Petit historique des erreurs de l'Europe depuis la fin de la guerre froide (et comment la Russie nous les fait payer aujourd'hui)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les années qui ont suivi la fin de la Guerre froide ont été marquées par des relations tendues, voire conflictuelles entre la Russie et l'Union européenne
Les années qui ont suivi la fin de la Guerre froide ont été marquées par des relations tendues, voire conflictuelles entre la Russie et l'Union européenne
©Reuters

On fait les comptes

Les années qui ont suivi la fin de la guerre froide ont été marquées par des relations tendues, voire conflictuelles entre la Russie et l'Union européenne. Deux voisins qui ne se sont jamais vraiment compris.

Atlantico : La Russie post-soviétique aurait-elle pu constituer un allié de choix pour l'Europe, et à quelles conditions ?

Philippe Migault : Tel était le projet au début. En 1990 le ministre des affaires étrangères disait que son principal dossier était celui de l'intégration de la Russie dans la communauté européenne. En 1991, François Mitterrand, Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev parlaient de la "Maison commune européenne". Ce que voulait Mitterrand, c'était une Union soviétique réformée, convertie à l'économie de marché, à la démocratie, qui serait venue s'appuyer sur une communauté européenne qui était en passe de devenir l'Union européenne. L'Europe et la Russie se complétaient idéalement sur les plans technologique, scientifique et énergétique. C'était bien un allié de choix. Le malaise russe vis-à-vis de l'UE vient du fait qu'un espoir a existé, et qu'il a été déçu.

Philippe Moreau-Desfarges : La Russie aurait pu constituer un partenaire de choix avec l'UE, mais les conditions étaient très difficiles à réunir. Il fallait une Russie qui accepte d'être un pays normal, une démocratie avec des règles de droit précises. Des gestes d'ouverture forts ont été faits à l'égard de la Russie, comme l'entrée dans le Conseil de l'Europe, et dans l'Organisation Mondiale du Commerce. Des pas importants ont donc été effectués.

La Russie a beaucoup reproché à l'UE de s'être élargie vers l'Est. Mais ces États restent indépendants, c'était leur droit. La Russie a été déçu car elle espérait une sorte de Yalta, un partage des zones d'influence avec l'UE.

Pierre-Henri d'Argenson : Poser la question des alliances de l’Europe, c’est supposer que l’Europe dispose d’une autonomie stratégique et d’un projet géopolitique, or ceux-ci ne sont pas plus consistants aujourd’hui qu’ils ne l’étaient au moment de la chute de l’URSS. Pour comprendre l’équilibre actuel, il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu l’Europe de l’Ouest être placée sous protectorat américain, via le plan Marshall puis l’OTAN. Si le général de Gaulle a donné à la France les moyens de conserver des marges d’indépendance, l’Europe dans son ensemble n’était pas en mesure d’opérer un "renversement d’alliance" au profit de la Russie après la fin du communisme, ce qui aurait supposé de regarder les Etats-Unis comme un ennemi. Le vrai enjeu pour les Européens aujourd’hui, c’est d’arriver à concilier deux objectifs : d’un côté, affirmer leur autonomie vis-à-vis de la politique étrangère américaine, qui les entraîne dans une confrontation directe avec la Russie, dont ils n’ont pas les moyens et à laquelle ils n’ont aucun intérêt ; de l’autre côté, affronter le jeu des puissances et donc se donner les moyens de maintenir un rapport de force avec la Russie, sans lequel il ne peut y avoir ni dialogue ni partenariat. C’est ainsi que les relations internationales sont structurées, la grande illusion européenne étant de croire pouvoir y échapper. Quand on voit que l’Union européenne est incapable de monter une mission en Centrafrique, on comprend que la Russie ne soit guère impressionnée par ses menaces de sanctions !

Quels ont été, chronologiquement, les événements qui ont marqué le creusement du fossé entre Russie et Union européenne ? En quoi ont-ils été déterminants ?

Le marasme des années qui ont suivi la chute de l'Union soviétique ‹

Philippe Migault :La Russie s'enfonçait dans le marasme, et de son côté l'Europe construisait son propre projet et semblait se désintéresser de la Russie. Ce qui a culminé avec la condamnation de la première et de la seconde guerre en Tchétchénie.

Philippe Moreau-Desfarges :Le système économique russe, aux mains des oligarques, s'est révélé très opaque, et ne pouvait de fait pas être accepté par les Européens.

Guerre du Kosovo

Philippe Migault :Les Britanniques et les Français se sont alignés sur la politique étasunienne, ont bombardé un allié de la Russie, et ce au méprise des résolutions du Conseil de sécurité des Nation-Unies, le tout dans le cadre d'une crise yougoslave, déclenchée, faut-il le rappeler, par la reconnaissance unilatérale par l'Allemagne de l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Les Russes se sont faits la réflexion que les Européens méprisaient le droit international, et qu'ils s'alignaient sur les Etats-Unis.

Choix diplomatiques sur l'Irak et la Syrie

Philippe Migault :Mis à part le dossier irakien, sur lequel les Français, les Russes et les Allemands se sont rejoints dans une même opposition, les Russes ont constaté que les Européens s'alignaient de plus en plus sur les États-Unis. Ce fut le cas avec la Syrie.

Projets de coopération

Philippe Migault :A chaque fois que la Russie a tendu la main, ses offres ont été refusées. Coopération militaire, énergétique, politique… rien n'a été concrétisé.

Projet anti-missiles en Europe

Philippe Migault :La Russie a proposé sa coopération, sans suites. Seule la France au sein de l'Union européenne l'a soutenue ; les autres s'y sont opposés.

Intervention russe en Géorgie

Philippe Migault : Rappelons que dans le cas géorgien, L'UE a reconnu dans un rapport le caractère hostile des opérations géorgiennes. En revanche certains États européens, notamment baltes, ont tenu des déclarations hostiles à la Russie. Ces mêmes États ont rejoint l'OTAN avec le soutien de tous les pays européens, et la Russie n'a pu que considérer que cela allait contre ce qui avait été convenu au moment de la réunification de l'Allemagne.

Philippe Moreau-Desfarges :L'opposition entre la Russie et l'UE a été avivée par l'affaire du Kosovo, et confirmée par la Géorgie. Ce sont ces deux moments qui ont marqué le tournant, qui ont fait entrer la Russie et les Occidentaux dans une véritable confrontation.

Indépendance de la Crimée

Philippe Migault : Les Européens, avec le concours des Russes, avaient mis en place un accord entre Ianoukovitch et son opposition, le 21 février dernier. Cet accord a été balayé par la rue, et les Européens s'y sont rangés. Pour la diplomatie russe, cela a été assimilé à un aveu de faiblesse, voire de complicité avec les éléments les plus nationalistes de l'Ukraine. La rupture de cet accord a été vécue par les Russes comme une trahison supplémentaire, qui n'a fait qu'accentuer la mésentente entre la Russie et l'UE.

Philosophiquement, la Russie et l'Union européenne étaient-elles de toute façon compatibles ? La barrière culturelle était-elle trop élevée ?

Philippe Moreau-Desfarges :Le désaccord actuel entre l'UE et la Russie est foncièrement idéologique. L'UE désire un monde avec des Etats ouverts, qui respectent les mêmes règles, et qui sont des États de droit. La Russie résonne dans une logique géopolitique classique, avec des grandes puissances qui ont certains droits sur d'autres États plus faibles. Même en matière économique, aux yeux des Européens le système des oligarques pose problème.

Pierre-Henri d'Argenson : La vraie barrière philosophique, c’est que l’élite européenne est convaincue que la "culture", "l’identité", les "racines" sont des concepts arriérés, et que le seul avenir des peuples est leur dissolution dans une grande société-monde, fondée sur le commerce et la consommation, dont l’Union européenne constitue l’avant-garde. Pour elle, tout pays qui ne manifeste pas la volonté d’adhérer à cette Union est forcément en retard de l’Histoire. Or il y a des constantes géopolitiques, que la chute du communisme n’a pas effacées, et parmi celles-ci, la division entre un ensemble européen et un ensemble eurasien, qui ne pourront probablement jamais "fusionner", et c’est une excellente chose, car les rêves d’unité globale ont toujours été portés au mieux par les empires, au pire par les conquérants totalitaires. Ceci étant dit, il faut refuser avec tout autant de force le discours qui voudrait présenter cette différence comme une source de confrontation insurmontable. La Russie partage des racines communes profondes avec l’Europe, qu’il faut cultiver et enrichir au plus haut niveau, celui de la science, de la littérature, des arts, de la spiritualité, et pas seulement celui de ces sacro-saints "accords commerciaux" que même les peuples européens ne veulent plus se voir imposer comme l’alpha et l’oméga de leurs projets et de leurs valeurs.

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