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puits de pétrole prix environnement crise économique covid-19 coronavirus
puits de pétrole prix environnement crise économique covid-19 coronavirus
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Business

Le coronavirus et le confinement quasi-mondial ont mis à genoux toutes les grandes compagnies pétrolières qui accusent des pertes financières considérables. A un moment où elles doivent financer la transition vers les énergies naturelles.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Un paradoxe de plus à l’actif du coronavirus. Alors que la pandémie a transformé les champs de pétrole en champs de ruines et asphyxié l’ensemble du secteur pétrolier, le virus a aussi révélé la nécessité d’accélérer la mutation technologique vers des énergies renouvelables ou moins polluantes. Mais le virus a du coup raréfié les ressources financières nécessaires au changement.

Dun côté, la lutte pour le climat incite le consommateur à abandonner le pétrole, mais de lautre, la baisse des prix rend le pétrole de plus en plus attractif. Cherchez lerreur !

Les cinq plus grandes compagnies pétrolières du monde n‘ont sans doute jamais vécu une situation aussi dégradée financièrement dans leur histoire déjà longue. Mais pendant le seul 2e trimestre de l’année, alors que les 2/3 de la planète se sont arrêtés de circuler et même de travailler, les big four ont enregistré plus de 45 milliards d’euros en pertes. Alors qu’en temps normal, elles accumulaient des profits considérables : la BP, Chevron et Exxon Mobil sont désormais étranglées, mais la Shell et Total ne sont pas dans un meilleur état. Total, par exemple, a perdu plus d’un milliard d’euros en exploitation mais a dû passer pour plus de 8 milliards d’euros en dépréciations d’actifs. Ça signifie que ses actifs de production, ses champs pétroliers acquis a prix d’or, ses équipements de transports ont perdu une grande partie de leur valeur. Ça signifie aussi que l’entreprise anticipe que le prix du pétrole ne remontera pas significativement

Trois raisons expliquent ce désastre.

Dabord, larrêt brutal de la consommation de pétrole pendant la période de confinement a plombé les prix et le business pétrolier : plus d’avion, plus de déplacement, presque plus d’usines. La demande s’est effondrée et par conséquent, l’offre a débordé de partout et les prix sont tombés.

Ensuite, se sont ajoutés les effets de la concurrence violente entre la Russie et lArabie Saoudite qui ont cherché à augmenter leur production et contribué à la baisse des prix alors qu‘ils cherchaient des compléments de recettes.

Les prix sont tombés en dessous des 16 dollars le baril. Aux États Unis qui, ont eux aussi une énorme capacité de production avec notamment les gaz de schiste, on a même vu des prix de pétrole négatifs. Des producteurs noyés sous les stocks étaient prêts à payer leurs clients pour qu’ils les débarrassent de leur pétrole invendu parce qu’invendable dans la conjoncture du moment.  

Depuis le début du mois de juin, les cours du pétrole sont remontés à 40 dollars le baril mais le dollar a beaucoup baissé. Donc l’industrie est loin d’avoir retrouvé ses seuils de rentabilité.

Il y a encore un an ou deux, on avait des prix de pétrole à 70 dollars le baril avec un dollar plus cher qu‘aujourd’hui. Donc on est loin de l’équilibre.

Dautant et cest la troisième raison de ce désastre. Des pans entiers du secteur sont sans doute définitivement dévalorisés parce que la crise a accéléré la mutation énergétique.

Les consommateurs vont sans doute vivre autrement et consommer de moins en moins de pétrole. Les systèmes de production vont généraliser des process plus propres et moins gourmands en énergie fossile. Tous les experts parient sur un développement des énergies alternatives.

Les grandes compagnies s’y préparent : Total est devenu un gros producteur d’électricité d’origine naturelle, éoliennes notamment.

Les pays producteurs sont eux aussi très perturbés. Leurs revenus pétroliers se sont écroulés et ils ne sont pas préparés au changement. Ils ont tellement bien vécu sur la rente pétrolière qu’ils la croyaient perpétuelle. Du coup, les pays du Golfe, les Emirats, l’Arabie Saoudite ont du mal à négocier ce virage. D’où les risques de bouleversements politiques et sociaux.

D’autres pays sont plus avancés, la Russie gros producteur de gaz est un peu à l’abri, le Canada aussi, mais l‘Algérie ne s’est pas beaucoup préparée au changement.

Le seul pays qui ne semble pas prendre la mutation au sérieux, c’est l’Amérique de Trump qui ne croît pas au réchauffement climatique et qui a tout fait pour relancer la production des gaz de schiste. L’Amérique de Trump a donc acquis et conforté son indépendance en énergie pétrolière, d’où la colère de l'Arabie Saoudite, mais à quel prix ? Les acteurs du système savent bien que cette ambition de Trump n’est pas tenable. Trump ne veut pas entendre parler des énergies renouvelables alors que la plupart des industriels savent qu‘elles vont devenir compétitives.

En attendant, pour l’automobiliste occidental qui roule tous les jours, c’est une bonne nouvelle. Il n’a jamais payé l’essence ou le diesel aussi peu cher. Il ne se plaint évidemment pas.

Mais pour celui qui s’inquiète de l’environnement, du réchauffement climatique, c’est une très mauvaise nouvelle. Comment convaincre les agents économiques, les entreprises comme les ménages qu’il faut passer à autre chose au moment où le pétrole ne vaut plus rien ou presque.

Le pétrole pas cher n’aide pas la protection de l‘environnement. Les militants écologistes rêvent de voiture électrique, mais ils n’en achètent pas beaucoup parce que c’est encore compliqué pour voyager. Et c’est aussi très cher. La multiplication des incitations sous forme de primes baisse le prix public des véhicules mais alourdit la facture des impôts.

Paradoxalement, ceux qui sont le plus en avance dans la transition énergétique, ce sont les industriels du pétrole. Pressentant un épuisement des ressources et un changement des modes de consommation, ils ont utilisé les profits du pétrole pour investir dans les énergies alternatives. Les constructeurs automobiles aussi. Sauf qu‘on en est qu‘au début de la mutation.

La chute durable des prix du pétrole risque de tarir leurs financements et ralentir l’évolution.

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