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Signer des tribunes ne protège pas l’environnement. La croissance et l’innovation, elles, le peuvent
©MARTIN BUREAU / AFP

Diagnostic

Le chemin vers un environnement protégé demandera plus d’efforts que de signer des tribunes.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

Voir la bio »

On l’a bien compris, coronavirus ou pas, rien ne pourra se faire sans affirmer d’abord un respect pour l’environnement, et Gouvernement, politiques et patrons rivalisent de propos de tribunes pour exprimer leur engagement solennel à œuvrer dans la bonne direction. 

Cependant on n’a rarement entendu quelqu’un prôner le contraire, à savoir se désintéresser du milieu naturel, vouloir exterminer les espèces vivantes, détruire les ressources, ne pas s’intéresser à la santé des humains, leur faire manger n’importe quoi…bref ces professions de foi presque quotidiennes alors que nous vivons confinés et que nous nous interrogeons sur le sort qui nous est réservé sous huit jours, quinze jours, le mois, avec une visibilité indécise du mois de juillet peut paraitre étrange : que cherche-t-on à nous dire ? Il est vrai que l’inaction a tendance à pousser beaucoup de responsables au bavardage, mais de là à affirmer aussi souvent une détermination sans faille, cela finit par devenir suspect. Dans une communication désormais rompue aux éléments de langage on peut observer des convergences sur des concepts novateurs, » durable » on connaissait, mais avec développement, maintenant ce mot est lié à l’alimentation, mais surtout les stratégies, les trajectoires, les objectifs seront désormais « inclusives et résilientes ». 

Que tous ces pétitionnaires se rassurent, il n’y a en France qu’une infime minorité qui pourrait plaider pour une mauvaise qualité de l’air, pour une mauvaise santé pour tous, pour une vie en ville insupportable, pour la disparition des forets et des prairies, pour la disparition de tous les monuments et paysages, et la discipline de tout notre pays lorsqu’il s’est agi d’obéir aux consignes de confinement en est le témoignage compte tenu du chaos des ordres et contre ordres au moment de l’action. Lors de la reprise d’activité nous n’allons pas oublier la beauté de notre pays et la nécessité de la préserver, et il me semble donc qu’ils peuvent arrêter leurs suppliques  et incantations aux citoyens  sur ce thème.

Par contre là où il peut y avoir débat et donc intérêt à la fois à donner son avis, à discuter, et pour finir à décider c’est sur le chemin qui mène à un rebond d’abord, puis à l’obtention des moyens pour arriver à une harmonie améliorée de la présence de l’homme dans la nature. Homo sapiens utilise le monde dans lequel il est né, il le transforme à sa guise et sous-estime les effets négatifs de son action :une prise de conscience collective de plus de 7 milliards d’individus aux cultures et niveaux de vie d’une grande variété semble un objectif inatteignable. C’est la raison pour laquelle ceux qui ont les responsabilités les plus lourdes des Etats ou des Entreprises clés se réunissent pour porter des diagnostics et envisager des solutions. G7, G20, Davos …et autres ONU, organes associés comme les COP, FMI, Banque Mondiale. Compte tenu de la diversité des situations, il n’y a accord ni sur le diagnostic, ni encore plus sur les solutions. 

Le coronavirus et la peur que la pandémie a suscité change incontestablement les choses dans chaque pays comme dans les rapports des pays entre eux et pour ceux qui avaient les idées claires sur les diagnostics comme sur les solutions, la nécessité d’une remise en question est génératrice d’angoisse, il leur convient donc d’exprimer haut et fort qu’il faut que tout change pour que rien ne change, c’est-à-dire que quel que soit ce que nous vivons aujourd’hui le catéchisme est toujours le même, il nous suffit de l’appliquer « benoitement ». Mais si la population de tous les pays développés est bien d’accord, et beaucoup d’autres avec eux, sur la nécessité de bâtir une politique  environnementale, la gifle économique prise depuis deux mois modifie la prise de conscience, tous ceux qui réfléchissaient sur une possibilité d’une décroissance modérée ou brutale observent les effets dévastateurs de deux mois de confinement et font marche arrière, il faut croitre, industrialiser et innover : finie la civilisation des loisirs et du revenu universel… et dans notre pays terminée la confiance dans la politique de santé exemplaire. On ne peut pas affirmer que la remise en question débouchera sur des changements profonds, mais il y a une interrogation générale sur nos modes de fonctionnement dont les Gilets Jaunes étaient les prémisses et dont le coronavirus peut être le détonateur. 

On garde donc en mémoire que ce que l’on va faire désormais pour « rebondir » après cette crise inédite ne doit pas oublier nos égarements environnementaux, mais que sans croissance, sans industrie et sans innovation on ne peut aller nulle part. La transformation de près de 11 millions de personnes (avec la moitié de l’effectif global du secteur privé) en fonctionnaires intermittents et temporaires payés en chômage partiel permettait de conserver le potentiel humain nécessaire au rebond « en état de marche » ,mais préparait à la phase suivante, celle d’un travail collectif à la reconstruction de l’économie du pays. 

Le diagnostic qui serait celui d’une crise dont les racines nationales seraient une politique de l’environnement insuffisante est porté par une base militante très insistante. Une analyse dans tous les secteurs industriels avec les délocalisations et les abandons de productions des vingt dernières années permettent assez simplement de rejeter cette hypothèse. Les signataires des manifestes actuels partageraient en privé cette opinion. Avons-nous le temps et les moyens d’en débattre ? En ce qui concerne l’industrie le redémarrage va se faire à partir de l’appareil physique – matériels et compétences humaines- existant et la question ne se pose même pas !   

La divergence porte clairement sur les solutions et il est amusant de recueillir des signatures sur un même texte de responsables parfaitement opposés à un grand nombre ders orientations choisies dans le catéchisme de ces dernières années. 

L’électricité d’origine nucléaire est certainement un point de désaccords, comme celui de la généralisation des fermes solaires et éoliennes. Nous possédons une industrie nucléaire, nous n’avons pas l’équivalent pour justifier l’utilisation chez nous du soleil et du vent. On ne bâtit pas une industrie avec des mots, pas plus qu’avec de l’argent, on le fait avec des hommes et des femmes qui y croient et dont les compétences permettent de prendre un coup d’avance sur les investissements qui, eux vont demander des financements mais dont on envisage la rentabilité. Il ne s’agit pas , je l’espère, sous la signature d’un échantillon aussi prestigieux de l’élite libérale nationale, de construire une industrie soviétique pour sauver la patrie ! L’utilisation optimale de nos moyens matériels et de nos compétences passe par l’utilisation de notre potentiel nucléaire ! 

De même notre secteur automobile a bâti son exceptionnelle expansion sur le véhicule thermique, imaginer qu’en Juillet ou en Décembre nous soyons à même d’inonder le monde de véhicules électriques est impossible , nos investissements et nos compétences sont dans le diesel et l’essence. Nous n’avons pas l’industrie nationale des batteries électriques qui représentent 40% du prix du véhicule ni le réseau d’alimentation préparé pour une généralisation de l’utilisation de ces véhicules dont l’utilisation en ville pourrait diminuer la pollution des mobilités .Mais déjà certains hésitent et voient dans l’hydrogène LA solution à la mobilité individuelle et d’autres qui rêvaient de véhicules électriques estiment qu’il faut n’ouvrir les axes majeurs des villes qu’au vélo et à la trottinette. 

Pas plus que pour la production d’énergie électrique et l’automobile , personne ne peut décider de ce que sera l’avenir pour l’industrie , le lyrisme ne peut pas remplacer les réalités de la production.

L’industrie ne fonctionne avec du fléchage –« ça c’est bien, c’est prometteur, ça c’est sans avenir » – personne ne peut décider, ne peut orienter un industriel qui croit en son étoile et à son produit. Et s’il n’y a pas d’industriel, les mots et l’argent n’ont jamais suffi à  bâtir une industrie prospère. Tout le discours des professionnels  de la défense de l’environnement par l’acceptation de « trajectoires d’un futur inclusif et résilient »,  sur ce qui est permis ou sur ce qui est défendu n’est que de la communication . Mais ces discours incantatoires peuvent aussi conduire à des interdictions et donc à encore plus de délocalisations et déménagements , à des découragements d’innovateurs bien décidés à réussir. Les normes et règlementations nous ont déjà fait beaucoup de mal, regardons aujourd’hui le s manuels du déconfinement dans tous les secteurs, des usines à gaz bureaucratiques indigestes et contreproductives, infantilisantes. 

Il faut la croissance et l’innovation et donc une industrie innovante, réactive, prospère, flexible, responsable  et prospère. Il suffit pour cela de faire confiance aux industriels qui ont parfaitement intégré dans leurs têtes et dans leur action  la nécessité impérieuse de protection de l’environnement, de développent durable et de justice sociale, mais aussi les dangers de la trop grande fragmentation de la chaine de valeurs qui en cas de coups durs, corona virus ou autres peut s’avérer mortifère. 

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