“Faites exploser la France” : radiographie des secrets de com’ de l’EI pour recruter toujours plus de djihadistes (et terroriser les autres)<!-- --> | Atlantico.fr
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La France est en état d'alerte
La France est en état d'alerte
©Reuters

Ressources humaines

L’Etat islamique a diffusé mardi 3 février une nouvelle vidéo, intitulée "Faites exploser la France", dans laquelle figurent plusieurs combattants cagoulés. L’un d’eux exhorte les musulmans à prendre les armes contre les Français qui ont rendu hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo, précisant : "Vous avez plus de 4 millions de cibles maintenant".

Hélène Strohl

Hélène Strohl

Hélène Strohl, inspectrice générale honoraire, a écrit L’Etat social ne fonctionne plus (Albin Michel), Recettes d’hier et d’aujourd’hui, le livre de la jeune mariée (Jérôme Do Bentzinger) et avec Michel Maffesoli Les nouveaux bien-pensants (Ed du Moment)

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Loretta Napoleoni

Loretta Napoleoni

Loretta Napoleoni est une journaliste italienne spécialiste des questions relatives au financement du terrorisme. Son dernier ouvrage s’intitule « L'Etat islamique, multinationale de la violence » (Calmann-Lévy, 11 février).

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François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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20 000 personnes à travers le monde seraient parties faire le djihad en Irak et en Syrie, selon le Centre international d’étude de la radicalisation (ICRS). Depuis le mois d’octobre 2014, ce sont 5000 combattants qui seraient venus renforcer les rangs de l’Etat islamique, ce qui a conduit le Sénateur américain Bob Corker à s’inquiéter de l’inefficacité des frappes aériennes. En effet, la coalition considère avoir tué 6000 djihadistes, ce qui permet à peine de juguler l’afflux de djihadistes venus de l’étranger. Un nombre aussi important de combattants venus se battre sous le drapeau d’une puissance autre que la leur n’avait jamais été atteint depuis la Seconde Guerre mondiale. En octobre, la France comptait plus de 400 ressortissants partis se battre. Aujourd’hui ils sont 1200. Bien qu’à la marge, le nombre de femmes parties en Irak et en Syrie étonne : elles sont 550 selon l’Institute For Strategic Dialogue à avoir fait le voyage.

Un nom séduisant

Loretta Napoleoni : Nous ne savons pas exactement combien ils sont, mais en la matière l’ICRS est une source fiable. Le nombre de personnes qui ont fait le voyage a explosé à partir du moment où a été déclaré le Califat. Cette nouvelle appellation explique en grande partie le succès de l’EI dans son entreprise de séduction. La plupart de ces personnes passent par la Turquie, traversent illégalement la frontière sans trop d’encombres, c’est pourquoi nous devons nous contenter d’ordres de grandeur, sachant que beaucoup de pays ne donnent pas beaucoup d’informations à ce sujet.

Le pouvoir de la télévision

Alexandre Del Valle : Il est clair que la majorité des musulmans n’est pas adepte de l’islamisme radical. Mais il n’en va pas de même des structures de représentation officielles de l’islam, dominées, au niveau mondial (Arabie saoudite, université Al Azhar, etc) par des ultra-fondamentalistes, et au niveau européen par des intégristes qui voient d’un très mauvais œil l’intégration des hommes et surtout des femmes aux mœurs occidentales "impies". Commençons par la plus active des organisations musulmanes d’Europe : les Frères musulmans, dont le « savant » et téléprédicateur vedette, Youssef Qardaoui – égypto-qatari auteur de l’ouvrage Le Licite et l'Illicite (en vente libre), (1992, ed. al Bouraq), explique aux musulmans d’Europe qu’il est "licite" de battre sa femme ou de tuer l’apostat et le blasphémateur… Dans nombre de fatwa relayées sur le Net, Qardaoui invite aussi à faire le jihad en Syrie, en Irak ou en Israël contre les alaouites, les chiites, les chrétiens, les juifs ou autres "mécréants". Or Qardaoui n’est pas n’importe qui :  maître à penser de Tarik Ramadan, ce "savant" dangereux qui est invité depuis 30 ans aux rassemblement annuels des Frères musulmans européens, notamment celui du Bourget, préside l’Institut de la Recherche et de la Fatwa pour l’Europe, destinée à donner des consignes légales aux musulmans, et il co-préside l’institut de Formation des Imams européens situé à Saint Léger du Fourgeret ... Dans des fatwas célèbres, il invite même à tuer les juifs et les homosexuels … Qardaoui est malgré cela un grand ami de l’ex-maire de Londres, travailliste Ken Livingstone, et il figure parmi les "Sages" chargés du "Dialogue des civilisations" mis en place par les Nations Unies.

Lire également : Ces livres, ces chaînes de télé et ces prédicateurs “respectables” qui justifient la violence djihadiste

François-Bernard Huyghe : Les télévisions peuvent refléter le message des terroristes. D’ailleurs pendant toute l’histoire du terrorisme s’est posé un dilemme : les terroristes pensent que les médias sont vendus à l’impérialisme, mais ils sont contraints de les utiliser pour faire passer leur message. C’est une sorte d’échange : des images spectaculaires pour la télévision, un peu d’exposition pour les terroristes. Des personnes se sont-elles converties au djihad en regardant la télévision et en voyant des programmes ordinaires ? La réponse est "oui" ! Le jour où les Américains sont entrés en Afghanistan en 2001, Al Jazeera a diffusé un enregistrement de Ben Laden, et toutes les télés du monde ont repris les images et ont traduit le contenu : comment rêver plus belle publicité ? Des gens se sont convertis car ils ont vu qu’on massacrait "leurs frères" en Tchétchénie, en Palestine ou en Irak, et ont ressenti le besoin de faire payer le prix du sang aux coupables, c’est-à-dire les "impérialistes"  et les "croisés". Un simple JT, avec les meilleures intentions du monde, contribue donc à la radicalisation. Aujourd’hui l’Etat islamique s’est fait une spécialité de faire parler des occidentaux. Souvenez-vous de cet Australien, avec ses camarades derrière lui, qui tenait des propos enflammés. L’EI se livre simplement à une variante du prêche traditionnel, car il s’adresse maintenant aux occidentaux dans leur propre langue. Dans le fond c’est toujours la même chose : ils exposent leurs griefs, les crimes qui ont été commis à l’égard des musulmans et pourquoi il est justifié d’en tirer vengeance.

Loretta Napoleoni : Tout est séduction dans le message de l’Etat islamique. Celui-ci traduit une sorte de rêve patriotique. Les candidats au djihad sont séduits par une utopie politique musulmane, l’attente d’un Etat indépendant. Ils ont le sentiment d’avoir toujours été empêchés d’atteindre ce rêve à cause de dictatures, de monarchies inféodées à l’occident, ou de monarchies absolues, au premier rang desquelles se trouve l’Arabie saoudite. Pour la première fois, ils assistent à la mise en pratique de cette utopie. C’était d’ailleurs tout le sens du message d’Al Baghdadi : "venez nous rejoindre, et nous aider à construire notre Etat." J’établis un parallèle avec le processus de construction d’Israël, car le message était le même avant qu’un Etat ne soit constitué : venez, nous allons construire un Etat juif, nous avons besoin de vous.

C’est donc un message positif, qui est à l’origine du succès rencontré par l’Etat islamique dans le domaine du recrutement. Ça l’est en tout cas bien plus que du temps où Al Qaeda invitait les musulmans à rejoindre le groupe pour se faire tuer. La promesse, aujourd’hui, est bien plus concrète : venez, vous pourrez avoir une femme, des enfants, vivre dans une communauté… Ce message est très fort.

Mise en scène de l’exécution d’un pilote jordanien : toujours plus loin dans l’horreur

Un pilote de chasse de l’armée jordanienne qui avait été abattu par l’Etat islamique a été brulé vif. La mise en scène, particulièrement élaborée, atteint des sommets dans l’horreur : mis dans une cage, l’homme est pris par les flammes. Il est ensuite écrasé par un bulldozer.

François-Bernard Huyghe : Les exécutions de l’Etat islamique ont toujours été très scénarisées, de façon très symbolique : égorgements, tenues oranges rappelant Guantanamo, 5 ou 6 personnes en arrière-plan témoins de l’exécution, des banderoles avec des slogans, des sourates … Le bourreau, la plupart du temps, lit une sentence pour expliquer au malheureux pourquoi il va être égorgé. Dans le cas du pilote jordanien, rien de tout cela n’a eu lieu : les djihadistes ont inauguré un nouveau mode d’exécution. On aurait pu penser qu’ils avaient atteint l’horreur absolue, ils ont montré qu’il était possible de monter d’un degré encore. Comment interpréter cette mise en scène ? Le prisonnier a été châtié de cette manière parce qu’il était un musulman qui attaquait ses "frères", et parce qu’il était redoutable en tant que pilote de chasse. La volonté était donc de montrer que puisque sa culpabilité était extrême, son châtiment devait l’être autant. C’est ainsi qu’il est passé par le feu purificateur, dans une cage, comme un animal.

L’EI s’inscrit dans une logique du toujours plus : il va toujours plus loin, pour ne pas entrer dans la "routine" de l’horreur et des égorgements. Dans leur mentalité, ils pensent qu’ils punissent au nom de Dieu : il doit y a voir une proportionnalité en fonction de la colère divine. C’est typiquement la logique médiévale des exécutions-spectacle : plus on frappe les esprits, plus on obéit à dieu.

Quant à savoir si un certain niveau d’horreur peut rebuter de potentiels candidats européens au djihad, pourquoi des jeunes qui n’ont rien trouvé à redire pour des égorgements s’offusqueraient-ils du fait que l’on brûle un homme vif ? Ce qui motive ces djihadistes, c’est la radicalité absolue, mais aussi l’attraction du gouffre. On hésite entre la métaphysique et la  psychiatrie !

"Faites exploser la France"

C’est un message déjà entendu : "Si vous ne pouvez pas faire le djihad chez nous, vous pouvez tout de même être de glorieux martyrs en tuant les gens avec des couteaux, des pierres et des voitures". Ils s’adressent aussi bien aux gens organisés comme les frères Kouachi qu’aux "pauvres types" comme celui de Nice, qui n’avait pas l’air d’être débordant de capacités : "prend ton couteau et tu auras fait une bonne action". Au Canada, en Angleterre et en France, nous en avons eu plusieurs exemples. Al Qaeda avait revendiqué l’attaque des frères Kouachi, mais il s’agit sûrement de récupération. On peut au moins reconnaître l’honnêteté de l’Etat islamique, qui se contente de "rendre hommage".

L'embrigadement dans la vie de tous les jours

François-Bernard Huyghe : On ne se convertit pas à une cause simplement parce que le cerveau s’est imprégné d’un message. Si on décide de passer à l’action, c’est parce qu’on a des camarades qui entraînent dans cette direction, ou des gens qu’on admire, qui se sont "illustrés" en martyrs. Chez les djihadistes passés à l’action, on retrouve des profils comme Mohamed Merah ou les frères Kouachi, c’est-à-dire des personnes qui ont acquis un potentiel de frustration et de violence élevé. Ils sont poussés dans la voie du djihad  par des prédicateurs, des contacts en prison, où bien parce qu’ils sont sous l’influence d’un entourage. Il peut s’agir d’un copain de collège, d’un oncle ... Généralement, on décide de passer à l’action avec un groupe. Vient toujours un moment où le futur djihadiste entre en contact avec des gens qui partagent les mêmes convictions. Ceux qui se radicalisent uniquement par internet, qui ne rencontrent personne en vrai et passent tout de même à l’action, représentent une toute petite fraction des djihadistes.

La pêche aux recrues sur les réseaux sociaux

François-Bernard Huyghe : Plusieurs expériences ont été menées par des journalistes qui ont créé de faux profils. Un processus de socialisation a été observé : progressivement, on entre dans un discours de plus en plus dur. Des gens vont sur votre profil, vous poussent, vous encouragent, décrètent qu’il faut parler des choses sérieuses via Skype ou un réseau crypté ... Il y a ceux qui se rendent sur des forums, et dans ce cas c’est l’effet entonnoir qui opère : on commence par des propos généraux sur les malheurs qui arrivent à "nos frères", puis on enchaîne sur un questionnement sur ce qu’il est permis de faire ou non, sur ce qui serait souhaitable, sur le djihad, et c’est ainsi que l’on en arrive à des conversations de plus en plus privées. A la fin, la cible de la radicalisation se voit proposer de partir en Syrie, au Yémen … Tout cela relève du repérage, et s’inscrit dans un processus long. Twitter est différent, car l’argumentation est limitée par le nombre de lettres. En revanche c’est un bon moyen de partager des liens vers de vidéos. A chaque fois, l’idée pour les recruteurs est de trouver une passerelle vers une communication plus confidentielle qui aboutisse à un passage à un départ.

Un discours différencié entre les hommes et les femmes

François-Bernard Huyghe : Il y a les montages vidéo à l’adresse de tout le monde, mais on observe aussi un processus de recrutement qui consiste à attirer les gens par les expériences vécues et les récits de vie de ceux qui se trouvent sur place. Le message n’est pas le même pour les garçons et les filles. Pour les garçons c’est la démonstration de virilité qui prime : belle barbe, grosse kalachnikov ; lunettes de soleil… Pour les filles, on sait à partir de témoignages qu’il s’agit surtout de messages qui vantent la vie saine, conforme à la foi, avec un mari bon musulman. S’y ajoute un message presque humanitaire, qui consiste à dire qu’elles pourront ainsi aider les petits enfants syriens. Bref, on leur vend une vie de "femme accomplie."

Loretta Napoleoni : Difficile de savoir combien de femmes décident de partir. C’est souvent la fiancée qui accompagne son homme. Je pense que la plupart partent sans bien comprendre ce qui se passe là-bas. Je dois dire que ces départs féminins, c’est l’une des choses que je ne comprends pas, car il s’agit d’une société d’hommes. Et c’est là un autre attrait important : le sens de la fraternité, de la camaraderie, les liens de virilité… ils se sentent forts et exaltés par le fait de faire partie de ce groupe. Ils ne pensent même plus aux femmes. Le désir sexuel est en berne. Tout ce qu’ils veulent, c’est faire partie d’un groupe d’hommes, faire la guerre et vivre intensément grâce à cette dernière. C‘est pourquoi je pense que les candidates sont une exception, dont les motivations ne sont vraiment pas claires.

Plus globalement, je pense que ces jeunes hommes sont plongés dans un monde dans lequel ils ne savent plus comment se comporter avec les femmes. Celles-ci sont plus agressives, au sens où elles sont passées d’un statut de subalterne à un niveau d’égalité. Je suis de la génération des féministes, et je vois bien que beaucoup d’hommes sont désemparés, notamment chez les jeunes. Spécialement chez les musulmans, où les relations filles-garçons, la sexualité font l’objet de tabous et sont régies par le contrat du mariage. Je pense que ces garçons-là ne savent plus faire avec des femmes qui se considèrent libres. Dans un groupe composé d’hommes uniquement, ils se sentent en sécurité. L’adrénaline, l’excitation … ils ne l’obtiennent plus par l’amour et le sexe, mais par la guerre. Et je pense que ce que je dis là, beaucoup d’hommes occidentaux le comprennent et le ressentent.

Des méthodes proches de celles des sectes

François-Bernard Huyghe : La secte, étymologiquement, est composée de ceux qui se coupent du monde. Pour entrer dans une secte il faut entrer dans une communauté qui délivrera le bien et les vérités de ce monde, et il faut aussi se couper du monde extérieur, qui est mauvais. Les nouveaux djihadistes se coupent de leur monde habituel, rompent avec leurs anciennes habitudes, deviennent pudibonds, ne s’habillent plus de la même manière, se repentent de leurs comportements passés… Ils entrent dans un monde manichéen détenteur de toute vérité et de toutes les valeurs. Pour la secte, il faut se séparer physiquement du monde extérieur. Dans le cas du djihad, outre la rupture sociale et physique avec les amis et la famille, les réseaux sociaux sont l’outil idéal pour trouver ceux qui pensent de la même manière. Le biais de confirmation est alors à l’œuvre : ils ne s’exposent qu’à des opinions qui les renforcent dans leurs convictions, et ils ne regardent plus les autres sources d’information, car pour eux elles ne sont que mensonge. Rappelons-nous que 15 %des Français croient à la théorie du complot dans l’affaire Kouachi et Coulibaly …

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Des filières informelles et peu identifiables

François-Bernard Huyghe : On a parlé de la bande des Buttes Chaumont : ils vivaient dans le même quartier, à une époque ils ont certainement fait la fête ensemble, puis ils se sont auto-encouragés à aller vers le djihad. C’est plus facile quand on est une bande, car on a toujours un copain qui connait un copain qui sait comment aller en Irak ou au Yémen. Entre la "bande" et la cellule organisée, la frontière est poreuse, car on ne prend pas sa carte de membre ! A partir de quand des gens qui vont à la mosquée ensemble, s’encouragent à changer d’habitudes vestimentaires, pensent de plus en plus au djihad, constituent-ils une filière de l’Etat islamique ? Difficile à dire, mais je dirais que le moment symbolique, c’est lorsqu’on se choisit un nom de guerre.

Il y a peu d’échanges entre l’Etat islamique et les filières, en ce sens qu’il n’existe pas de bureau central. On se rend sur place par un jeu de relais. C’est toujours de la débrouillardise, avec des passeurs qui coûtent 50 dollars pour passer la frontière. L’Etat islamique les accueille, sans savoir à quelle date et combien de personnes doivent arriver.

Loretta Napoleoni : Les liens sont moins directs qu’on ne le pense. La vision classique des cellules dormantes qui n’attendent que d’être activées n’est plus d’actualité. Ceux qui ne peuvent pas partir essayent de faire quelque chose sur place. Le message de Baghdadi consiste à dire : "venez si vous pouvez, et sinon, faites ce que vous pouvez, ou que vous soyez". L’attaque contre Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher est le fait de personnes isolées, avec peu de moyens financiers. On est loin des attentats de Saint-Michel, avec une grosse organisation derrière. Aujourd’hui il n’y a rien à infiltrer, puisqu’il n’y a pas d’organisation ! L’EI est bien incapable de dire ce qui va se passer demain sur notre sol.

Une société occidentale qui qui a facilité la tâche des recruteurs

Hélène Strohl : Les islamistes recrutent sur la base d’une aspiration communautaire, c’est-à-dire l’identification à une communauté d’appartenance, avec ses mythes et ses règles. Il me semble qu’ils recrutent souvent des jeunes qui n’ont pas une telle communauté car nous vivons dans une société qui a voulu faire comme si les religions et l’histoire n’existaient pas. Comme on a toujours peur en  France de faire du communautarisme, des gens se retrouvent sans appartenance, sans groupe auquel s’identifier. Dès lors, on conçoit qu’il soit facile pour les djihadistes de recruter des jeunes chez nous, car ils leur offrent une histoire, des héros auxquels s’identifier, et un moyen de canaliser leur haine.

Notre société permettait à l’origine aux gens de s’identifier par leur appartenance nationale, notamment. Aujourd’hui le patriotisme national n’arrive plus tellement à fournir cette identification. Les cadres religieux et politiques qui tous se référaient à une république unique ne fonctionnent  plus très bien, et un certain nombre de ces hommes partis faire le djihad sont issus de familles elles-mêmes désaffiliées, soit parce qu’elles sont immigrées et ont perdu leurs attaches communautaires, soit parce qu’elles sont très mobiles et instables. C’est le problème de beaucoup de banlieues, qui ne font pas quartier, territoire ou communauté. Aux Etats-Unis, dans les quartiers pauvres, il existe des community builders, qui sont là pour aider les gens à améliorer leur cadre de vie au travers de la coopération. En France, ce métier n’en est qu’à ses balbutiements. Barack Obama a été community builder dans sa jeunesse, et il a raison de dire que nous ne savons pas intégrer : nous n’intégrons que par assimilation, considérant à tort qu’il faut que tout le monde soit pareil. Mais nous sommes dans une société multiculturelle, tribale, et chacun a besoin de s’identifier à une ou deux communautés, quand ce n’est pas trois ou quatre.

La "décadence" de l'Occident : un argument de poids

L’islam est une religion monothéiste avec une forte cohérence avec l’Etat. Nos sociétés sont de plus en plus pluriculturelles, et la religion et la morale sont renvoyées dans la sphère privée, voire individuelle. D’une certaine manière ces règles sont moins appliquées, car on sait bien qu’elles le sont sous l’effet du groupe, et pas uniquement parce que derrière se trouve une notion de transcendance.

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