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2012, cette campagne présidentielle qui a beaucoup plus fait bouger les lignes qu’il n’y paraît
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De l'immigration au protectionnisme, les candidats de droite comme de gauche de cette présidentielle ont tenu sur certains thèmes des positions que leurs prédécesseurs n'auraient osé suivre.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Atlantico : On a souvent dit que cette campagne était ennuyeuse, avec peu d'idées, mais au final n’a-t-elle pas fait bouger les lignes politiques plus qu’il n'y paraît ?

Eddy Fougier : L’hypothèse selon laquelle la campagne était ennuyeuse se discute car elle n’a pas été vécue comme telle par les électeurs. Le taux de participation du premier tour a été bien plus élevé que ce à quoi on s’attendait et les taux d’audience des émissions télévisées, notamment celle de France 2 « Des paroles et des actes », ont été plutôt bons.

Au-delà de cela, vous avez raison : les lignes politiques ont bougé lors de cette campagne. Par exemple, sur la question de l’immigration, de François Hollande jusqu’à Nicolas Dupont-Aignan il y a eu clairement un glissement à droite des positions. L’importance de ce thème était auparavant minimisée à gauche. Or, il a été abordé par François Hollande qui a ainsi insisté lors du débat d’entre deux tours sur la nécessité de lutter contre l’immigration illégale : il n’a ainsi pas hésité à s’adresser de façon plus ou moins ouverte directement aux électeurs du Front National. Il a eu à cœur de rallier certains électeurs qui votaient traditionnellement à gauche et avaient choisi Marine Le Pen. Sa posture plutôt ferme démentait l’image de laxisme de la gauche sur ces questions (je pense notamment à ses promesses d’embauche de fonctionnaires de police ou à ses positions sur l’affaire Merah comparables à celles du Président de la République).

Finalement, la posture de François Hollande sur cette question de l’immigration ressemble plus à celle d’un Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il était ministre de l’Intérieur qu’à celle qu’il y a pu avoir avec Lionel Jospin qui minimisait les questions de sécurité. Nous sommes donc entrés dans une autre période pour la gauche sur ces questions de société.

Une enquête a été menée récemment par la Fondation Jean-Jaurès. Ses résultats étaient intéressants, ils montraient qu’il existait deux approches à gauche : celle, assez traditionnelle, qui considère, dans une logique assez communautariste et dans le respect de la culture des autres, qu’il fallait accueillir « toute la misère du monde », pour le dire comme Michel Rocard à une époque. Et l’autre catégorie plus ferme par rapport à l’immigration qui met l’accent sur l’intégration des immigrés et sur la laïcité. Je ne sais pas si François Hollande s’en est servi pour fonder son approche, mais l’influence de Manuel Valls sur cette question est palpable. La formation de son gouvernement montrera s’il confirme dans cette direction.

Quand Nicolas Sarkozy dans le débat de l’entre-deux tours a différencié l’immigration subsaharienne et maghrébine des autres immigrations, s’agissait-il là aussi de faire bouger les lignes ? 

Là on se situe dans la transgression. Ce n’est pas nouveau. Nicolas Sarkozy en a fait sa tactique politique : le déclic de sa campagne 2007 – la création d’un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration – est une transgression. Et cela a été encore plus net, avec un parler encore plus ferme qu’auparavant, en mettant un nom et un visage sur cette immigration.

Il s’agit d’aborder des sujets que la majorité silencieuse est censée penser dans ses discussions domestiques, en mettant des mots dessus. Le symbole par excellence c’est dans son clip de campagne, ce panneau – décrié par François Bayrou – avec écrit douane en français et en arabe.

D’un point de vue économique, l’indépendance de la BCE a été remise en cause lors de cette campagne… Là encore n'est-ce pas une nouveauté ?

Sur les rapports à l’économie, la mondialisation ou la construction européenne, il y a eu durant la campagne une sorte de réminiscence du débat de 2005 autour de la Constitution Européenne, à droite comme à gauche.

Jean-Luc Mélenchon a voulu faire renaître la dynamique du non de gauche en dénonçant le libéralisme de l’Union Européenne, et a appelé à une réappropriation de la finance par le politique. Nicolas Sarkozy, lui, a fait des appels du pied au non de droite sur la question de Schengen et des frontières. En 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy avaient déjà tenté d’intégrer le non de droite et de gauche, mais en 2012, la tendance a été plus nette. Et cela s’est concentré chez François Hollande sur la question de la stabilité et de la croissance.

Plus largement, l’ensemble de la campagne a montré qu’il y avait presqu’un « révisionnisme » des thèmes qui auparavant faisaient l’objet de consensus : que ce soit sur la question de la construction européenne où Nicolas Sarkozy et François Hollande souhaitaient revenir sur des traités signés antérieurement (Schengen ou le traité de mars dernier), sur les problématiques de libre-échange distillés par Arnaud Montebourg avec la dé-mondialisation, ou encore les mesures  contre les délocalisations défendues par Nicolas Sarkozy, voire « l’acheter français » de François Bayrou. On a aussi vu François Hollande vouloir introduire des normes sociales ou environnementales dans les échanges commerciaux, ce qui n’est rien d’autre qu’une forme de protectionnisme.

Ainsi je trouve que le consensus des "mondialistes" qui existait auparavant - pour reprendre l'expression de Marine Le Pen - a pris pas mal de plomb dans l’aile durant cette campagne y compris d’ailleurs avec la position de François Bayrou censé représenter la famille politique la plus pro-européenne.

A gauche, on semble ainsi retrouver le même débat qu’en 1983 avec les adeptes de « l’Autre Politique » : ses partisans prônaient une sortie du système monétaire européen et voulaient mener une politique seuls contre tous, tandis que Bérégovoy ou Jacques Delors voulaient continuer une politique de désinflation compétitive en acceptant les contraintes européennes. Aujourd'hui, c'est Mélenchon qui incarne cette volonté de mettre en place une "autre politique". La question est de savoir ce que va, et surtout ce que peut, faire François Hollande dans ce débat, alors qu'il a toujours été proche de Jacques Delors. 

Soulignons qu’en 2005, François Hollande était Premier Secrétaire du Parti Socialiste, qu'il avait appelé à voter oui, et que finalement l’échec de la Constitution Européenne l’avait dissuadé de se présenter à l’élection présidentielle.

Nicolas Sarkozy s’est prononcé en faveur d’une dose de proportionnelle alors qu’il y était opposé auparavant. Là aussi c’est un changement notable ?

Tout le monde a tendance à prôner la proportionnelle avant les élections, après les choses sont plus compliquées. Chacun pour différentes raisons pourraient vouloir davantage de proportionnelle. A gauche pour permettre que les écologistes aient plus de députés, à l’UMP pour lancer un message en direction du Front national et une grande partie de la population trouverait plus logique que l’Assemblée nationale soit plus représentative des grands courants politiques.

En fait, cette campagne était une campagne de la peur, non pas au sens politicien du terme, mais la peur de la crise, de ce qui se passe dans le monde. D’ailleurs, une enquête a prouvé que 62% des Français craignaient que la France ne connaisse la même situation que la Grèce  ou l’Espagne. Il y a une peur évidente qui est celle du déclin collectif face à l’émergence des pays émergents qui est dévoilée par l’angoisse qui règne autour des questions de délocalisations, de la désindustrialisation, de la baisse du niveau de vie. Il y a aussi la crainte des Français de dégringoler de l’échelle sociale et de se retrouver dans la rue.

Tous ces facteurs montrent donc des craintes omniprésentes et un besoin de se rassurer en réaffirmant des valeurs de base. C'est Jean-Luc Mélenchon qui fait revivre la "fonction tribunitienne" du Parti communiste, François Hollande qui reprend les postures de François Mitterrand ou encore Nicolas Sarkozy qui impose le thème des valeurs.Tout cela baigne dans l’illusion, dans un premier temps, que l’on peut changer les choses (c’est peut-être ce qu’exprime François Hollande en voulant changer le traité européen qui a été signé) et ensuite que l’on peut s’extraire de la mondialisation et du Monde, avec le Front de gauche ou le Front national.

C’est cette peur qui a fait bouger les lignes politiques. J’en veux pour preuve que tous les gouvernements européens sortants sont battus quelques soit leur couleur politique, et que progressent tous les mouvements populistes en Europe comme on a pu le voir récemment en Grèce.  Face à un monde qui veut nous échapper on se replie sur les valeurs.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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