Voilà comment les politiques publiques affectent croyances et préférences privées (et ce que ça révèle sur la vaccination obligatoire)<!-- --> | Atlantico.fr
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Une médecin vaccine une salariée avec le vaccin Pfizer BioNTech contre la Covid-19 dans un centre de vaccination à Leverkusen, en Allemagne, le 22 juin 2021.
Une médecin vaccine une salariée avec le vaccin Pfizer BioNTech contre la Covid-19 dans un centre de vaccination à Leverkusen, en Allemagne, le 22 juin 2021.
©INA FASSBENDER / AFP

Effets sur la campagne vaccinale

Deux chercheurs ont essayé de déterminer comment la mise en place de certaines politiques agissait sur les croyances et les préférences des individus en Allemagne. Ils se sont notamment interrogés sur l’effet que pourrait avoir une vaccination obligatoire dans le pays.

Katrin Schmelz

Katrin Schmelz

Katrin Schmelz est psychologue et économiste, membre du pôle d'excellence "The Politics of Inequality" à l'université de Constance (Allemagne).

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Samuel Bowles

Samuel Bowles

Samuel Bowles est professeur de recherche à l'Institut de Santa Fe, où il dirige le programme des sciences comportementales, au Nouveau-Mexique (États-Unis).

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Atlantico : Votre article étudie comment la mise en place de certaines politiques affectent les croyances et les préférences. Vous identifiez deux effets principaux : le cadrage (framing) et l'apprentissage (learning). Quels sont, concrètement, ces effets ? Quand l'un se produit-il plutôt que l'autre ou comment sont-ils liés l'un à l'autre ?

Samuel Bowles : Une politique encadre une action lorsqu'elle dit au citoyen : "De quel type de décision s'agit-il, est-ce comme une interaction avec des amis et la famille - les normes éthiques seraient pertinentes - ou comme faire des courses pour acheter une voiture au prix le plus bas possible (où l'intérêt personnel amoral pourrait être acceptable) ?".  Obliger les citoyens à faire certaines choses peut les amener à penser que quelqu'un d'autre - le gouvernement – s’est déjà chargé du raisonnement éthique, et que l'intérêt personnel est donc acceptable. Un exemple de la manière dont les politiques affectent les préférences peut être pris avec la vaccination contre le COVID-19 : Nos données montrent qu'en cas de vaccination volontaire, les Allemands sont plus nombreux à préférer être vaccinés qu'en cas de vaccination obligatoire.

Katrin Schmelz :  Des politiques différentes peuvent avoir des effets d'apprentissage à long terme en exposant les gens à des expériences différentes. Les personnes nées, comme moi, en Allemagne de l'Est sous le régime communiste ont eu beaucoup plus d'expérience avec les actions obligatoires, y compris concernant les vaccinations. Plus de 30 ans après la réunification de l'Allemagne, ils ont exprimé moins d'opposition aux politiques de vaccination obligatoires contre le Covid-19 que les Allemands de l'Ouest du même âge.  Le cadrage est un effet à court terme. L'apprentissage dure des décennies, comme le montrent nos données.

Comment la confiance du public dans les institutions affecte-t-elle la réaction des gens ? 

Samuel Bowles et Katrin Schmelz : Les individus qui déclarent avoir une plus grande confiance dans le gouvernement, la science et les médias sont beaucoup plus susceptibles de soutenir la vaccination, volontaire comme obligatoire. De plus, cette confiance dans les institutions publiques réduit l'opposition à l'application de la loi. Les personnes dont la confiance dans les institutions publiques a diminué entre la première et la deuxième vague de la pandémie ont également réduit leur soutien à la vaccination, surtout si elle est obligatoire.

La question de la vaccination obligatoire fait actuellement l'objet d'un débat en France, tant pour les professionnels de santé que pour la population globale. Votre étude peut-elle nous éclairer sur la manière dont cela affecterait le processus vaccinal ?

Katrin Schmelz : L'obligation vaccinale contre la rougeole, par exemple, est un élément essentiel des politiques de santé publique dans le monde. Nous ne pensons pas qu'il y ait d'objections morales convaincantes à la décision d’imposer la vaccination contre les maladies hautement infectieuses. Mais si l'objectif est de mettre fin à la pandémie le plus rapidement possible avec le moindre coût humain et matériel, nos données suggèrent qu'il pourrait y avoir un inconvénient à rendre obligatoire la vaccination contre le Covid-19. En effet, cela pourrait avoir un impact négatif important sur l'adhésion volontaire au vaccin.

Samuel Bowles : Il pourrait être impossible de mettre fin à la pandémie dans un temps raisonnable en forçant la main des citoyens. Dans tous les cas, cela pourrait entraîner des coûts, notamment une aggravation des conflits sociaux et une aliénation supplémentaire des citoyens vis-à-vis du gouvernement ou des élites professionnelles. Il pourrait en résulter une cascade négative de méfiance de la part du public, qui alimenterait la résistance aux vaccins, ce qui nécessiterait une action coercitive plus étendue et éroderait davantage la confiance du public.

Quelle est, selon vous, la meilleure option pour faire vacciner les gens contre le Covid 19 ? et plus largement pour agir sur de tels enjeux mondiaux ?

Samuel Bowles et Katrin Schmelz : Nous ne savons pas, bien sûr, si les résultats d'une enquête allemande s'appliqueraient à la France.

Trois choses cependant. Premièrement, il s'agit de renforcer la confiance du public, grâce à une plus grande transparence et à la responsabilisation des élites politiques et professionnelles.

Deuxièmement, notre enquête suggère que le fait de convaincre les citoyens que le vaccin est efficace améliorera la disposition de ces derniers à se faire vacciner.

Troisièmement, la psychologie a démontré que le conformisme est une incitation puissante. Cela suggère que, plus le nombre de personnes vaccinées augmente, plus la résistance diminue (bien qu'il semble que certaines personnes résisteront toujours à la vaccination). Notre modèle suggère que même si la fraction de personnes prêtes à se faire vacciner volontairement est initialement modeste, le fait de signaler la prévalence des personnes déjà vaccinées ou prêtes à l'être peut suffire à inciter d'autres personnes à abandonner leurs hésitations en matière de vaccination dans une réaction en cascade vertueuse. À l'inverse, l'attention portée par les médias aux personnes refusant le vaccin pourrait également générer une cascade de résistance au vaccin par conformisme.

Nos résultats peuvent être porteurs d'enseignements au-delà de l'étude COVID-19. Envisageons l’exemple des politiques publiques pour faire face au changement climatique. Le maintien des valeurs environnementalistes sera essentiel pour l'adoption et la mise en œuvre des politiques obligatoires nécessaires. En outre, des normes sociales vertes seront nécessaires pour réduire l'empreinte carbone de nos modes de vie personnels, étant donné les capacités limitées de l'État à faire respecter la loi dans ce domaine et les préoccupations relatives à la protection de la vie privée. Nous devons veiller à ce que les politiques adoptées ne détruisent pas les valeurs nécessaires pour atteindre les objectifs de ces dernières.

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