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Piéger le net pour donner une leçon à ses élèves... L’Education nationale est-elle une autiste du web ?
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Canular 2.0

Afin de prouver à ses élèves qu'ils utilisent sans discernement Internet, un professeur de Français les a piégés en disséminant sur le web de fausses informations sur le thème d'un devoir qu'il leur avait donné à faire à la maison. Pédagogique, vraiment ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jeudi dernier, un enseignant en Lettres, Loys Bonot, a déposé sur Rue 89 un article stupéfiant où il se vante d’avoir disséminé sur Internet, notamment sur Wikipédia, une série de fausses informations. L’objectif ? Piéger ses élèves de lycée dans un devoir à peu près infaisable qu’il leur avait demandé de rendre. Il s’est ainsi aperçu que la majorité de ses élèves utilisait Internet sans discernement et répétait sans esprit critique les informations qu’ils copiaient-collaient sur la Toile. Et l’enseignant de conclure que les élèves ne sont pas mûrs pour utiliser Internet comme objet de savoir.

Cet article, qui a attiré 300 000 visites et suscité de nombreuses réactions, laisse vraiment perplexe quand on y lit : «Avec cette expérience pédagogique j'ai voulu démontrer aux élèves que les professeurs peuvent parfois maîtriser les nouvelles technologies aussi bien qu'eux, voire mieux qu'eux.» Merveilleuse «expérience pédagogique» que celle où les enseignants disséminent des mensonges pour prouver à leurs élèves qu’ils sont meilleurs qu’eux, et pour ensuite avoir le plaisir sadique de les coller quand ils répètent les âneries qu’on leur a apprises.

Loys Bonot a cette conclusion qui en dit long sur l’obscurantisme en vigueur chez un grand nombre d’enseignants français : «Pour ma part je ne crois pas du tout à une moralisation possible du numérique à l'école. Et je défends ce paradoxe : on ne profite vraiment du numérique que quand on a formé son esprit sans lui.»

En une phrase très ramassée, il vient de délivrer le meilleur diagnostic sur la faillite de l’Education nationale à laquelle nous assistons. Alors que nos enfants naissent et grandissent dans un univers numérique, l’enjeu de certains, l’enjeu de beaucoup d’enseignants est de maintenir l’école à l’écart de cet univers, au nom d’une prétendue «morale». Pour vivre dans un monde numérique, il ne faut pas que l’école nous y prépare.

Je propose à M. Bonot un exercice de mise en situation pour souligner l’effrayante bêtise de son comportement, totalement contraire aux principes même de l’école républicaine. Il y a cinq cents ans, lorsque Gutenberg a inventé l’imprimerie, aurait-il eu l’idée d’éditer un livre truffé de mensonges pour prouver que, en dehors des incunables copiés par les moines, tout accès à la culture était dangereux ? Aurait-il cherché à montrer, par une manœuvre vicieuse comme celle qu’il a utilisée sur Internet, que les masses ne peuvent avoir accès au savoir par le livre, car elles ne sont pas assez mûres pour le digérer ? Aurait-il soutenu que, pour être un esprit cultivé, il faut avoir été formé sans lire de livre imprimé, mais seulement en pratiquant les exemplaires cachés dans les bibliothèques monastiques ?

Ces exemples ne sont pas des caricatures. Pendant des siècles, le clergé catholique s’est opposé à la lecture directe de la Bible par les fidèles, sous prétexte que ceux-ci n’étaient pas capables de l’interpréter correctement. Il est vrai que le clergé avait alors le monopole de l’enseignement, et entendait bien conserver ce monopole à son profit. Autoriser les fidèles à apprendre en dehors de lui, à apprendre librement, c’était perdre son pouvoir et son utilité.

Depuis l’invention des hussards noirs de la République, le monopole de l’enseignement est confié à des fonctionnaires dont les modèles qu’incarne M. Bonot ne sont que des copies décadentes des originaux de 1880. De l’ambition républicaine, celle d’un savoir universel, ils ont tout oublié. Du réflexe clérical de confiscation du savoir, de stigmatisation de ce qui n’est pas validé par les manuels scolaires qu’ils rédigent en toute opacité, de méfiance vis-à-vis de la plèbe profane, ils ont tout repris.

Pense-t-on raisonnablement que l’école républicaine peut survivre en discréditant Internet ? Le seul fait qu’un enseignant fanfaronne publiquement en le prétendant fait froid dans le dos.

Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu’Internet est un alpha et un oméga. Internet est un nouveau véhicule de savoir. Le principal aujourd’hui pour les générations qui sont en âge scolaire. On y trouve de tout. Des âneries comme des vérités. L’enjeu d’une école adaptée à son époque est d’apprendre aux élèves à se servir de ce formidable outil de démocratisation du savoir. La responsabilité des enseignants est d’apprendre à leurs élèves à y distinguer le vrai du faux.

Pas à le rejeter en bloc comme source d’un savoir vulgaire, voire dangereux.

A moins que M. Bonot ne nous ait livré un fake, destiné à caricaturer les enseignants, avec le but caché de promouvoir une véritable libéralisation de l’école. Car, soyons clairs, je ne suis absolument pas décidé à confier mes enfants à des brontosaures cléricaux et pervers. J’exige, pour mes enfants, le droit à des enseignants qui partagent mes valeurs d’humanisme et de tolérance, dont l’objectif soit d’épanouir l’élève et non de le piéger pour lui montrer son ignorance.

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