L’imposture CDU ou comment s’attribuer tout le mérite de réformes conduites par d’autres (tout en se permettant de faire la morale à tout bout de champ)<!-- --> | Atlantico.fr
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Gerhard Schröder, ex-Chancellier allemand.
Gerhard Schröder, ex-Chancellier allemand.
©Reuters

Deux poids deux mesures

Dans une interview accordée à Die Welt dimanche 7 décembre, Angela Merkel a jugé encore insuffisantes les réformes conduites en France et en Italie. C'est dans ce contexte que s'ouvrira le Congrès de la CDU ce mardi 9 décembre à Cologne. L'Europe reste donc clivée entre partisans de l'austérité budgétaire d'un côté, et de l'autre des États qui peinent à boucler leur budget 2015 au regard des impératifs bruxellois.

Jakob Höber

Jakob Höber

Jakob Hoeber est chercheur associé en économie, compétitivité et modèles sociaux européens à l'Institut Thomas More.

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Atlantico : Dans une interview accordée à Die Welt dimanche 7 décembre, Angela Merkel a jugé encore insuffisantes les réformes conduites en France et en Italie. Pareille sortie était-elle nécessaire d'un point de vue politique, en vue notamment du congrès prochain de la CDU et de la vraisemblable réelection de la Chancelière à sa tête ?

Jakob Hoeber : La déclaration de Merkel, qui juge les réformes françaises et italiennes comme insuffisantes ne peut étonner à quelques jours avant le sommet de son parti, où elle cherche à se faire réélire. Bien qu'il n'y a aucun doute sur sa réélection, le pourcentage comptera pour légitimer sa politique. On doit comprendre cette phrase comme un signal interne envoyé à son parti.

Cependant, elle montre le mauvais état des relations franco-allemandes en ce moment. La Chancelière doit mettre la pression sur la France et l'Italie pour trouver l'appui de son parti. En même temps, cette situation est réciproque. On peut se rappeler du discours de M. Valls devant le parlement lors de l'élection du nouveau gouvernement en août, où il promettait de convaincre la Chancelière de sa propre politique. Or, une entente franco-allemande est la clé pour sortir de la crise européenne...

Sur le plan des grandes réformes économiques justement. Hartz 3 et 4 sont souvent évoquées comme un avancée décisive en faveur de la reprise allemande. Sont-elles exclusivement ce qui a permis à "l'homme malade de l'Europe" de s'ériger en modèle ? 

Une raison qu'on donne souvent pour le redressement de l'Allemagne, ce sont les réformes connues sous le nom de l'Agenda 2010, introduites entre 2002 et 2005 par le gouvernement du social-démocrate de Gerhard Schröder.

Elles consistent en une refonte du droit de travail, de l'assistance au chômage et de l'aide sociale. Élaborées par un groupe de représentants de la politique du monde des entreprises et des syndicats, elles ont permi une flexibilisation du marché de travail et une amélioration des services du pôle emploi allemand.

Au même moment, la croissance est à nouveau au rendez-vous, le taux de chômage commence à baisser ; « l'homme malade de l'Europe » se redresse.  Si le  taux de croissance est de seulement 0,7 % en 2005, on enregistre 3,7 % en 2006. Par comparaison, les chiffres pour la France sont de 1,6 % et de 2,4 %, respectivement 1.

Il serait alors logique d'attribuer ce changement simplement aux plus grandes réformes économiques que l'Allemagne a entrepris depuis sa réunification en 1990. Mais il ne faut pas se leurrer : certes, une réforme du droit de travail change profondément la donne en matière de compétitivité et de performance d'une économie : un meilleur service par le pôle emploi – son piètre management était d'ailleurs le point d'achoppement pour la création du groupe de travail – est essentiel pour réduire le taux de chômage ; une embauche facilitée pour les entreprises peut créer des postes.

Mais une explication pour le changement radical entre un homme malade et un modèle européen ? Non. Ce ne sont pas ces seules réformes qui ont permit à la Fédération de garder son tissu industriel de PME, tandis que ses voisins se sont désindustrialisés. Ce ne sont pas ces quelques changements du droit du travail qui font la différence entre une économie qui tourne à plein et un pays sans croissance – surtout pas à si court terme.

D'autres raisons – élargissement de l'UE vers l'est, intégration horizontale de l'industrie, un grand nombre d'entreprises familiales, une bonne coordination entre les PME pour faire entendre leur voix au niveau politique – sont la terre féconde qui a permi aux réformes Hartz de faire effet.

Ces réformes du marché du travail allemand ont été entreprises par le SPD alors au pouvoir. La CDU a-t-elle bénéficié a posteriori des mesures difficiles prises par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder ? Cet effort drastique avait-il toutefois été également porté également par la CDU ?

On peut dire que l'Union (CDU et son parti-frère an Bavière, la CSU) a récolté ce que le SPD a semé.De plus, les Conservateurs n'auraient pas été dans la mesure d'entreprendre un programme aussi ambitieux puisqu'il demandait l'appui des syndicats.

Pour les Social-Démocrates, leur appui était plus facile à gagner. Au moment du débat et du vote des réformes, l'Union a contesté l'approche du gouvernement en le dénonçant comme pas assez ambitieux. En conséquence, ils n'ont pas soutenus les nouvelles lois au Bundestag.

Par contre, le passage au Bundesrat, la deuxième chambre constituée par les représentants des Länder, est passé. Les conservateurs avaient une majorité à l'époque. Ceci indique que le vote au parlement fédéral était plutôt d'une nature tactique que motivé par une opposition complète au projet de loi.

Le SPD en a t-il finalement payé le prix électoral et politique ? 

Pour le Parti Social-Démocrate, les réformes ont été cher payées. Depuis, il enregistre des résultats aux élections historiquement bas. La chute est considérable : s'il a toujours su remporté autour de 35-40 % des votes dans le temps d'après-guerre, leur résultat est tombé à 23 % en 2009.

Pour une partie de son électorat, les réformes Hartz ont été comprises comme une trahison. Or, le SPD était déjà dans une période de déclin. Les raisons sont les mêmes que dans d'autres démocraties européennes, où les socialistes et sociaux-démocrates ont rencontré une baisse de popularité : disparition du travailleur « classique » et difficulté de trouver un discours adapté à un monde en transformation.

Attribuer le déclin du parti seulement à la politique de Gerhard Schröder, qui voulait faire passer les réformes à tout prix, serait alors trop simpliste. Mais le SPD a perdu sa « marque », la défense du petit homme, sans gagner de nouveau profil électoral en contrepartie.  Cette faiblesse se remarque aussi dans le gouvernement actuel : on peut constater une politique qui offre des cadeaux à son électorat, parfois avec un sens économique – le SMIC, la loi sur l'augmentation des loyers. Mais parfois par simple clientélisme – baisse de l'age de la retraite, réforme de la loi sur les énergies renouvelables en faveur des grands producteurs d'électricité et de l'industrie minière.

Ces mesures n'ont pas le potentiel suffisant pour regagner la confiance des électeurs perdus, qui se sont réorientés vers le Parti de Gauche ou bien vers l'absentéisme.

De son côté, en matière de réformes économiques, de quel bilan la CDU peut-elle finalement se targuer ? 

En matière de grandes réformes, la liste de l'Union est maigre. Ceci s'explique pour deux raisons. D'une part, le gouvernement est occupé depuis des années par la crise économique, au niveau fédéral et en Europe. Si l'Union Européenne et surtout l'Eurozone ont connu une transformation profonde, ces énergies n'ont pas pu être investi ailleurs.

Ensuite, entreprendre des grandes réformes ne correspond pas à la manière de gouverner de la Chancelière. Elle préfère une politique incrémentale, avec un scrutin rendant compte de la situation avant de bouger dans une direction. En conséquence, les plus grandes réformes en matières économiques ont été poussées par le SPD plutôt que l'Union.

Le « zéro noir » ou zéro déficit budgétaire en 2015, appelé par le ministre des finances Wolfgang Schäuble n'a que peu de mérite : les taux de refinancement pour la dette publique sont historiquement bas, les investissements dans l'infrastructure et l'éducation ou la recherche stagnent.

Les grands problèmes des années à venir, notamment la baisse de la main d’œuvre et l'augmentation des retraités en raison du développement démographique, n'ont pas encore trouvé des réponses. Ainsi, le gouvernement Merkel est en train de laisser passer le moment de préparer l'avenir.

Comment expliquer alors l'engouement des Allemands pour Merkel et son parti ? Et qu'aujourd'hui, ce soit la CDU qui se pose en donneuse de leçons sur la scène européenne ?

Le statut de la Chancelière s'explique et par l'image qu'elle a su se donner et par la faiblesse des autres. La SPD ne peut la défier en ce moment, pour les raisons déjà mises en avant.

De plus, elle seule paraît garante de la stabilité dans un temps difficile, en Europe mais aussi dans le monde. Le changement produit par la mondialisation et l'incertitude quant à l'avenir crée ce besoin d'une continuité qu'elle sait exploiter. En même temps, elle sait, par la politique des petits pas, éviter les faux-pas et les critiques.

Finalement, sur les dossiers sensibles, elle envoie ses ministres au front qui assumeront les conséquences en cas d'échec. Excellente tacticienne, elle a su sortir de toutes les batailles politiques sans entâcher son image.

Pourquoi alors ce gouvernement donnerait des leçons aux gouvernements européens ?Premièrement, parce qu'il le peut. L'Allemagne est aujourd'hui incontestablement la première puissance européenne. Même si elle ne peut décider seule de l'avenir européen, rien ne se décide sans et contre elle.

De plus, il faut dire que ce n'est pas seulement le gouvernement qui est derrière les décisions au niveau européen, mais aussi et avant tout la population. Les mesures de sauvetage sont très impopulaires en Allemagne. Les difficultés économiques des pays en question sont vues comme le résultat d'une politique nationale erronée.

De même pour l'obsession des Allemands, une banque centrale qui ne s'occuperait que de l'inflation. Il est vrai que l'argument de la réussite allemande a un certain mérite. Mais il ignore l'interdépendance entre les économies européennes. Aujourd'hui, beaucoup de pays ne peuvent que se financer grâce à la stabilité importée de l'Allemagne – son statut leur permet des taux d'intérêt bas et une certaine confiance du marché de capitaux. En même temps, l'Allemagne exporte ses produits dans les pays auxquels elle demande de se réformer : le vendeur demande à son client de baisser ses dépenses. Se rendre compte de cette interdépendance serait le premier pas pour arrêter de se donner des leçons et commencer à chercher des solutions ensemble.

Propos recueillis par Carole Dieterich
etpar Franck Michel / sur Twitter

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