Des Twin Towers à Charlie : pourquoi ce retour de l'idée du Califat sera difficile à déraciner en l’absence d’une alternative idéologique crédible<!-- --> | Atlantico.fr
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Janvier 2015. Le monde entier assiste avec sidération aux attentats de Paris.
Janvier 2015. Le monde entier assiste avec sidération aux attentats de Paris.
©Reuters

Bonnes feuilles

Janvier 2015. Le monde entier assiste avec sidération aux attentats de Paris. Près de quinze ans après le 11 septembre, les modes d'action du terrorisme et ses acteurs ont beaucoup évolué et la radicalisation gagne les jeunes Occidentaux. Qui sont les nouveaux commanditaires ? Quelles sont leurs stratégies de recrutement ? Quelles solutions s'offrent à nous pour lutter contre cette radicalisation ? Extrait de "Terreur - la nouvelle ère, des Twin Towers à Charlie", de Mathieu Guidère, publié aux éditions Autrement (2/2).

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Le seul moment où l’idéologie jihadiste a failli vaciller sur ses fondements est intervenu au cours du printemps arabe. Soudain, le doute s’est installé dans les esprits et dans les rangs des jihadistes : le jihad est-il vraiment le meilleur moyen de changer les régimes et le monde ? Comment expliquer que des foules pacifiques aient fait tomber des régimes que le jihad avait à peine affectés au cours de la décennie précédente ? Ne convient-il pas plutôt de s’engager dans l’arène politique ? Entre autres questions lancinantes posées aux leaders et aux idéologues. On le sait, les rangs des organisations jihadistes se sont clairsemés à l’issue de ce moment de doute, car beaucoup de leurs jeunes combattants ont quitté la clandestinité pour se lancer dans la bataille politique, en espérant conquérir le pouvoir par les urnes. Ils l’ont fait en faisant appel à une idée forte et nouvelle, qui a immédiatement prospéré sur le terrain et dans les esprits : la charia.

Ainsi, on a vu se multiplier à partir de 2011 les groupes portant le nom d’Ansar Al-Charia (Défenseurs de la charia), un peu partout dans le monde. De la Tunisie au Yémen, en passant par la Libye et l’Égypte, tous ces groupes n’appelaient plus au « jihad pour le jihad », objectif nihiliste s’il en est, mais au « jihad pour la charia ». Les anciens jihadistes avaient désormais une raison d’être et de mourir dans le tumulte de ce « printemps arabe », transformé en « hiver islamiste ».

Ces « Défenseurs de la charia » n’ont pas lâché prise, ils se sont battus en Libye, en Tunisie et ailleurs pour un retour à la loi divine, et ont rivalisé de propositions pour son application stricte et immédiate. Ils ont simplement hésité sur les modalités pratiques pour y parvenir, et ce sont d’abord leurs différends idéologiques qui vont faire échouer le projet d’un État islamique qui s’étendrait sur l’Afrique du Nord et le Sahel, en partant du foyer nord-malien. L’intervention française de 2013, en donnant un coup de pied dans la fourmilière jihadiste, n’a fait en réalité que traiter les symptômes et déplacer le problème vers d’autres territoires.

En 2014, la trouvaille du chef de Daech, Abou Bakr Al-Baghdadi, a consisté à donner à son organisation une appellation, « l’État islamique », qui crée par la magie des mots un horizon d’attente quasiment consensuel au sein de la mouvance jihadiste. Dans l’ère de la communication qui est la nôtre, c’est un « coup de pub » extraordinaire, relayé à peu de frais à l’échelle mondiale par des médias et des organes de presse qui manquent de distance et d’esprit critique. Ils oublient en particulier que la nouvelle entité n’a rien d’un « État » ni d’« islamique », et qu’elle s’est imposée au monde grâce aux images ultraviolentes dont nos sociétés sont abreuvées à longueur de journée.

Mais ce n’est pas tout : à la manière d’un Ben Laden dans les années 1990, Al-Baghdadi a planté une graine idéologique qui ne manquera pas de germer dans les années à venir, qu’il soit mort ou vif. Cette idée est celle du califat, qu’il n’invente pas mais qu’il fait renaître de ses cendres. Comme l’idée du jihad a germé dans les esprits pendant des décennies, celle du califat semble promue à un bel avenir.

Cette idée-là sera difficile à déraciner en l’absence d’une alternative idéologique crédible. Car la seule option militaire ne peut régler les problématiques psychosociales et géopolitiques nées des perceptions faussées et des constructions utopiques. Il faut un véritable travail intellectuel qui va au-delà des symptômes pour traiter les causes réelles du problème et qui permet d’éviter l’impression que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement.

Extrait de "Terreur - la nouvelle ère, des Twin Towers à Charlie", de Mathieu Guidère, publié aux éditions Autrement, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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