Islamisme : ce que cache le refus obstiné de François Hollande de prononcer le mot <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande devant le Congrès.
François Hollande devant le Congrès.
©Reuters

Nommer l’ennemi

Lors de son discours de lundi 16 novembre devant l'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès, François Hollande a soigneusement évité d'employer les termes "islam" et "islamisme", pour finalement ne parler que de l'Etat islamique et de sécurité intérieure.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico :  Quels risques le président de la République prend-il à surinvestir la menace extérieure, et à passer sous silence l'autre aspect du conflit, qui se trouve en France même ?

Vincent Tournier : Cette omission n’invite pas à l’optimisme, pour autant que ce terme puisse avoir un sens dans le contexte actuel. On a effectivement le sentiment de rejouer un scénario déjà rodé,qui écarte les questions qui fâchent ou qui gênent. C’est déjà ce qui s’est passé après les attaques contre Charlie Hebdo et l’hypercasher : on pouvait penser que, en raison du traumatisme, les problèmes de fond allaient commencer à être abordés, mais l’espoir est vite retombé.Les tueries du 13 novembre, notre « vendredi sanglant », pouvaient laisser augurer qu’un changement radical allait se produire, mais le discours de François Hollande est une douche froide. On continue de vivre avecla même illusion, à savoir que la grande majorité des musulmans n’a rien à voir avec le fondamentalisme, que le problème ne concerne qu’une poignée de fous furieux qui dénaturent le message de l’islam, bref que le problème se résume à la lutte anti-terroriste.

Cette manière d’aborder les choses, que l’on peut soupçonner d’électoralisme,risque de conduire à des désillusions et à de nouveaux drames.A la décharge du gouvernement, il faut dire aussi que le sujet est devenu très complexe parce que l’islam de France dépend en grande de pays étrangers avec lesquels la France doit négocier, y compris dans le but de lutter contre le terrorisme.

Il n’en reste pas moins qu’il est désormais nécessaire de rompre avec la fiction selon laquelle le radicalisme violent serait une création ex-nihilo, une sorte de génération spontanée surgissant de nulle part. La réalité est plus complexe. Evidemment, beaucoup de musulmans sont parfaitement intégrés, à commencer par ceux qui servent sous les drapeaux français, et qui sont même plus patriotes que beaucoup de non-musulmans. Mais entre ces musulmans intégrés et les djihadistes violents, il existe toute une gamme de situations très différentes. Les radicaux prospèrent sur un terreau favorable ; ils sont le produit d’une certaine culture, d’une certaine ambiance qui donne un sens à leur engagement, voire les pousse à l’action. Donc, il serait plus juste de voir les choses sous la forme de cercles concentriques : au milieu, les islamistes les plus dangereux, puis les militants radicaux, puis ceux qui les soutiennent, puis encore ceux qui partagent des valeurs communes sans approuver les méthodes, et ainsi de suite jusqu’aux musulmans les plus intégrés et les plus laïcs. Le problème est que la dynamique qui traverseactuellement le monde musulman ne joue pas en faveur d’un détachement du religieux, bien au contraire, ce qui tend à nourrir les processus de radicalisation.

Or, c’est là qu’est toutle nerf du problème. Il s’agit de casser cette dynamique de radicalisation, dont la manifestation la plus visible est la diffusion des normes les plus rigides de l’islam. En somme, il faut lutter à la fois contre l’islamisme et contre l’islamisation, ce qui suppose notamment de reprendre toute la question de la laïcité. Le chantier est ici immense. Mais le fait que le président Hollande préfère esquiver le sujet n’est pas de bon augure. Cela dit, d’autres pays ont également un long travail qui les attend, par exemple la Belgique, devenue le foyer du djihadisme européen.

Dans quelle mesure le choix des mots effectué par François Hollande est-il influencé par la vision selon laquelle l'islam serait forcément associé à l'immigration, la pauvreté et l'oppression ? Quels effets la peur de l'amalgame a-t-elle sur la rhétorique présidentielle ?

Clarifions un point : il est parfaitement normalque les pouvoirs publics ne cherchent pas à attiser les haines. Que se passerait-il s’ils faisaient l’inverse, si le gouvernement s’en prenait explicitement à l’islam et aux musulmans ? Les risques de violence deviendraientélevés, ce que nul ne peut souhaiter. Il n’est donc pas aberrant de chercher à désamorcer les vindictes populaires, surtout si le but de l’Etat islamique est justement, comme le rappelle Gille Kepel, de rendre les musulmans tellement insupportables aux yeux des Européens qu’ils vont finir par subir des mesures de rétorsions, lesquellesvont à leur tourles pousser à se radicaliser.

Ceci étant dit, un tel risque de radicalisation généralisé est-il réel ? A tout le moins, il est contradictoire de répéter à tout bout de champ que la grande majorité des musulmans n’a rien à voir avec le fanatisme et le terrorisme, et de redouter dans le même temps que ceux-cibasculent dans le djihadisme.Soit les musulmans sont bien ancrés dans la démocratie, soit ils ne sont pas, et j’aurais tendance à penser que la grande majorité l’est. En outre, pour l’heure, les actes antimusulmans restent très limités, quoiqu’en disent les associations militantes comme le Collectif contre l’islamophobie (CCIF), lesquellescherchent à exciter les musulmans,ce qui devrait d’ailleurs conduire les pouvoirs publics à s’interroger sur les objectifs que poursuivent de telles associations.

Donc, s’il est justifié de ne pas chercher à échauffer les esprits, rien n’oblige pour autant à nier ou minorer tous les problèmes. Car cette attitude nihiliste a le don d’énerver l’opinion publique, laquelle a besoin d’entendre un discours qui donne du sens à ce qu’elle vit. Or, l’opinionpeut avoir du mal à comprendre pourquoi les pouvoirs publics sont si indulgents dans le cas de l’islam alors qu’ils ont pu être très sévères dans d’autres circonstances. Je pense par exemple à la question des sectes, qui a jadis été abordée sans aucun ménagement par l’Etat.Certes, ce n’était pas forcément une bonne stratégie. Maisau moins, l’opinion n’avait pas le sentiment que ses dirigeants avaient renoncé à traiter les problèmes, ce qui est moins le cas aujourd’hui. Je tempérerai néanmoins en soulignant que Manuel Valls, ainsi que son gouvernement, ne sont pas exactement sur la même ligne que le président de la République. On a pu constater que le premier ministre et le ministre de l’Intérieur sont plus axés sur les problèmes intérieurs. Cette répartition des rôles est assez logique. Il faut donc s’attendre, après les annonces du président, à voir arriver d’autres annonces dans les semaines qui viennent, plus centrées sur la question de l’islam en général, voire de la laïcité. Je reste toutefois sceptique sur la portée de ces mesures car la gauche actuelle ne semble pas franchement disposée à entendre un certain discours, au moins chez les intellectuels. Pour les électeurs, c’est moins sûr, surtout après le Vendredi sanglant.

Avant les attentats du 13 novembre, Hollande compensait l'impopularité des réformes de Macron auprès de son électorat de gauche en promouvant par ailleurs les réformes sociétales de Taubira. Jouant désormais à fond la carte sécuritaire, qui est traditionnellement associée à la droite, espère-t-il ménager son électorat de gauche en ne nommant pas l'islam et l'islamisme ? Dans quelle mesure peut-on parler d'habileté politique de la part du président de la République ?

Il faut quand même souligner une nouveauté importante : c’est que François Hollande est tenu de se situer sur une ligne très sécuritaire, donc de se déporter sur sa droite, renvoyant aux oubliettes la ligne Taubira, à tel point d’ailleurs que se pose la question d’un remaniement ministériel : Christiane Taubiraa-t-elle encore sa place dans un gouvernement qui va manifestement tourner la page des mesures anti-répression.

Pour en revenir à François Hollande, si l’on se place sur un plan strictement politique,la question est de savoir si la situation actuelle lui est défavorable.Autrement dit, le président est-il dans une position plus confortable qu’avant les attentats ? Si on est cynique (mais après tout la politique n’est pas un univers de petits anges), on peut répondre que oui. Le président a clairement repris la main, il se met en avant dans la posture qui lui est le plus favorable, à savoir celui de chef d’un pays attaqué qui entend se défendre ; il redevient le chef des armées, il ordonne des bombardements,bref il se retrouve de facto hors de la mêlée politicienne. Donc, tout ceci crée un réflexe légitimiste autour de sa personne, ce qui est sans doute l’espoir que caressent certaines personnes au PS.

En même temps, il faut temporiser car il y a aussi des éléments de fragilité. D’abord les critiques contre le président et sa politique n’ont pas disparu. Ensuite et surtout, les attaques du 13 novembre laissent ouverte une question : la crise islamiste a-t-elle été bien gérée ? Depuis janvier dernier, tout est-il mis en œuvre pour éviter les scénarios catastrophes ?Certes, plusieurs attaques ont été déjouées, maisdes interrogations subsistent. Pourquoi, par exemple,le gouvernement a-t-il attendu les attaques du 13 novembre pour créer des postes de policiers et de gendarmes, alors que tout le monde disait que les effectifs étaient notoirement insuffisants ? De même, le gouvernement annonce qu’il va fermer des sites extrémistes, mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait plus tôt ? Le ménage des imams intégristes a-t-ilvaimentété fait ? Comment se fait-il que, lors du dernier salon musulman de Pontoise, celui qui a été interrompu par les Femen, des imams radicaux se soient retrouvés à l’honneur sans que les autorités ne disent quoi que ce soit, alors qu’elles sont pourtant très sourcilleuses sur la question de l’égalité hommes/femmes ? Pourquoi la France n’a-t-elle pas donné suite aux avertissements de la Turquie qui, à deux reprises, a voulu alerter sur la dangerosité d’un des kamikazes du Bataclan ? Le Bataclan lui-même ne devait-il pas être mieux surveillé dès lors que le nom de cette salle circulait dans les milieux radicalisés et anti-sionistes, et qu’un djhadiste arrêté en août avait le projet d’attaquer une salle de concert ?Enfin, quelle politique compte mettre en œuvre le gouvernement sur les milliers d’individus qui sont repérés et fichés, ainsi que sur les imams qui font l’objet d’une décision d’expulsion mais qui restent sur le territoire ?Bref, les questions sont nombreuses, et si les journalistes font leur travail, elles devraient mettre en difficulté les autorités, ce qui serait une première étape pour aller dans le sens d’un rétablissement de la sécurité publique.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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