La ministre de la Santé fête les 70 ans de la Sécu : ce à quoi elle ressemblerait si nous étions restés fidèles aux principes fondateurs de 1945 <!-- --> | Atlantico.fr
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La ministre de la Santé fête les 70 ans de la Sécu.
La ministre de la Santé fête les 70 ans de la Sécu.
©Pixabay

Panser ses plaies

Une conférence de presse doit avoir lieu ce mardi 5 mai en présence notamment de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, du secrétaire d'Etat au Budget Christian Eckert, ou encore de Laurence Rossignol secrétaire d'Etat à la Famille et aux Personnes âgées, dans le cadre de la présentation du prochain anniversaire de la Sécurité sociale. Cette dernière fêtera ses 70 ans. Retour sur une création majeure de l'Etat providence français.

Atlantico : D'après une enquête BVA réalisée en avril pour le ministère des Affaires sociales, 90% des Français se déclarent préoccuper par la pauvreté. En période de crise, le maintien d'une forme d'Etat-providence apparait essentiel. Comment définir avant tout le concept d'Etat-providence tel qu'il a été imaginé et mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ?

Patrice Baubeau : L'Etat-providence est une manière d'assurer une solidarité entre les gens qui habitent sur le territoire français. Cela permet de couvrir les risques liés à la santé, les questions familiales, les accidents du travail et les retraites. C'est toujours plus ou moins le schéma dans lequel on se trouve aujourd'hui depuis 1945.

On peut lire depuis la notion de risque avec quatre éléments qui se sont d'ailleurs étalés dans l'histoire (il y eut une loi sur les accidents du travail en 1898, une autre sur les retraites ouvrières et paysannes en 1910, et des lois en 1928 et 1930 jetant les bases de la sécurité sociale) avant de retrouver réunis en 1945. On peut aussi faire une classification selon la nature du risque (travail / famille / maladie) ou même voir les choses selon un aspect soit assurantiel comme la maladie, où on dépense chaque année ce que l'on collecte pour assurer les risques globaux, soit dans une logique de prélèvements auprès d'une catégorie active de la population pour redistribuer à une catégorie inactive (comme par exemple la retraite).

Jacques Bichot : Le mot Etat-providence n'a pas été employé dès la Libération ! On parlait à l'époque de "sécurité sociale" qui a remplacé l'ancien terme des "assurances sociales".  Ce passage a représenté un pas vers l'Etat-providence, mais ce dernier correspond plus au "Welfare state" anglo-saxon, où l'Etat étant chargé du bien-être de la population prend justement les rênes de la sécurité sociale.

En France, une étape intermédiaire a été franchie au milieu des années quatre-vingt-dix lorsque le premier ministre Alain Juppé parvient à faire passer les lois de financement de la sécurité sociale, qui deviennent votées comme des lois de finances. A partir de là, on entre vraiment dans l'Etat-providence.

A droite comme à gauche, les Français apparaissent très attachés à la notion d'Etat-providence. Quels avantages présente ce système ?

Patrice Baubeau : C'est une assurance extraordinaire et les gens le savent bien. Il suffit de voyager pour s'en rendre compte. Il a sans doute joué en France le rôle de frein dans le contre-choc démographique dans les années soixante-dix puisque la natalité en France ne s'est pas effondrée.

C'est également un système qui permet de vérifier ce que chacun gagne au quotidien : de très nombreux Français se rendent au moins une fois par mois dans une pharmacie ou chez un médecin, et ils peuvent constater de visu les avantages. D'autant que le système français combine des avantages importants comme un remboursement presque total tout en ayant le libre choix du médecin.

Jacques Bichot : L'Etat-providence joue des rôles utiles. La protection sociale est ce que l'on appelle un "bien supérieur", c’est-à-dire que la demande augmente en même temps que la hausse du niveau de vie, et elle augmente même plus vite. Les dépenses de médecine, et donc celles de l'assurance maladie, représentaient 2 % ou 3 % du PIB en 1945, elles sont aujourd'hui à 12 %. Le progrès technique considérable dans le domaine médical a entraîné une très forte demande (qui a largement dépassé la baisse de la politique familiale), et pour être solvabilisée, cette dernière a besoin de l'assurance maladie.  Or, cette logique économique de "bien supérieur" dépasse les clivages politiques. 

Sur la question de l'emploi, outre la hausse du chômage, on a une situation où les gens supportent beaucoup moins la perspective de la précarité. Auparavant, les individus comptaient davantage sur leurs économies, y compris les ménages modestes, et une solidarité plus grande permettait de mieux encaisser le choc. La demande de prise en charge était donc moindre mais a beaucoup augmenté avec la fin de ces phénomènes.

Comment peut-on penser l'Etat providence en période de crise, aujourd'hui ? 

Patrice Baubeau : Il faut faire la différence selon les branches. Pour la maladie, il y a un choix fait par les Français que l'on voit dans le niveau élevé de consommation des médicaments et la demande de services de soins. On peut considérer qu'ils sont prêts à payer si c'est nécessaire. C'est un peu différent pour la branche famille et la branche retraite. Dans ce dernier cas, on voit que la surenchère dans le débat dépend aussi de l'absence de socle commun, et où s'opposent donc systématiquement le public et le privé. De plus, on n'imaginait pas en 1945 la forte croissance de l'espérance de vie (notamment après la cessation de l'activité), le choc démographique et les changements dans la structure de l'emploi.

Jacques Bichot : Je pense que la formule Etat-providence, au sens strict du terme, est périmée. Elle peut cependant durer encore longtemps car les Etats peuvent jouer sur certaines économies, le maintien d'un taux d'emprunt élevé… Mais à long terme le management par l'Etat des assurances sociales me semble suffisamment mauvais pour que l'on doive évoluer vers d'autres solutions. Les pays qui le feront auront un avantage comparatif et une meilleure productivité de leur secteur social.

Depuis sa création, le système de protection sociale a connu des évolutions et un grand nombre de dispositifs ont été ajoutés, faisant augmenter la part des dépenses. Dans quelle mesure pourrait-on se passer d'une partie sans remettre en cause ce concept ?

Patrice Baubeau : On peut penser que tout ce qui relève du risque très identifié, plutôt stable, pourrait sortir du cadre de l'Etat-providence si la loi encadrait fermement l'obligation de les couvrir d'un point de vue comptable ou assurantiel. Par exemple, les accidents du travail – notamment depuis la loi 1898 qui établit que l'employeur est toujours responsable sans forcément être coupable – sont largement couverts par des systèmes d'assurance indépendants de l'Etat, mais avec la surveillance de ce dernier (via des inspecteurs du travail). Le risque étant bien défini,  l'alternative privée existant, et l'Etat exerçant son contrôle du respect de la légalité, il pourrait être possible de sortir ce domaine de l'Etat-providence sans remettre en cause le concept. Cela ne veut par contre pas dire que ça serait plus efficace. On s'aperçoit en effet que sur certains domaines, une dépense prise en charge par l'Etat a des résultats d'une efficacité supérieure à la dépense privée. C'est notamment le cas si l'on compare, par exemple, le système de soins publics en France avec celui, majoritairement privé, des Etats-Unis.  Ce qu'il est possible de sortir de l'Etat-providence, et ce qui est le plus efficace, sont deux questions bien différentes !

Un autre exemple est celui de la retraite. Quand les ordonnances de 1945 ont été adoptées, l'idée était de généraliser à l'ensemble de la population un système global. Cela n'a pas eu lieu car certains ont voulu conserver leur régime historique, avec une préférence pour un gain de court terme plutôt qu'une vision de long terme. On a donc aujourd'hui une variété des régimes de retraite en France, bien plus importante qu'à l'étranger, avec un empilement des régimes de base avec des complémentaires issu de régimes mutualistes, des assurances-vie etc. Il pourrait donc y avoir là aussi des équilibres à faire changer et qui, malgré les apparences, n'ont pas de rapport avec l'Etat-providence.

Jacques Bichot : Les questions du logement, qui fait partie de l'Etat-providence mais pas de la sécurité sociale, pourraient être revues. Raymond Barre, avant qu'il devienne Premier ministre avait proposé d'abandonner l'aide à la pierre au profit de l'aide à la personne, pour simplifier le système (puisque aujourd'hui les deux sont cumulés). Cela aurait simplifié beaucoup de choses (en modifiant par exemple le rôle des HLM) sans remettre en cause le but de l'Etat-providence. Mais cela n'a pas été fait et on a préféré empiler les dispositifs puisque quasiment chaque ministre a sa loi pour renouveler indéfiniment la législation…

Alors que la plupart des hommes politiques français affichent un fort attachement à l'Etat-providence, quels sont les principes qui sont néanmoins passés à la trappe ?

Patrice Baubeau : Ce qui est passé à la trappe, comme je l'évoquais, c'est l'idée d'une généralisation d'un régime de base pour les retraites. Cela avait clairement été annoncé en 1945, mais on n'a jamais réussi à aller plus loin. C'est d'autant plus dommage que les contextes économiques ont beaucoup changé, et que ces régimes antérieurs fondés sur la capitalisation ont, pour faire simple, fait faillite et plongé dans une grande pauvreté après la Seconde Guerre mondiale ceux qui en dépendaient. C'est pour cela d'ailleurs que l'on a créé le minimum vieillesse. Et chaque année – il existe aujourd'hui sous d'autres formes – il concerne de moins en moins de monde face à la montée en puissance des régime de retraite particuliers, alors que c'était finalement le seul régime qui était vraiment général (même si c'était effectivement un "minimum" qui est resté d'ailleurs extrêmement bas jusque dans les années soixante-dix). 

Jacques Bichot : Si une chose a fortement diminué, c'est la politique familiale. En 1945 elle était le cœur de l'Etat-providence et absorbait 45 % des dépenses de sécurité sociale, majoritairement via les allocations familiales et l'allocation de salaire unique, qui était un complément très important donné quand la femme restait à la maison pour s'occuper des enfants. C'était à l'époque vu comme un vrai progrès social car pendant toute une partie du XIXe siècle, l'idéal ouvrier était l'embourgeoisement, qui se caractérisait par la possibilité pour l'épouse de s'arrêter de travailler (les ouvriers appelaient d'ailleurs couramment leurs femmes "ma bourgeoise"). C'était un signe de réussite sociale. Le contexte était donc basé sur un ressenti très différent.

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Cet article est une mise à jour de :L'Etat providence est en danger : pourquoi il est grand temps de revenir aux principes de 1945

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