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Dette souveraine : 
Et si perdre son "triple A" 
était moins grave qu'il n'y paraît ?
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Carnet de notes

L'agence de notation Moody's a annoncé qu'elle allait évaluer la note de la dette française, et reconsidérer si nécessaire son "triple A". Mais les Etats sont-ils des acteurs comme les autres et sont-ils tous logés à la même enseigne ?

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

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Atlantico : L'agence de notation Moody's menace la France d'une possible révision de la notation "AAA" de sa dette. En quoi est-il important pour un pays de conserver ou pas son "triple A" ?

Éric Heyer : Normalement, cette notation doit être en corrélation avec les taux d’intérêt portant sur le financement de la dette publique. Plus la notation est bonne, plus le taux auquel un État va pouvoir emprunter des capitaux sur les marchés pour financer sa dette sera faible.
Conserver le "triple A" est donc intéressant pour lever des fonds à moindres coûts, sachant que les remboursements de la dette bénéficieront de taux d'intérêt préférentiels.

En définitive, le "triple A" est un signal que les agences de notation donnent à des opérateurs privés (type banques) qui souhaitent investir.

Présenté ainsi, le "triple A" semble capital pour le financement de la dette des États à des taux préférentiels. Et pourtant, l'Italie et les États-Unis ont vu la notation de leur dette se dégrader, mais ont bénéficié de taux d'intérêt inférieurs à ceux dont ils disposaient avec un "triple A".

Il n'y a que trois agences de notation dans le monde. Ces dernières émettent des appréciations qui ne sont finalement que des avis particuliers. Comme ces agences ne sont pas nombreuses, l'on pourrait aisément penser qu'elles font les marchés. Autrement dit, lorsqu'elles sanctionnent un État en dégradant la note de sa dette, l'ensemble des investisseurs se positionne sur les marchés en fonction de l'avis délivré par celles-ci.

Prêter considération à pareil raisonnement reviendrait à partir du principe que tous les investisseurs sur les marchés accordent de l'attention à ces agences de notation, et réagissent en fonction de leurs analyses. Or, la réalité est autrement plus complexe.

Dans un passé récent, la dégradation de certaines notes par les agences de notation n’a pas systématiquement entraîné l’augmentation des taux d’intérêt pour le financement de la dette des États. Quand les États-Unis ont vu leur note dégradée, les taux d’intérêt sur la dette publique ont même continué à baisser.
Pareil pour l'Italie. Au mois d’août, elle levait des fonds à 6,1% d'intérêt, puis entre temps une agence de notation financière a dégradé la note de sa dette, et bien qu'ayant une note dégradée, elle bénéficie aujourd'hui d'un taux d’intérêt de 5,8%.

L’explication de cette baisse des taux d'intérêt ne réside évidemment pas seulement dans la notation de la dette d'un État, mais d'après des considérations multifactorielles. Dans le cas italien, il y a notamment eu des plans d’austérité qui ont rassuré certains opérateurs sur le marché, et les ont encouragé à investir. Reste que selon les agences de notation, ces plans d'austérité n'étaient pas suffisants pour éviter la dégradation de la notation de la dette italienne.

Cela témoigne de l’inconnu quant aux raisons pouvant conduire à la hausse ou non des taux d’intérêt, et encore davantage de leur ampleur potentielle si la France voyait par exemple sa note se dégrader. En définitive, les opérateurs sur les marchés peuvent n'écouter que d’une oreille ce que prédisent les agences de notation, et finalement s’autoriser à penser l’inverse de celles-ci.

Les agences de notations déconseillent - par leur notation - aux opérateurs privés d'investir dans la dette de certains États, sous peine de ne pas récupérer les fonds investis. Pourtant, certains de ces opérateurs font le choix de prêter de l'argent aux États mal notés, et permettent ainsi la baisse des taux d'intérêt. Comment expliquer le choix de ces opérateurs privés ?  

Lorsque les opérateurs privés disposent d'une masse de liquidités à placer, ils font le choix de placer leurs fonds sur des actifs supposés être les moins risqués. En cas de situation incertaine, il y a donc ce que l'on appelle "une fuite vers la qualité", c’est à dire que les opérateurs privés préfèrent détenir des titres peu rémunérateurs mais sans risques, ou présentant un risque plus faible.

Et certains opérateurs privés peuvent développer une analyse des risques qui diverge de celles des agences de notation, les encourageant à penser raisonnablement que le discours tenu par ces agences n’est pas un reflet de la réalité économique d'un État. Certes, il est aujourd'hui plus risqué d'investir dans la dette des États-Unis qu’il y a deux ans, mais certains opérateurs privés restent convaincus qu'il vaut mieux investir aux Etats-Unis qu’en Allemagne. Ils préfèrent donc placer leur argent en achetant des titres américains plutôt qu’allemands.

Ces placements massifs sur les titres américains, ou encore italiens, entraînent une baisse des taux d’intérêt.

Dans ces conditions, à quoi sert la conservation à tout prix de la note du "triple A" ?

Le "triple A" n’est qu’un signal donné par une agence de notation. Libre aux opérateurs de marché de suivre ou non les signaux envoyés par les agences de notation.

Ensuite, certains opérateurs de marché n'ont plus du tout confiance dans les agences de notation, puisqu'elles n'ont pas vu venir la crise financière et donnaient la meilleure note à Lehman Brothers juste avant sa faillite. Enfin, rappelons que toutes les banques disposent de leurs propres économistes, tous aussi experts que ceux des agences de notation.

Là où les agences de notation ont encore une importance, c'est dans le cadre des règles européennes qui imposent aux banques et aux assurances de détenir une partie de leurs actifs en "triple A". Or, en dégradant la notation d'un État, les agences de notations "sanctionnent" également les banques détenant les titres de ces États, qui ne sont pas par répercussion plus aptes à respecter les critères posés par le cadre européen.

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