa présence sur YouTube à contourner tous les filtres académiques traditionnels en s’adressant directement à l’opinion. Alors que la médecine devient ultra-complexe, les choix thérapeutiques sont désormais décidés en fonction de l’Audimat et des likes sur les réseaux sociaux. Éric Cantona, Jean-Marie Bigard, ou bien encore Frigide Barjot, dispensent désormais des cours de virologie dans les médias. La « Twitter School of Medicine et la Facebook University of Science » délivrent instantanément des diplômes de Docteur en virologie. 

Bien sur, il faut dépolitiser la pandémie et lutter contre les vautours idéologiques qui surfent sur les morts du Covid-19 

Les cyniques expliquent que le virus a du bon et indique les changements sociétaux nécessaires. On instrumentalise la souffrance des gens pour prouver que l’on avait raison de condamner les méfaits de l’économie de marché et du progrès. On se félicite de la revanche de la nature sur l’arrogance des hommes. Les écologistes, antimondialistes et souverainistes anti-libéraux nous « l’avaient bien dit » : il faut « sortir des traités européens, produire en France et renoncer aux échanges internationaux ». Nicolas Hulot explique: «Je crois qu’aujourd’hui, nous recevons une sorte d’ultimatum de la nature. Entendons-le pour une fois ! Cet ultimatum dont on se serait bien passé, cette injonction qui nous tombe subitement et cruellement dessus, ne doit pas être vain. Il faut qu’elle ait un sens ». Des religieux américains voient le Covid-19 comme une punition de Dieu contre le mariage gay et l’avortement. Le frère de Tarik Ramadan soutient que le covid-19 est le fruit de nos « turpitudes contre la morale et la charia ». En réalité, les virus ne sont porteurs d’aucun message et il n’y a aucune leçon à tirer de cette épidémie. Les microbes et les virus ont causé des milliards de morts dans l’histoire de l’Humanité et la mortalité par maladies infectieuses n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui dans le monde. 

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