Qui vivra verra
Emmanuel Macron joue gros... mais ne met pas grand chose sur la table du monde d'après
Emmanuel Macron a défendu sa gestion de la crise lors d’une allocution télévisée diffusée dimanche soir. Anita Hausser décrypte le discours du président de la République et évoque les enjeux pour la fin du quinquennat du chef de l'Etat.
Anita Hausser
Anita Hausser, journaliste, est éditorialiste à Atlantico, et offre à ses lecteurs un décryptage des coulisses de la politique française et internationale. Elle a notamment publié Sarkozy, itinéraire d'une ambition (Editions l'Archipel, 2003). Elle a également réalisé les documentaires Femme députée, un homme comme les autres ? (2014) et Bruno Le Maire, l'Affranchi (2015).
Sur un mode plus énergique que lyrique, Emmanuel Macron a acté ce qu'il appelle "la fin du premier acte" de la crise sanitaire provoquée par le Coronavirus et esquissé quelques pistes de ce que sera le Monde d'après ce tsunami. Concrètement cela se traduit par la réouverture immédiate des restaurants et des bars en Ile de France , les visites "qui devront être autorisées" aux résidents des EHPAD dramatiquement esseulés depuis la crise, et la reprise obligatoire des cours les élèves des écoles et des collèges, à partir du 22 juin...Les crises s'accumulant, Emmanuel Macron était aussi très attendu sur celle qui secoue les rangs de la police. Il a, sans ambiguité, apporté son soutien aux forces de l'ordre qui "méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation". Tout comme il a réprouvé ces manifestations dites "antiracistes" qui dérivent en démonstrations communautaristes, jusqu'au déboulonnement de statues de personnages de l'Histoire de France , récusant une "réécriture haineuse ou fausse du passé", et déclarant que " la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue".
En cloturant ce premier acte, Emmanuel Macron s'avance sur le chemin de la "réinvention", la sienne, -souvent promise, et celle du modèle économique et social de demain. C'est la clef de sa survie politique. Le voilà au pied du mur. Dans l'immédiat il entend tirer bénéfice du déconfinement dont il a pris la responsabilité, -il n'a pas manqué de le rappeler ,et dont il espère que les Français lui sauront gré . Cependant, avant d'esquisser " la reconstruction", il a voulu souligner que nous " pouvons être fiers de ce qui a été fait et de notre pays", même s'il admet des " failles et des fragilités". Pas sûr que cet appel à la fierté collective, assorti à l'hommage à " ceux qui ont travaillé pendant la crise", soit suffisant pour exonérer les gouvernants et la haute administration des failles reconnues (-sur le mode faute avouée est à moitié pardonnée), lorsque les commissions d'enquête seront à l' oeuvre. Une course de vitesse va s'engager entre ceux qui voudront faire le procès de la gestion du Coronavirus et l'exécutif soutenu par sa majorité qui tentera de faire oublier cette séquence en se projetant dans le futur tout en rappelant tout ce qui a été fait en France pendant la crise : soutien à l'emploi avec le chômage partiel, les plans automobile et aéronautique, tourisme, hôtellerie, les prêts aux entreprises .En tout 500 milliards ont été engagés. Pour le monde d'après Emmanuel Macron promet un plan de relance et de "reconstruction écologique qui permettra la création des emplois de demain," un investissement massif pour l’instruction, la formation, et les emplois de notre jeunesse" une relance " solidaire et sociale" qui prendra soin des plus faibles . Le monde d'après selon Emmanuel Macron sera aussi celui de d'une "plus grande indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole de la France"... dans un cadre européen. L'indépendance dans l'interdépendance : le souverainisme d'Emmanuel Macron qui aime se référer à Jean-Pierre Chevènement, n'est pas nationaliste au sens propre du terme, il est européen . Car c'est de l'Europe que viendront les fonds pour financer tous ces projets censés créer un monde meilleur et les emplois de demain...Le chef de l'Etat assure que les impôts ne vont pas augmenter mais que "nous devrons travailler et produire davantage pour ne pas dépendre des autres , car notre pays va connaître des faillites et des plans sociaux multiples en raison de l’arrêt de l’économie mondiale". Ce qui laisse penser que beau "monde d'après" ne sera pas forcément celui de demain, mais plutot celui d'après-demain.
Enfin, Emmanuel Macron semble avoir tiré une leçon de la crise sanitaire puisqu'il promet plus de liberté à tous ceux qui ont su faire preuve de créativité et prendre leurs responsabilités ("hôpitaux, maires, universités, entrepreneurs"), en contournant la bureaucratie étatique et le carcan de l'administration tatillonne en gérant notamment le manque de masques , en multipliant les lits pour les malades. Pour ces acteurs cela signifie l'ouverture d'une nouvelle page de la décentralisation mais cela implique surtout une profonde réorganisation de l'échelon national qui a toujours, au fil des ans, repris le dessus sur l'échelon local.
L'ambition d'Emmanuel Macron est vaste, ses moyens sont limités. Il se donne quelques semaines, jusqu'au lendemain des municipales de la fin juin pour donner forme à ses projets. D'ici là les spéculations politiques vont continuer sur l'avenir du gouvernement et singulièrement celui d'Edouard Philippe, et la reprise économique tant souhaitée ne tombera pas du ciel dans un climat social apaisé.
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