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De Saint-Louis à Keynes en passant par Napoléon III, la longue et riche histoire de la fameuse trêve des confiseurs
©Reuters

L'édito de Jean-Marc Sylvestre

La trêve des confiseurs va durer une semaine entre Noël et le Nouvel an. Cette tradition remonte au Moyen-Âge. Napoléon III voulait en faire une arme politique. La IIIème République l'a rendue obligatoire en 1874. La Vème a inventé la prime de Noël.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La trêve des confiseurs avait au départ une fonction religieuse, puis politique. Aujourd’hui, son impact est essentiellement économique.

La trêve des confiseurs s’étale pendant cette periode de l’année entre Noël et le nouvel an où tout s’arrête, sauf les boulangers, pâtissiers qui vendent des gâteaux et des douceurs. En réalité, la trêve des confiseurs n’est plus règlementée.

En fait, beaucoup d’activités non marchandes tournent au ralenti, le gouvernement, l’administration, la bourse, le parlement (même si la session budgétaire par exemple dure jusqu’au 31 décembre, et que si les discussions s’éternisent, on bloque la pendule pour rester dans les clous de la constitution). L’hôpital aussi tourne au ralenti. Normalement seul l’accueil des malades en urgence, et le traitement des patients hospitalisés sont assurés. Jusqu‘à une époque assez récente, on n ‘accouchait pas pendant la trêve de Noel sauf cas de force majeure. Aujourd’hui que les médecins ne peuvent plus déclencher les accouchements pour convenance personnelle, les naissances sont plus aléatoires.

Les seules activités qui tournent à plein régime sont les activités commerciales et festives, celles qui délivrent du divertissement, puis, par extensions celle du tourisme, du voyage, du spectacle, de la gastronomie etc.… bref tout ce qui concourt à la célébration de la fête.

La trêve des confiseurs est donc une période de consommation intense puisque on estime que pendant les fêtes, un pays comme la France consomme 20% à 30% de la consommation globale annuelle.

C’est donc devenu un outil de soutien à l’économie incontournable. Il suffit de voir le chiffre d’affaires des grands magasins, et de tous ces marchés de Noël qui fleurissent en France à cette époque.

L’histoire mouvementée de la trêve des confiseurs remonte au Moyen âge vers l'an 1000 : Louis IX, le futur Saint-Louis, va imposer ce qui existe déjà dans les faits et qu on appelle la trêve de dieu. Le clergé qui participe avec la noblesse a la gouvernance du roi veut que les seigneurs cessent de se faire la guerre pendant les fêtes spirituelles et les semaines qui les précèdent (Avant, Noël, Carême, Pâques…). Et si les seigneurs refusent de baisser les armes, ils risquent d’être excommuniés.

Le jour où on honore le seigneur, on ne doit pas prendre les armes, la trêve préconise donc que toute violence soit bannie. Dans les faits, elle sera peu respectée : au point que se sont les paysans qui obligent les seigneurs à rester calme.

Pour le roi, cette initiative est un outil politique de première importance. Cette trêve, lui sert à neutraliser ses vassaux. Donc à les affaiblir. Donc à le renforcer lui, le souverain.

Cette pratique ne sera jamais abandonnée, mais elle ne sera pas systématisée de si tôt.  

Il faudra attendre le 19e siècle , la révolution industrielle , le second empire et l’imagination débridée de Napoléon III pour ressortir cette tradition ... vers la fin de son règne (1870) alors que l’essentiel des réformes économiques ont été mises en œuvre , que la France a rattrapé son retard sur l ‘Angleterre , que les infrastructures sont en plein développement , que Paris a changé d’urbanisme , qu’on a même déjà imaginé un système de sécurité sociale, et de retraite pour adoucir la condition ouvrière, la situation politique devient de plus en plus difficile à gérer .

Le parlement de pacotille rue dans les brancards, les groupes de pressions démocrates le trainent dans la boue, en particulier Victor Hugo qui inspire de son exil, un club de journalistes et d’agitateurs qui ont juré d’avoir la peau de celui qu’ils appellent toujours Napoléon le petit. Ce qui fait qu’un jour, Napoléon propose dans les années 1860 de fixer des jours dans l’année où tous les protagonistes de la vie politique cesseraient tout débat, toute critique, toute injure, toute bagarre. Napoléon voulait reprendre la trêve de Dieu qui avait réussi à Saint Louis mais à des fins purement laïcs. N‘empêche que la periode la plus facile pour organiser une telle trêve devait être celle des fêtes de fin d’année.

Napoléon a du mal à se faire entendre et à faire accepter sa proposition. Il est de plus en plus contesté.

C’est à ce moment là que, sans doute mal conseillé, Napoléon III est parti pour reconquérir son prestige, dans une guerre calamiteuse avec la Prusse. Napoléon III a été un formidable bâtisseur, mais un piètre diplomate. Il s’entendait à merveille avec les ingénieurs et les architectes, mais ne comprenait pas les militaires. C’était tout le contraire de son oncle dont la notoriété historique l’a toujours encombré.

Cette guerre avec la Prusse va le conduire à sa perte. La défaite de Sedan, l’ obligera à abandonner le pouvoir, et à s’exiler à Londres où, ironie de l histoire, il y croisera son ennemi mortel, Victor Hugo qui rentre lui à Paris.

Le problème c’est qu‘a Paris, la situation politique est devenue ingérable. Le retour de Victor Hugo au parlement n’a rien changé contrairement à ce qu’il avait espéré. Le génial écrivain est un piètre politique.

La guerre franco-allemande de 1870-71, puis la Commune de Paris, etre mars, a et mai 1871 ont affaibli la France . Paris, ne s’en relève pas. Au plan politique, c’est « la chienlit » aurait dit le général de gaulle. Il n‘existe pas de majorité pour gouverner. Les républicains, les bonapartistes, les monarchistes et les révolutionnaires, débattent et se battent pour conquérir le pouvoir. Malgré le désordre et la violence, les hommes politiques décident, fin 1874, de mettre leurs querelles et leurs débats en sommeil, invoquant pour prétexte que "le peuple doit pouvoir se concentrer sur les fêtes de fin d'année".  L assemblée nationale va voter à une forte majorité, le caractère obligatoire de cette sorte d’armistice politique. En clair ils reprennent le projet de Napoléon III.  

Mais la fête de fin d’année n ‘est qu’un prétexte, les hommes politiques se donnaient bonne conscience en veillant à ce que le bon peuple puisse non pas profiter d’une tranquillité d’esprit et puisse faite la fête., mais il s’agissait déjà à l’époque de faire en sorte que le peuple, puisse consommer plus. Il fallait donner un coup de pouce au commerce. Les commerces parisiens fermaient les uns après les autres.

Le duc de Broglie, homme politique à l’époque, et membre de l’assemblée reconnaitra le caractère économique de la mesure dans ses mémoires : "On convint de laisser écouler le mois de décembre 1874, pour ne pas troubler par nos débats la reprise d'affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précède toujours le jour de l'an. On rit un peu de cet armistice, les mauvais plaisants l'appelèrent la trêve des confiseurs".

La vérité historique est là. Derrière les joutes politiques qui ne menaient nulle part, la France faisait faillite. Il fallait donc créer un climat propice au commerce.

Ceux qui en ont le plus profité, sont les fabricants et commerçants de confiseries. Avec le recul, on pensait  que l’effet de cette mesure ne pouvait être que marginal par rapport à la crise économique de l’époque. Mais la trêve des confiseurs qui durait pratiquement un mois , a eu des le début , un réel impact sur les ventes, elle a apporté un ballon d’oxygène à des commerçants menacés. L épargne thésaurisée est sortie des caves et des placards et l argent s’est remis à circuler. Exactement ce qu’avait imaginé Napoléon III, qui a d’ailleurs conseillé aux anglais la même chose lors de son exil à Londres.

Plus tard , quelques économistes expliqueront que , les hommes politiques de la IIIe République, avait expérimenté là une méthode qui serait théorisée en 1936 par John Maynard Keynes : la relance de l’activité économique par la consommation.

Bernard Marris dans son anti-manuel d’économie en avait fait une allusion. Raymond Barre, l’auteur du manuel d’économie qui a sans doute eu le plus de succès en France depuis 30 ans, avait lui aussi donné en exemple la trêve des confiseurs.

Avec une différence notoire. C’est que Bernard Marris et Raymond Barre qui étaient deux keynésiens convaincus avaient précisé l’un et l’autre que la relance par la consommation nécessitait que la demande soit solvable. Ce que Napoléon III n’avait pas oublié. « Pour que le peuple puisse acheter des confiseries, il fallait qu’il en ait les moyens », avait-il dit.

Plus tard, beaucoup plus tard, les politiques de droite comme de gauche, sous la 4e et sous la 5e république, ont tout fait pour solvabiliser la demande de fin d’année. Ils ont incité les entreprises à verser un 13e mois, ou des primes de fin d’année. Et pour les moins favorisés, on a inventé la prime de Noel, versée à plus de 2,5 millions de français allocataires du RSA pour la plupart ? Cette prime de Noël représente 152,45 euros pour une personne seule, 274 ,41 euros pour un couple avec un enfant et 442, 10 euros pour un couple avec 4 enfants.

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