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Recep Tayyip Erdogan a parlé d'un "génocide algérien".
Recep Tayyip Erdogan a parlé d'un "génocide algérien".
©Reuters

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Après la pénalisation de la négation des génocides et en particulier du génocide arménien, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a réagi très vertement : rappel de son ambassadeur, suspension d’exercices militaires avec la France. Jusqu’à l’accusation d’un prétendu « génocide algérien ». Peut-on craindre d’autres ripostes de la part de la Turquie ?

Alican Tayla

Alican Tayla

Alican Tayla est chercheur à l’IRIS, spécialiste de la Turquie et des problématiques identitaires. Il contribue également à l’Observatoire de la Turquie et de son environnement géopolitique.

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Atlantico : Après la pénalisation de la négation des génocides et en particulier du génocide arménien, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a réagi très vertement : rappel de son ambassadeur, suspension d’exercices militaires avec la France ; jusqu’à l’accusation d’un prétendu « génocide algérien ». Comment jugez-vous les derniers événements ? Peut-on craindre d’autres ripostes de la part de la Turquie ?

Alican Tayla : La France et la Turquie ont des relations étroites malgré les tensions qui, rappelons-le, ne sont pas nées avec cette loi. Les relations sont tendues entre les deux pays depuis 2007 quand Nicolas Sarkozy a déclaré en arrivant à l’Elysée qu’il était contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Plus récemment, la visite d’Alain Juppé, en tant que ministre des Affaires étrangères, a un peu amélioré les choses. Les deux pays ont rehaussé leur partenariat stratégique notamment au Moyen-Orient…

On peut craindre qu’avec cette loi, on observe une certaine distance. Mais il est trop tôt pour connaître l’intensité de cette crise diplomatique. On peut craindre, par exemple, qu’il n’y ait pas de déclaration commune sur la Syrie, par exemple.

La réaction très vive du Premier ministre turc ne vise-t-elle pas plus son opinion publique nationale que la France ?

On peut observer un parallèle entre les deux dirigeants qui savent l’un et l’autre que leurs opinions publiques respectives sont derrière eux. Nicolas Sarkozy s’appuie sur l’opinion publique française qu’il sait plutôt opposée à l’entrée de la Turquie en Europe – sans pour autant qu’il y ait un sentiment anti-Turc en France. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette décision a été prise à quelques mois des élections en France. C’est pareil du côté turc.

La perception de la France par la majorité de l’opinion publique en Turquie n’est pas très positive - sentiment largement dû à l’opposition de la France à l’adhésion de la Turquie en Europe… Et des deux côtés, les faveurs de l’opinion comptent énormément pour Nicolas Sarkozy et pour Recep Tayyip Erdogan…

Peut-on lire qu’Erdogan, célébré par certains pays méditerranéens durant le Printemps arabe, attaque la France, en l’accusant d’Islamophobie, afin de tenter de fédérer diplomatiquement un monde musulman derrière la Turquie ?

Le problème est extrêmement délicat. J’éviterais de dire qu’il tente de "fédérer l’Islam". Je pense que ça n’est certainement pas le cas. Je crois que depuis 2009 et l’arrivée Ahmet Davutoglu (le ministre des Affaires étrangères de la république turque), la Turquie désire passer d’une diplomatie passive - durant laquelle la Turquie était automatiquement liée aux positions européennes ou américaines - à une diplomatie active, avec plus d’initiatives – et cela avait commencé dès avant le Printemps arabe.

La Turquie avait, souvenons-nous, déjà supprimé des visas avec certains pays voisins. On notait un certain nombre d’initiatives –qui d’ailleurs ne concernaient pas que les pays musulmans-, avec, par exemple, un accord énergétique avec la Russie et une tentative avec l’Iran ou avec le Brésil. La Turquie veut se créer un rôle de puissance régionale – et il se trouve, en effet que sa région d’influence orientale est composée essentiellement de pays musulmans… mais de là d’une volonté de « fédérer l’islam » n’est pas cohérent vis-à-vis du gouvernement turc, qui sait parfaitement que son alliance avec l’Otan et les Etats-Unis est primordial sur tout le reste.


On ôte aussi que le fait que la Turquie multiplie les initiatives vers le monde musulman n’est selon moi, en aucune sorte, une façon de tourner le dos à l’Union européenne. Nous sommes en effet dans une période où les négociations dans le cadre du processus d’adhésion sont au point mort de facto car les pays européens –dont notamment la France-  bloquent ce processus. Mais la Turquie n’a absolument pas cessé d’affirmer sa volonté d’adhérer à l'Union européenne. C’est sa « politique d’Etat », bien au-delà des partis. On observe en Turquie que les avis favorables à l’adhésion ne constituent plus la majorité et cela est dû au fait de cette désillusion… L’opinion turque s’étonne de cette politique de « deux poids, deux mesures », pratiquée en particulier par l’Allemagne et la France qui n’hésitent pas à dire que même si la Turquie remplissait tous les critères en faisant les réformes nécessaires : nous nous opposerions tout de même à son adhésion.

Certes, les négociations entre l’UE et la Turquie étaient au point mort. Mais des initiatives de deux côtés auraient pu relancer le dialogue et faire évoluer les opinions publiques. Cette loi ne va pas améliorer les choses…

L’évocation d’un génocide supposé en Algérie serait-il un appel du pied au gouvernement d'Abdelaziz Bouteflika ? La Turquie et l'Algérie ont-elles des relations privilégiées ?

Les relations stratégiques entre la Turquie et l’Algérie ne sont pas particulièrement privilégiées ou étroites. La raison pour laquelle la Turquie parle d’Algérie n’est qu’un réflexe assez politique. On peut trouver cela puéril. Mais c’est un réflexe assez courant pour dire à la France qu’avant de parler du passé turque, elle doit regarder le sien. Quant à savoir s’il s’agit vraiment de génocide… La Turquie explique juste qu’il peut y avoir un débat historique sur les deux sujets.

Dans quelques jours, Chypre gouvernera l’Union, pensez-vous que cela pourra affecter la diplomatie turque ?

Le problème chypriote reste l'un des problèmes majeurs diplomatiques qui ne concerne pas que la Turquie. C’est un problème européen, qui concerne la Grèce en particulier et surtout les Chypriotes.

Le problème réside dans le fait qu’on ne distingue pas de solutions... La dernière proposition est celle de Kofi Annan qui a organisé un référendum sous l’égide de l’Onu pour décider d’une éventuelle union entre les deux côtés de l’île. Le côté turc avait voté « Oui ». C’est le côté chypriote qui avait rejeté l’union. Je ne dis pas que la Turquie n’a pas sa responsabilité. Mais on ne peut que constater la force de l’Union européenne pour résoudre ce problème. Et a fortiori car Chypre est un pays européen qui va avoir la présidence de l’Union européenne. Or, combien de plans et de propositions l’Europe a-t-elle proposé ? La réponse est malheureusement : zéro. Et ce n’est absolument pas une question qui pourrait être gérée uniquement par l’un ou l’autre des pays qui s’opposent. Il faut un encadrement international pour traiter cette question. Mais il est tout de même inquiétant que l’union européenne elle-même, ne prenne pas plus d’initiative sur cette question.

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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