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Pourquoi le pacte de responsabilité est malheureusement condamné à l’échec (ou les bonnes intentions diluées dans la recherche du moindre coût politique et social)
©Reuters

Pas besoin de boule de cristal

Manuel Valls a détaillé son plan de bataille pour dénicher ses 50 milliards d’économies ce mercredi 16 avril. Le point d’indice des fonctionnaires sera gelé jusqu’en 2017. La promesse des 60.000 créations de postes dans l’Education est en revanche maintenue. Des prestations sociales sont gelées, les mesures de lutte contre l’exclusion sont elles reportées.

Atlantico : Manuel Valls a encore mis en avant la nécessité de réduire le déficit et l'endettement public. Pourtant, plus qu'un "big bang" budgétaire, les mesures phares sont le blocage du point d'indice de la fonction publique, des retraites, et des prestations sociales. Cette tiédeur dans l'action ne condamne-t-elle pas toute volonté de rétablir les comptes à l'échec ?

Mathieu Mucherie : Angela propose de créer un internet européen. François et Yvan passent du temps sur les "contreparties" de leur "Pacte". Il y a quelqu’un sur ce continent de désolation intellectuelle pour causer de la crise monétaire en cours, ou quoi ? Dieu merci Valls a vaguement évoqué le sujet dans son discours de politique générale, il part moins mal qu’Ayrault. Mais il éprouve le besoin de parler du manque de "compétitivité" alors que nos entrepreneurs sont très compétitifs (à condition que l’euro revienne à l’équilibre, que les Espagnols se remettent à importer des voitures et non des leçons de vertus germaniques, et qu’on leur laisse un peu la paix) et de choc d’offre alors que les capacités de production existantes sont sous-utilisées.

S’agissant des 3% de déficit, tout a été dit par Milton Friedman dès 1996 : "Ce pacte est totalement absurde. C'est un non-sens. Il ne repose sur aucun fondement logique. Lorsqu'on adopte un taux de change fixe, on devrait laisser chacun libre de suivre la politique budgétaire de son choix. Personnellement, je considère qu'une fois la politique monétaire donnée, la politique budgétaire n'a plus aucune espèce d'importance".

Rétablir les comptes quand le PIB nominal se traine n’est pas très malin, et heureusement les autorités de notre beau pays se contentent d’en parler ; elles ne font strictement rien. Le seul "hic" dans cette inaction louable, c’est qu’ils poussent le bouchon un peu loin en ne faisant aucune pédagogie vis-à-vis des masses et aucune tentative de bras de fer avec la BCE. J’entends encore parler de crise de solvabilité alors que l’OAT 10 ans est à 2% et continue sa dérive japonisante (nullement argentinisante) : la déflation, bêtement confondue avec un indice des prix à la consommation en territoire négatif sur 12 mois, n’est pas bien expliquée ni dans ses causes ni dans ses implications. Quant à revenir un jour à une dette publique de 60% du PIB, c’est une plaisanterie. Le plus probable dans le cadre monétaire actuel est que la dette passe de 90% à 150% du PIB, avec des taux vers 1%, une inflation nulle et une croissance nulle, et une incitation à épargner plutôt qu’à investir.

Eric Verhaeghe : Disons qu'elles peuvent provisoirement faire illusion si la croissance repart. On voit bien le pari qui est fait : on va se prendre un point de croissance, soit grosso modo 20 milliards de valeur ajoutée en plus, et on va stabiliser les dépenses à volume constant. Autrement dit, elles vont mécaniquement baisser dans le PIB global, ce qui pourra améliorer le ratio du déficit. Mais nous sommes bien d'accord sur le fait que ces calculs d'apothicaires sont très loin de la cible attendue par Bruxelles et en vigueur dans les autres pays de l'Union. Pour respecter ces engagements internationaux, il faudrait une vision politique et non comptable. Il faudrait savoir quelle place on veut donner à l'Etat et à la protection sociale dans la France de demain. Là encore, rappelons des éléments simples. Les 50 milliards d'économies promis représentent 2,5% de PIB. L'enjeu est de baisser aujourd'hui la dépense publique de 2,5% de PIB, c'est-à-dire la ramener globalement à ce qu'elle était dans les années 2000. Décennie où nous étions, à mon sens, mieux administrer.

>>> A lire également sur Atlantico : Les deux effets kiss kool (et toxiques) du gel de l’indice des traitements de la fonction publique.

L'Education nationale, l'un des premiers budgets de l'Etat, reste préservée de l'effort exigé, ce qui amoindrit le potentiel du plan annoncé par Valls. Est-ce une décision politique ? N'est-ce pas le symbole de l'absence de vraie volonté politique du gouvernement ?

Mathieu Mucherie : Les enseignants votent "comme il faut" et ils sont déjà assez agacés par la réforme Peillon avec toutes ces activités parascolaires mal organisées et non financées. Si Hollande veut avoir une chance d’être au 2e tour en 2017, il a besoin que sa dernière base tienne à peu près bon : il ne peut pas dégraisser les mammouths. Il aurait peut-être pu taper sur eux s’il ne s’était pas un peu fâché avec les cathos de gauche et avec les Bretons et avec ceux qui croyaient vaguement dans ses promesses d’une République exemplaire, par exemple. Tout cela est logique, et pas dramatique, d’autant qu’il n’a jamais promis en 2012 un quelconque effort budgétaire dans le secteur éducatif, to say the less. Le "symbole de l’absence de vraie volonté politique" comme vous dites réside plutôt dans le refus de toute explication monétaire avec l’Allemagne sur la place publique, notamment à propos de l’euro trop cher. Mais ce mammouth-là est le plus costaud, et surtout il dispose de défenses très dissuasives ; surtout quand on est atteint depuis plus de 30 ans par un complexe d’infériorité monétaire (ce n’est pas du tout une question de droite ou de gauche).

Eric Verhaeghe : On voit bien ce qui se trame en filigrane à l'Education Nationale. Les élites au pouvoir inscrivent leurs enfants dans les meilleures écoles et se soucient donc de l'égalité des chances comme de leur première chemise. Pour donner l'illusion d'un attachement à l'égalité, on préserve les méthodes dont on sait qu'elles ne fonctionnent pas ! Notamment l'injection de milliards, de moyens nouveaux, quand le problème ne tient pas aux moyens mais à la pédagogie elle-même. Sur ce point, les enseignants ne sont pas responsables : ils sont soumis à des castes d'inspecteurs qui sont incapables de leur donner des instructions claires sur les objectifs poursuivis par l'enseignement.

>>> Pour aller plus loin : 50 milliards de réductions de dépenses publiques : ce qui est crédible, ce qui ne l’est pas dans les annonces Valls (et qui va payer la facture ?)

Pourquoi cette volonté de ménager tous les bords, et surtout sa clientèle politique, est-elle une tendance qui transcende la gauche et la droite ? D'où vient cette pratique française de la politique ?

Mathieu Mucherie : Tous les pays font ça. Regardez Obama depuis 5 ans et demi : ce n’est pas lui qui va réformer un jour Fannie Mae. Regardez Merkel ou le SPD : ils ne touchent pas aux banques régionales allemandes. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche, c’est une question d’introduction à l’économie politique, du Public Choice élémentaire : on ne frappe pas sa base politique, et a priori on ne martyrise pas les gens qui vous prêtent de l’argent. Le PS est indulgent envers sa section du Pas-de-Calais, l’UMP pénalise rarement les agriculteurs. Sauf si on n’a pas le choix (les réformes imposées de l’extérieur ou dans des circonstances graves, par exemple), et sauf si on n’a rien perdre (on oublie souvent que Schröder venait d’être réélu et ne comptait pas se représenter, et que l’Allemagne passait alors à juste titre pour l’homme malade de l’Europe), on ne se tire pas une balle dans le pied. Il est plus agréable de tirer sur les autres. Et même ça ce n’est pas recommandé chez ces gens là, car à quoi bon insulter l’avenir et qui sait où seront les rentes dans quelques années ?

D’où vient l’impression (pas si infondée) que tout cela est pire chez nous que dans les autres pays ? C’est à mon avis le fruit du rationnement par les quantités, par la file d’attente, presque aussi diffusé en France que le rationnement par les prix : à l’hôpital, à l’école et dans bien des endroits, il ne sert à rien de se fâcher car la débrouille et les réseaux et les passe-droits (qu’ils viennent de droite ou de gauche) font la différence. Au bout d’un certain temps, une certaine solidarité nomenklaturiste se cristallise, qui se moque bien des idées. A Paris, on la critique à 25 ans, on s’en rapproche à 40, on s’en sert à 60. Pour info, j’en ai 37…

Eric Verhaeghe : Je ne suis pas sûr que cette pratique soit propre à la France. Allez voir l'Italie par exemple, allez voir l'Allemagne, et vous vous apercevrez que les systèmes et les logiques sont souvent proches. Notre problème est que l'Allemagne ou l'Italie disposent d'un gouvernement légitime capable de prendre des décisions. En France, depuis De Gaulle, aucun président de la République ne recueille sur son nom au premier tour plus de 10 millions de voix, c'est-à-dire grosso modo 20% des suffrages. Avec des exécutifs qui suscitent aussi peu d'engouement, on peut difficilement s'attendre à une légitimité forte pour agir. La France est irréformable, comme on dit, parce que la démocratie y est malade

>>> A lire sur Atlantico : Alain Madelin : “l’incapacité française à réformer vient de la méconnaissance profonde de l’économie”

L'absence de résultats générant de l'impopularité, ne serait-ce finalement pas plus judicieux pour le pouvoir politique d'assumer une forte remise en cause de positions acquises ? Ne vouloir froisser personne garantit-il forcément de rester aux affaires ?

Mathieu Mucherie : Cette remise en cause dont vous parlez est une redistribution des cartes et des rentes, vectrice d’incertitude (on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne… et l’électeur médian en France a déjà 48 ans) : l’aversion au risque est assez rationnelle et la "tyrannie du statu quo" est un fait bien documenté un peu partout. Je me souviens dans ces colonnes de Manuel Maleki, auteur d’une thèse sur l’économie de la réforme. Ou, dans d’autres colonnes, d’un certain Machiavel. Ce dernier parlait si je me souviens bien d’un Prince florentin astucieux qui, placé dans les cordes, avait nommé une brute isolée pour faire le sale boulot ; aussitôt ce sale boulot exécuté, le Prince extermina la brute en question ce qui lui assura une belle popularité auprès des basses castes. Toute ressemblance avec des faits qui pourraient avoir lieu au royaume de France dans les prochains trimestres...

Pour revenir à votre question, hélas l’absence de résultats ne génère pas toujours de l’impopularité. Mitterrand et Chirac ont été réélus, de même que Bush fils et Obama. Le marché politique n’est pas parfaitement concurrentiel, et surtout les électeurs ont tendance à privilégier les intentions au détriment des résultats. Quant à l’idée de ne pas froisser les gens pour rester au pouvoir, cela reste l’approche la plus prudente ; Barre et Madelin et Allègre n’ont pas bien réussi politiquement parlant. Ne jamais exprimer une idée intéressante et sympathiser avec tout le monde, voilà la solution (qui n’est pas réservée au monde politique !). La seule limite est qu’il ne faut pas que cela se voit trop nettement, d’où l’idée de se froisser tout de même de temps en temps mais avec des gens mal représentés ou conceptuels ("la finance", par exemple) (ou "le gaz de schiste", à la rigueur). Philippe Muray parlait des "mutins de Panurge"…

Eric Verhaeghe : Je poserais le problème autrement. Vous restez dans une logique où l'élu mène une politique destinée à garantir sa réélection. C'est un problème. L'enjeu d'un élu n'est pas d'être réélu, mais de servir l'intérêt général. Celui-ci est ingrat par nature. Il exige de prendre des décisions populaires, mais nécessaires. Dans le cas de la France, je dirais même qu'il faudrait des décisions très impopulaires, mais très nécessaires. Celles-ci ne doivent pas viser à "froisser" pour "froisser", mais elles doivent remettre le pays sur les rails. Il est évident qu'aujourd'hui nous sommes allés trop loin dans le laxisme à tous crins.

Cette volonté d'éviter de faire face à la réalité ne va-t-elle pas se heurter à un point de rupture ? Quels seront les catégories sociales qui risquent le plus de payer la stratégie d'évitement des élites politiques ?

Mathieu Mucherie : Comme chez Lampedusa, "il faut que tout change pour que rien ne change".  Les élites sont théoriquement en charge de la conduite du changement ; pour l’Angleterre, Vilfredo Pareto notait qu’elles ont toujours eu sur le long terme l’intelligence de laisser un peu d’ouverture dans le système, alors qu’en France elles verrouillent tout (tout en prétendant le contraire bien entendu). Nous fonctionnons "à la Révolution", comme une marmite trop bien recouverte, et avec un degré de tartufferie impressionnant. Mais comme tous les "observateurs" j’ai déjà prédit maintes fois le point de rupture : c’est comme pour Nobel de Robert Barro ou pour le retour de l’euro à un niveau plus raisonnable après des années d’errance, on en parle mais c’est toujours pour l’année prochaine. La chute de l’URSS n’a été prédite que par des écrivains contestataires, et ils auraient peut-être dû attendre 20 ans de plus s’il n’y avait pas eu un contre-choc pétrolier dans les années 1980. 

Un bon test c’est le débat monétaire. Si on continue à nous perler de redistribution et de justice sociale sans dévaluation de l’euro, ou de "redressement productif" avec des taux qui capitalisent plus vite que l’activité, bref si on continue à se moquer des gens, "on aura les conséquences" comme disait Rueff.

Les catégories sociales les plus exposées payent déjà le prix fort de ce conservatisme bas de gamme, transpartisan  et faux-cul : ce n’est pas un "risque" comme vous dites. Depuis 30 ans, les jeunes sont moins bien traités que les vieux (l’inflation qui tend vers 0% joue beaucoup), et le dualisme CDI / CDI fait des ravages. Nos inégalités ne se voient pas tant dans les statistiques de revenus que dans les privilèges, les statuts ; c’est d’ailleurs pourquoi le travail de Piketty est vain, et rien que cela me redonne un peu de bonne humeur après cet interview déprimante. Vous voyez comme je suis mesquin ; mais c’est le résultat qu’on observe dans toutes les sociétés trop rationnées par la file d’attente !

Eric Verhaeghe : Au point où nous en sommes, soyons clairs, tout le monde va payer. Il faut peut-être dire les choses clairement aux Français. La dépense publique s'est emballée et plus personne ne la contrôle. On peut facilement afficher des réductions, tôt ou tard le boomerang arrivera: les fonctionnaires seront en grève, le service public se dégradera dans des proportions insupportables, les citoyens n'accepteront plus de payer des impôts pour des services qui ne sont pas rendus. La dette va continuer à augmenter. Tôt ou tard, l'Allemagne dira tout haut ce que tous les Européens savent: que la France louvoie pour ne pas tenir ses engagements, parce qu'elle n'est pas capable d'y arriver en l'état. Ce sera le début d'une nouvelle crise de l'euro, et la France se retrouvera dans la même position que l'Espagne.

Face à une classe politique française qui s'est habituée à esquiver les questions des coûts sociaux et politiques, quel pourrait être l’élément déclencheur d'un vrai changement de cette pratique du pouvoir ? 

Eric Verhaeghe : Comme toujours, la prise de parole par le peuple français qui peut tout et qui l'a montré plusieurs fois dans l'Histoire. 

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Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


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