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Taxe Tobin : tirons enfin les leçons 
de la précédente taxe Chirac 
sur les billets d'avion
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Concours Lépine de l’impôt

Nicolas Sarkozy a réaffirmé lundi son ambition de mettre en place une taxe sur les transactions financières, malgré l'hostilité de Berlin. Une mesure qui, à l'aune de la taxe de solidarité sur les billets d’avion mise en place en 2005 par Jacques Chirac, ne serait pas nécessairement bénéfique pour la France...

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Les puissants d’autrefois aimaient laisser des monuments magnifiques pour assurer leur place dans l’histoire humaine ; nos deux derniers présidents semblent surtout aspirer à laisser leur nom à une taxe. On a sans doute les dirigeants que l’on mérite.

Des deux quinquennats de Jacques Chirac, il restera sa fameuse taxe de solidarité sur les billets d’avion mise en place à partir de 2005. De celui, finissant, du Président Sarkozy, tout un chapelet de prélèvements nouveaux ou accrus dont la taxe sur les transactions financières - la dernière en date mais peut-être pas la dernière tout court - quatre mois avant l’élection, c’est beaucoup au rythme adopté par le gouvernement…

Les deux témoignent des mêmes erreurs. La taxe Sarkozy connaîtra très logiquement les mêmes déboires.

Dans les deux cas, voilà une idée terriblement séduisante par sa simplicité et ses bonnes intentions : avec des prélèvements minimes sur quelques privilégiés - les voyageurs pour qui 1euro de plus ou de moins sera indolore d’une part, les odieux financiers d’autres part -, on va pouvoir résoudre une partie des problèmes du monde : sous-développement et sida dans le premier cas, crise mondiale dans l’autre. Dans les deux cas, une idée dont on sait qu’elle n’est réellement applicable que si l’ensemble des pays l’appliquent, sans aucune exception. Cette condition devrait suffire à convaincre des décideurs rationnels d’abandonner le projet. James Tobin lui-même n’a-t-il pas renié sa proposition qui n’était, en substance, qu’un fantasme d’économiste, une sorte d’utopie fiscale ? Plusieurs erreurs de jugement ont pu et peuvent permettre de motiver la volonté de tenter l’expérience quand même.

Première erreur : l’idée invoquée dans les deux cas selon laquelle il faut que quelques pays fassent le premier pas pour emporter à sa suite l’adhésion de tous les autres. Il est au contraire très intéressant pour un pays de ne pas adopter ce type de mesure une fois que les autres l’ont fait, puisque l’absence de taxation crée de fait un avantage concurrentiel. Dans le cas de la taxe Chirac, seule une petite trentaine d’États ont suivi, et paradoxalement surtout des pays en voie de développement. Pour ce qui est de la taxe Sarkozy, on peut d’ores et déjà parier que des pays tels que le Royaume-Uni, Singapour et évidemment les États-Unis ne signeront jamais. Il est probable que personne ne souhaite plus l’application de cette taxe que, disons, le Premier ministre britannique David Cameron : la City de Londres profiterait à l’évidence d’un afflux de sociétés fuyant la taxe !

La seconde erreur, qui découle de la première, concerne le rendement effectif de la taxe. On attendait 10 milliards de la taxe Chirac, ce furent en réalité 300 millions qui rentrèrent dans les caisses [1]- et encore, avec des prélèvements allant jusqu’à 40 euros par billet pour les vols en classe supérieure [2]bien loin des innocents et indolores 1 euro annoncés.

Troisième erreur, la plus grave sans doute : la croyance en la facilité de réalisation - « l’intendance suivra », n’est-ce pas ? La commission parlementaire réunie en février 2011, faisant suite à un rapport de la cour des Comptes sur la taxe Chirac, a stigmatisé une usine à gaz coûteuse en termes de recouvrement - la mise en place elle-même a coûté 90 Millions d’euros de frais d’avocats [3] - et surtout un emploi des fonds plus qu’opaque qui interdit de dresser un vrai bilan de l’efficacité du dispositif et de vérifier qu’il n’existe pas de gros gaspillages. Il y a fort à parier que la taxe sur les transactions financières se révélera au moins aussi compliquée à mettre en place, coûteuse à organiser, décevante dans ses recettes, et catastrophique dans ses conséquences pour notre propre industrie financière. En somme, aveuglés par leur idéalisme - ou leur désir de faire preuve de volontarisme -, nos deux présidents veulent dans les deux cas ignorer la pragmatique réalité : « ça ne marche pas », tout simplement. Dans la vie comme en économie, une chose ne devient hélas pas possible parce qu’elle est souhaitable. 

[1] Chiffre rappelé par M. Douste-Blazy, président d’Unitaid, lors de son audition par la commission des Finances de l’Assemblée, le 15 février 2011.

[2] Le montant de la taxe varie de 1 à 40€, en fonction essentiellement de la distance et de la classe.

[3] Chiffre apporté par M. Alain Pichon, président de formation interchambres à la Cour des comptes, lors de son audition par la commission des Finances de l’Assemblée, le 15 février 2011.

Au-delà des deux erreurs mentionnées, nos deux présidents partagent - avec bien d’autres responsables actuels et passés ! - une même conception déformée de l’impôt qui prospère aujourd’hui en France. On est loin de la simple « contribution commune » à « l’entretien de la force publique et aux dépenses d’administration » dont parlait l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. L’impôt correspond aujourd’hui non seulement à une punition sociale légitime par principe - le riche est coupable en tant que riche -, mais surtout l’État s’est adjugé un droit de tirage infini sur la richesse créée. En se livrant à un véritable concours Lépine de l’impôt - sodas, Mutuelles, TVA, transactions financière - notre président accrédite l’idée selon laquelle toute richesse est un réservoir dans lequel l’État peut puiser à volonté, au mépris du plus élémentaire droit de propriété. Pour le coup, l’erreur est de penser que tout ce qui est possible en matière fiscale est forcément souhaitable ! 

Il est vrai qu’aller « prendre l’argent là où il se trouve », pour adopter une phraséologie d’ultra-gauche, est toujours plus facile que de rationaliser la dépense publique. On préfère sacrifier nos forces vives au Minautore insatiable qu’est l’État, plutôt que d’essayer de le dompter. Tout cela est dans la droite ligne des « plans d’économie » présentés par le gouvernement consistant pour 90% en des prélèvements supplémentaires, et pour 10% en des baisses de dépense. Il s’agit d’un bien mauvais calcul à long terme - mais le long terme n’est pas, on le comprend, le véritable horizon de nos politiques. Il n’y a rien de plus urgent que d’aider les entreprises à produire mieux et plus. Elles sont les seules à créer la richesse dont nous avons besoin pour garantir notre système de protection et de redistribution. La politique de l’offre qui correspond à cette exigence repose sur une baisse des prélèvements, quels qu’ils soient. Voilà un objectif auquel nos dirigeants feraient mieux de consacrer leur inventivité et leur énergie.

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