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Déconfinement : l’indice de la peur au plus haut chez les Français. A qui la faute ? Au virus, aux dirigeants politiques ou aux chefs d’entreprise ?
©JACQUES WITT / POOL / AFP

Atlantico Business

Edouard Philippe le sait : les Français sont angoissés, ce qui rend les procédures de déconfinement très compliquées à appliquer. Et à réussir. Alors quels sont les facteurs anxiogènes ? Le virus ou les dirigeants qui ont beaucoup de mal à gérer la crise et à rassurer.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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En arrivant à l’Assemblée nationale, Edouard Philippe sait que l’indice Vix des Français serait sans doute au plus haut s’il existait. Si on pouvait, au niveau de la population française, mesurer un indice de la peur comme il existe au niveau des marchés financiers, on s’apercevrait que les Français ont rarement été aussi inquiets, désabusés sur la situation du pays et sur son avenir.

Les financiers connaissent bien ce type d’indice qui a explosé comme un tsunami sur la planète avec l’arrivée de cette pandémie. Les indices Vix mesurent la peur et la peur, dit le dictionnaire, c’est « un sentiment d'angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d'un danger, réel ou supposé, d'une menace ». Plus l’indice est élevé, plus les investisseurs sont paniqués et désorientés. Et du coup, leur panique aggrave la situation et s’avère auto- réalisatrice. L’indice de la peur n’a jamais été aussi élevé depuis un siècle.

En sociologie politique, le même phénomène existe et les chercheurs s’appuient sur les différents sondages et enquêtes d’opinion pour le mesurer.

Actuellement, l’opinion publique française est angoissée dans la perspective du déconfinement décidé pour le 11 mai. Un peu comme des condamnés de longue peine qui appréhendent la liberté parce qu’elle sera trop difficile à accepter. La vraie question est de savoir pourquoi. Et quels sont précisément les facteurs anxiogènes.

A priori, si la situation française est gravissime, l‘est-elle plus que dans la plupart des grands pays touchés par la pandémie ? C’est à la fin de cette crise qu’il faudra établir les bilans et les comparer. Mais en dehors de l’Allemagne où le nombre de décès est beaucoup plus faible qu’ailleurs, avec une capacité de rebond économique plus solide et plus rapide, la France est plutôt mieux placée, de l’Europe du sud ou les pays anglo-saxons comme la Grande Bretagne et les Etats-Unis.

Pour ce qui est des Ehpad, la France a payé un lourd tribut puisque 49% des décès du coronavirus ont été des résidents des Ehpad. Lourd mais beaucoup moins qu’en Norvège ou 64% des décès par le coronavirus étaient résidents, moins qu’au Canada 57% ou en Irlande 55% de tous ceux qui ont trouvé la mort étaient dans les résidences médicalisées pour personnes âgées.

Sur le dossier économique, les efforts de soutien aux entreprises et aux salariés ont représenté en France près de 30% du PIB si on compte les financements immédiats, les prêts à long terme, les aides sociales et les reports de charges. C’est plus que partout ailleurs sauf en Allemagne qui a consenti un effort colossal de 60 % de son PIB (lequel est 30 % plus lourds de le PIB français).

Ajoutons à cela que l’Etat français a tout fait pour assurer aux salariés un maintien des revenus.  Ce qui n’est pas le cas en Grande Bretagne et aux Etats-Unis où le nombre de morts est très conséquent et où le nombre de chômeurs se compte par millions (25 millions de salariés qui ont perdu leur emploi au cours des 15 derniers jours).

Globalement, la majorité des Français pourrait se rassurer d’être nés dans l’Hexagone où le service de santé a tenu le choc pour absorber la vague de malades arrivant à l’hôpital, et surtout de disposer d’un système de protection sociale qui est hyper efficace en termes de moyens disponibles.

Maintenant comment se fait-il qu’avec ce type de structure, les Français ne soient pas rassurés ? Envahi par « ce sentiment d'angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d'un danger, réel ou supposé, d'une menace ».

Alors, le virus est toujours objectivement une menace puisqu‘il n’a pas disparu, qu‘il n’existe pas de traitement, ni de vaccin, mais les chiffres fournis par les infectiologues qui savent tout de l’évolution probable de l’épidémie, nous indiquent que le virus a tendance à reculer, freiné par les mesures prises partout en Europe. Les Français ont bien compris qu'en s’enfermant chez eux, ils se mettaient à l’abri du virus. Mais ils ont aussi compris que les mécanismes de neutralisation ou de destruction n’étaient pas à l’œuvre.

Par conséquent, la sortie libre prévue pour le 11 mai paraît dangereuse et pleine des risques de retrouver le virus partout où on va aller. Dans le métro ou à l’école, dans les magasins ou au bureau. D’où la tendance des parents à ne pas vouloir mettre leurs enfants à l‘école, des salariés de rester chez eux en télétravail, ou carrément au chômage partiel ou technique.

Le confinement nous a enfermé. Le déconfinement nous paralyse. On a grogné contre le confinement, on proteste maintenant contre le déconfinement.

La raison en est très simple, les Français n’ont pas confiance dans les conditions du dé- confinement et dans les dirigeants chargés de les gérer.

Ils n’ont pas confiance dans les conditions du déconfinement parce qu’ils savent qu’elles ne seront pas prêtes.

- Les masques (mais quels masques) ne seront pas suffisants. Le Vietnam où il y a eu très peu de décès, la Chine, la Corée du sud, l’Italie, le Japon et l’Inde ont des masques... La France en est encore à se demander si les masques sont véritablement utiles.

- Les tests indispensables pour séparer ceux qui sont malades de ceux qui ne le sont pas, ne sont pas disponibles en nombre.

- La capacité d’accueil dans les hôpitaux a été restaurée mais on s’inquiète d’une deuxième vague ;

- Les entreprises sont dans le plus grand flou quant à ce qu’elles devront faire pour protéger leurs salariés, comme les écoles.

- les transports de commun ne sont évidemment pas formatés pour assurer la protection des voyageurs.

Ajoutons à cela que la majorité des Français a compris qu’on allait déverser des tombereaux d’argent pour amortir les chocs. Mais cette même majorité n’a pas compris d’où venait l’argent parce qu’on ne leur a pas expliqué. Les Français ne sont pas fous, ils savent qu’il faudra payer. Qui ? quand ? comment ? Visiblement pour les dirigeants politiques, ça n’est pas le sujet.

Le plus grave, c’est que les Français doutent de la capacité des dirigeants à assumer la situation et finalement à les rassurer. Il faut dire que l’exécutif a souvent hésité et s’est contredit. Au début avec arrogance, plus tard avec un peu plus humilité. Pour se protéger, l’exécutif s’est beaucoup appuyé sur les scientifiques. Il a eu raison sauf que ça n’aurait pas dû l’exonérer de prendre ses responsabilités. Et Emmanuel Macron, d’abord chef de guerre, ensuite chef d’état-major a beaucoup tergiversé et sans doute un peu menti sur les capacités de l’administration française à faire face. Personne n’est coupable dans ces disfonctionnements, mais tout le monde est responsable. Toute la classe politique qui s’est partagée le pouvoir depuis 15 ans. Et qui n’a pas prévu ou préparé. Tout le monde. Sauf que la règle du jeu en démocratie, c’est de demander des comptes au dernier venu.  

Tout cela a créé des attentes, suscité des questions auxquelles personne ne pouvait répondre avec en plus ces compteurs qui égrènent chaque soir à la télévision le nombre effarant de victimes. Commentés d’une voix monocorde et sinistre du porteur de mauvaises nouvelles, le professeur Salomon.

La vocation du confinement a été très mal expliquée, du coup, la procédure de déconfinement n’est pas comprise et admise ou acceptée.  

Du côté des dirigeants économiques, on n’a pas été plus habiles et compétents. Entre ceux qui se sont résignés et qui envisagent de fermer la boutique et ceux qui sont partis à la chasse aux subventions et aux prêts garantis par l’Etat, il aurait fallu écouter tous ceux qui ont pris la mesure du changement. Le rôle des syndicats patronaux est peut-être de pleurer à la porte des ministères mais le talent des chefs d’entreprise est de rassurer leurs salariés, leurs clients et leurs actionnaires. Dans le secret de leurs ateliers, beaucoup ont recalculé leur business plan, refait l’équilibre de leur modèle économique, et fixé de nouveaux objectifs, imaginé de nouveaux produits et services et n’ont ni pleuré, ni crié. Ils ne sont peut-être pas majoritaires, mais eux ne sont pas trop inquiets. La crise est une opportunité pour imposer le changement.
Leur seule inquiétude est d’évoluer dans un écosystème profondément imprégné par tous ces facteurs anxiogènes.
Le modèle socio-économique français est hyper-efficace pour amortir les effets d’un choc. En 2008 comme en 2020... Mais ce modèle l’est beaucoup moins pour initier le rebond. Pourquoi ? Parce que le modèle français vend de l’assistance de façon chronique alors qu'aurait besoin qu’il vende de la résilience. Le Doliprane, ça soulage mais ça ne soigne pas.

Sans faire de comparaison, le modèle allemand offre plus de moyens pour rebondir que pour se protéger et ses dirigeants ne gèrent pas, ils dirigent c’est ce qu’a toujours fait Angela Merkel. Et pourtant, les chiffres clefs sont globalement les mêmes des deux côtés du Rhin. La différence est ailleurs. L ‘Allemagne est un Etat fédéral, l’Allemagne a délégué des pouvoirs aux Landers y compris la politique de santé au plus près des populations. Paris a continué de gérer la France de Paris, alors que structurellement on avait tous les moyens de déléguer aux présidents de régions, de conseils généraux ou aux maires.

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