Les Français sont loin d’avoir troqué l’auto pour les transports en commun : le mauvais pari du Grenelle pour lutter contre la pollution<!-- --> | Atlantico.fr
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74% des personnes qui se rendent au travail utilisaient une voiture en 2010.
74% des personnes qui se rendent au travail utilisaient une voiture en 2010.
©Reuters/Charles Platiau

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D'après une étude de la Dares, 74% des personnes qui se rendent au travail utilisaient une voiture en 2010. Parallèlement, l'usage des transports en commun a baissé de 15% à 11% entre 1998 et 2010. Explications.

Yves Crozet

Yves Crozet

Yves Crozet est Professeur à l’Université de Lyon depuis 1992. Aujourd’hui en poste à Sciences Po Lyon (IEP Lyon). Il est membre du Laboratoire d’économie des Transports (LET) qu’il a dirigé de 1997 à 2007. 

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Atlantico : Malgré tous les efforts de promotion des transports en commun, une étude de la Dares montre que 74% des personnes qui se rendent au travail utilisent la voiture en 2010. Pourquoi ?

Yves Crozet : Ce résultat n’est pas une surprise, il résulte de deux facteurs structurels.

Le premier est que l’automobile, devenue grâce à sa souplesse le mode de transport dominant dans les années 1960-70, a encore des marges de progression, car pour beaucoup de déplacements, elle demeure le mode le plus performant.Et son coût a baissé avec la baisse tendancielle du prix des voitures, et récemment celle du pétrole.

Cela s’explique aussi par un effet de structure lié à la localisation des ménages et des entreprises. Les transports publics, et marginalement les deux-roues, voient leur part de marché augmenter dans les centres villes. Mais comme de plus en plus d’habitants et de firmes sont dans les périphéries, le trafic automobile progresse car les transports collectifs sont peu pertinents dans ces zones.

>>> Lire aussi - Couple : les longs trajets en voiture augmentent les risques de séparation

Ainsi, en région parisienne, près de 1,3 million de déplacements se font chaque jour entre la seconde couronne et Paris intra-muros, les deux tiers en transports collectifs. Mais dans le même temps, il y a plus de 8 millions de déplacements quotidiens au sein de la seconde couronne, dont près de 90% en automobile. Les progrès des transports en commun dans la première catégorie sont plus que compensés par la hausse des volumes de trafic dans la seconde. Ce phénomène se manifeste dans toutes les agglomérations françaises. Ainsi, Nantes, Strasbourg, Lyon ou Bordeaux  ont su réduire fortement la circulation automobile en centre-ville. Les transports en commun y rencontrent un grand succès. Mais le trafic automobile autour de ces agglomérations continue sa progression et la congestion routière y est parfois importante.

Comment prendre en compte cette données dans la lutte contre la pollution ?

Pour réduire la pollution liée aux transports de voyageurs, le Grenelle de l’environnement (2008-2009) avait opté pour un report modal de l’automobile vers les transports en commun (tramways, TGV, bus à haut niveau de service…). Mais les succès locaux indéniables obtenus par ces politiques n’ont eu que des impacts modestes sur les émissions puisque cela représente une faible part de la mobilité. Sans remettre en cause le principe du report modal là où il est pertinent (massification des flux), on se doit de rappeler que la réduction de la pollution passe d’abord par des efforts du mode de transport dominant, à savoir l’automobile. Ce que nous rappelle les données de la Dares, c’est que la transition écologique et énergétique, qui a remplacé le Grenelle de l’environnement, ne se fera pas principalement par le report modal. Elle passera surtout par deux voies simples.

La première est la réduction des émissions unitaires des véhicules. Suite au récent scandale du "Volkswagengate", les autorités publiques ont une superbe fenêtre d’opportunité pour accroître la pression sur les constructeurs, le feront-ils ? Il est aussi possible, grâce à un Bonus-Malus renforcé, d’accélérer le renouvellement du parc en incitant les acheteurs à réduire le poids et la puissance de leurs voitures.

La seconde est une amélioration du taux de remplissage des voitures, qui s’amorce avec le développement du covoiturage. Il se développe actuellement pour les moyennes et longues distances. Il faut maintenant, en organisant des parkings et lieux de rencontre entre conducteurs et passagers, encourager le covoiturage dynamique, c’est-à-dire de courte distance, en milieu urbain.

Entre 1998 et 2010, le recours aux transports en commun a baissé (de 15% à 11%), de même que celui de la marche à pied (de 17 à 7%). Le trajet dominile-travail a augmenté de 10 minutes depuis 1998. Quelles en sont les raisons ?

Ces deux éléments, l’évolution apparemment surprenante des parts modales d’une part et l’accroissement du temps passé dans les transports d’autre part ne sont pas étonnants. Ils résultent d’un mécanisme bien connu que l’on appelle "effet rebond" de la mobilité. Il se manifeste chaque fois que les services de transport offrent des opportunités nouvelles de déplacement. Ils n’ont rien à voir avec la crise ou la culture française. Ils ont un lien indirect avec l’urbanisation qui accroît les opportunités accessibles.

Ainsi, le développement remarquable de l’offre de transports en commun dans les grandes villes françaises a surtout induit un trafic nouveau, notamment en réduisant le recours à la marche à pied. Il a repoussé vers les périphéries le trafic automobile, il ne l’a pas fait diminuer à l’échelle de l’aire urbaine. C’est la raison pour lesquelles les mêmes villes qui ont tout fait pour chasser la voiture du centre-ville, celles citées ci-dessus, sont aussi celles qui ont des projets d’élargissement ou de création d’autoroutes de contournement.

La hausse du temps passé dans les transports ne vient pas essentiellement de la congestion comme on le croit souvent, mais du fait que la vitesse moyenne offerte par l’automobile en périphérie incite à allonger le trajet domicile-travail pour, par exemple, trouver un logement plus grand ou avoir un jardin. Le développement de l’offre TER ou le dézonage du Pass Navigo à Paris ont le même effet. Ils rendent moins coûteux les déplacements. La demande est donc plus forte et ce que l’on gagne en argent, on le réinvestit en temps de déplacement.  Contrairement à une idée reçue, un voyageur n’a pas pour objectif premier de réduire son temps de transport, mais de maximiser le ratio utilité apportée par le déplacement sur coût du déplacement (en temps et en argent). Quand le numérateur augmente, du fait d’opportunités nouvelles accessibles, le voyageur peut accepter une hausse de son coût de déplacement.

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