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Prévisions de croissance :
responsables cachés de la dette ?
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Gouverner c'est prévoir

L'INSEE a livré son verdict vendredi : la croissance de la France est de 0% au deuxième trimestre par rapport au trimestre précédent. L'incertitude sur les prévisions de croissance de la France pour 2012 demeurent. L'objectif est pour l'instant toujours fixé à 2,25% pour le gouvernement, mais les analystes tablent plutôt sur 1,7%. Et si les prévisions régulièrement trop optimistes de ces dernières années étaient en partie responsables de la dette publique ?

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel

Jean-Marc Daniel est professeur à l'ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves-ingénieurs du Corps des mines. Il est également directeur de la revue Sociétal, la revue de l’Institut de l’entreprise, et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, en particulier américaine.

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Atlantico : De quoi parle-t-on au juste lorsqu'on évoque les "prévisions de croissance" ?

Jean-Marc Daniel : Il existe deux types de prévisions de croissance :

  • Celles faites par l’INSEE, publiées deux fois par an, aux mois de mars et d’octobre. Un recalage de ces prévisions est effectué en juin et en décembre.
  • Celles qui servent à calculer les recettes fiscales qui font partie du rapport économique et financier qui vient en complément de la loi de finance. Elles reposent sur une base de trois ans : vous avez la prévision sur l’année fiscale à venir et des projections sur les deux années d’après. Ces prévisions sont à la fois en volume mais ce sont aussi des prévisions d’inflation.

Un point de croissance représente 7 à 8 milliards d’euros. Si vous surestimez votre croissance d’un seul point, vous obtenez donc une surestimation de rentrée fiscale de 7 à 8 milliards qu’il faut corriger si vous voulez ramener le déficit budgétaire à ce qu’il était initialement prévu.

Une fois les prévisions faites et la loi de finance votée, ces hypothèses sont transmises dans le cadre du pacte de stabilité de croissance à Bruxelles. Depuis quelques temps, ces prévisions étant plus optimistes que la réalité, Bruxelles a réagi. En effet, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) fait elle-même des perspectives de croissance. Dans son dernier commentaire sur la France, elle formulait notamment un reproche important : selon l’OCDE, le gouvernement français surestimerait de façon systématique sa croissance et donnerait donc une vision de la réalité de l’économie française erronée.

Mais cette organisation indique que les États-Unis ont eux-aussi une croissance moins forte que celle qu’ils avaient annoncée. La France est, par conséquent, moins montrée du doigt qu’auparavant. Elle n'est qu'un mauvais élève parmi d'autres

.

A quoi attribuez-vous ces difficultés de croissance ?

Le problème c’est le que chômage ne se réduit pas aussi vite que dans les grandes sorties de crise habituelles. Dans la croissance, il y a un noyau dur qu’on nomme croissance tendancielle (1,5 % en France). Il existe des phases ou l’on est au-dessous, d'autres au-dessus. Sur l'année passée, on est ramené pratiquement à une croissance de 1,6 % - 1,7%. On suit donc la tendance, mais nous devrions nous situer au-dessus puisque l’on dispose de réserves de chômage : en effet, le chômage étant élevé, on peut imaginer qu'une main d’œuvre est à disposition, prête si vous la mettez au travail à générer de la croissance. Ainsi, en général, quand on sort d’une récession, l’effet de réduction du chômage porte la croissance à un point au-dessus de la tendance.

Le gouvernement était-il de bonne foi par rapport à ces prévisions optimistes ?

Dans le chiffre de cette année, il était de bonne foi. Dans les projections précédentes, où il affichait 2,5% comme objectif, il y avait sûrement une composante politique.

Quand on regarde à moyen termes, les objectifs de ce que l’on appelle l’agenda 2009 en Europe, la France devrait tourner autour de 2,5%. Le gouvernement ne peut pas, pour des raisons de crédibilité politique, afficher des taux de croissance inférieurs à ceux entérinés dans la stratégie de Lisbonne. En pratique, personne ne peut considérer que cet objectif est, dans la situation actuelle de l’économie française, accessible. Mais on ne peut pas le dire car il faut qu’on soit crédible au regard nos engagements européens.

Existe-t-il un lien entre ces prévisions de croissance trop optimistes et la dette budgétaire qui se creuse ?

Oui, car, comme je vous le disais, dès que vous baissez votre prévision de croissance d’un point, vous perdez automatiquement 7 à 8 milliards de recettes fiscales.

Si vous suivez l’évolution du déficit budgétaire anticipé, il avait été voté pour l’année 2011 à 6% du PIB. La fin de l’année 2010 et le début de l’année 2011 ont été relativement favorable en termes de croissance et donc, au moment où le parlement a adopté ces hypothèses économiques pour préparer le budget de l’année 2012, le déficit budgétaire correspondait à 5,7 % du PIB. Ce chiffre est désormais hypothétique, le deuxième et le troisième trimestre n’ayant pas été très bons. L’économie française qui avait commencé à recréer des emplois fin 2010, début 2011, est dans une phase de stabilisation sur le marché du travail.

Aurait-il été plus prudent de formuler des prévisions de croissance plus basses ?

Certains vous diraient que si l’on ne prévoit pas une croissance importante, on n’est pas dans la logique du discours européen, de l’agenda 2020 du redressement. Mais la prudence aurait été effectivement d'envisager une croissance un peu plus basse.

Au XIXe siècle, dans une situation similaire, on aurait prévu une croissance nulle. On aurait tablé sur des recettes fiscales identiques à celles de l’année précédente. Si celles-ci se révélaient finalement supérieures aux prévisions, le résultat n'aurait été que du bonus.

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