Rappel à l'ordre : les écoutes de la NSA jugées anti-constitutionnelles… Mais qu'aurait à dire le Conseil constitutionnel de celles du renseignement français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les écoutes de la NSA entrent en opposition avec la Constitution des États-Unis.
Les écoutes de la NSA entrent en opposition avec la Constitution des États-Unis.
©Reuters

Libersécurité !

Les révélations d'Edward Snowden sur les pratiques de surveillance des services secrets aux États-Unis et en Europe ont suscité l'indignation dans le monde entier. Pour la première fois lundi 16 décembre, un juge américain a qualifié les écoutes de la NSA d'anticonstitutionnelles tandis que l'avocat de la Cour de justice de l'Union européenne s'en prend à une directive de conservation des données qu'il considère comme une "ingérence aux droits fondamentaux des citoyens".

Etienne  Drouard

Etienne Drouard

Etienne Drouard est avocat spécialisé en droit de l’informatique et des réseaux de communication électronique.

Ancien membre de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), ses activités portent sur l’ensemble des débats de régulation des réseaux et contenus numériques menés devant les institutions européennes, françaises et américaines.

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Atlantico : Un juge fédéral américain a estimé lundi 16 décembre que les écoutes de la NSA entraient en opposition avec la Constitution des États-Unis (voir ici). Dans quelle mesure peut-on comparer cela aux écoutes de la DGSE en France révélées par le journal Le Monde ?

Etienne Drouard : Il n'est pour l'instant pas possible de faire un véritable parallèle entre ces deux affaires puisque les écoutes de la DGSE sont encadrées par une loi qui date de 1991 et qui porte sur le contenu de correspondance, c’est-à-dire sur les appels téléphoniques et les messages électroniques. Ces écoutes sont placées sous le contrôle d'une autorité indépendante, la CNCIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité) et sont limitées en nombre, doivent être justifiées dans leur objet et limitées dans leur durée. Ces éléments sont autant de points de débat dans l'affaire des écoutes de la NSA puisque l'agence américaine n'a qu'à justifier d'une mission pour mettre en place les siennes… Ces missions consistent essentiellement en ce que l'on appelle aux États-Unis la "sécurité nationale". C'est donc bien plus contrôlé en France et les écoutes de la DGSE que vous évoquez n'entrent pas en contradiction avec la Constitution dès lors qu'elles sont conformes aux lois en vigueur.

Quelle surveillance pourrait entrer, ou bien entre actuellement en opposition avec notre Constitution ?

Ces écoutes, si elles ne passaient pas par ces contrôles, seraient en contradiction avec la loi, mais pas avec la Constitution en tant que telle. Toutefois, ce qui devrait poser question en France au législateur français, c'est la loi de programmation militaire qui a été adoptée le 11 décembre et pour laquelle il n'y a pas, à l'heure où je vous parle, de recours prévu devant le Conseil constitutionnel sur l'article 20.

Cet article prévoit en effet de prendre connaissance de n'importe quel éléments de trafic, comme le fait la NSA : date et heure, parcours sur internet, Login et mots de passe, etc. Ainsi, un certain nombre de services (DGSE, DCRI, police administrative, douanes) seront habilités à demander ces informations auprès des fournisseurs d'accès, des opérateurs télécoms et des hébergeurs de service en ligne mais aussi à solliciter les réseaux privés de ces opérateurs. C'est à dire un branchement direct à ces derniers, alors que jusque-là il ne s'agissait que de requêtes ponctuelles.

Par ailleurs, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne a estimé que la directive européenne 2006/24/CE sur la conservation des données "constitue une ingérence caractérisée dans le droit fondamental des citoyens au respect de la vie privée". Comment en sommes-nous arrivés là ? L'Europe est-elle malade de la surveillance de ses citoyens ?

Cette directive a fait, à l'époque de sa mise en place, l'objet de grands débats entre les défenseurs des libertés publiques d'une part et les tenants d'une certaine ingérence sécuritaire dans les réseaux de communication. Cela avait donc abouti à une rédaction ayant pour but de ménager les différentes parties en assortissant les mécanismes de systèmes de protection des droits constitutifs d'une société démocratique. La directive a ensuite été transposée dans chaque État membre, ce qu'en France nous avions anticipé par notre loi de 2006 de lutte contre le terrorisme, qui faisait suite à une autre loi de 2004 dite "pour la confiance dans l'économie numérique". Nous avions donc d'ores et déjà un appareil procédural bien établi.

Ce qui vient de se passer, c'est que l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne estime que rien dans l'application de cette directive au niveau des États ne garantit pas la possibilité d'un contrôle judiciaire quand on remet en cause les libertés dans ce cadre. Ainsi, le consensus européen ne serait pas équilibré puisque mettre en place des mécanismes contradictoires ne suffit pas à justifier que les citoyens européens soient surveillés pour de bonnes raisons lorsqu'ils le sont.

Comment pourrions-nous éviter de "marcher" sur les libertés individuelles sans pour autant remettre en cause la sécurité du territoire européen sur laquelle s'appuie cette directive, et plus généralement ce genre d'initiatives sécuritaires ?

En étant professionnels ! En effet, le dialogue liberté/sécurité est dans certains pays du même niveau que peut parfois l'être le dialogue patronat/syndicat en France. C'est à dire peu mature et fondé sur une logique d'affrontement. Ainsi, à force que de limiter le débat à des positions caricaturales telles que : "les libertaires sont contre toute surveillance et les sécuritaires puisqu'ils assurent des missions légitimes peuvent tout se permettre", nous n'avancerons pas. Ce dont nous avons besoin, c'est de mécanismes de contrôle de ces pratiques sans pour autant faire preuve d'ingérence au sein des services de surveillance. Il faut par exemple "historiser" les requêtes de chaque service, rattacher les requêtes à un motif, prévoir des durées limités de conservation des données recueillies et supprimer celles qui, une fois analysées, n’ont aucun lien avec une problématique de sécurité publique ou de l’Etat, etc. Ce n'est pas parce que l'on est porteur d'une mission de sécurité au nom de l'Etat que personne ne peut contrôler que l'on utilise bien les informations dans ce but. C'est par exemple déjà le cas au niveau de la consultation de certaines des bases de données par les policiers, pour lesquelles ils ont un identifiant personnel, ils doivent entrer un numéro de procédure afin que l'on puisse relier leurs recherches à un objectif précis et ainsi juger si nécessaire de la pertinence et de la justification de celles-ci. Cela ne veut donc pas dire qu'on va vers "moins de sécurité" mais que l'on va faire "mieux la sécurité".

Ces scandales et ces accusations successifs font-ils vraiment changer les pratiques ou ne font-ils que changer les textes ? S'agit-il d'une poudre aux yeux démocratique ?

En matière de surveillance électronique, il existe un point commun entre les dictatures et les démocraties : il serait irresponsable pour leur avenir de ne pas surveiller les réseaux de communication. Leur grande différence en la matière réside cependant dans la manière de le faire.

Lorsqu'il y a aux États-Unis un débat public qui aboutit à la décision d'un juge sur une question de constitutionnalité, cela peut remonter jusqu'à la Cour suprême. Il y a là soit un "couvercle" qui étouffera le débat en jugeant que la loi est conforme à la Constitution, soit, au contraire, une modification législative si la Cour suprême estime qu'il y a contrariété avec la Constitution.

En France, le processus est à peu près le même, par l'initiative de contrôles parlementaires qui peuvent mener devant le Conseil constitutionnel avant que la loi ne soit adoptée ou par la "question prioritaire de constitutionnalité" une fois la loi adoptée. Ces mécanismes de réaction publique ne sont donc pas dénués d'effet à la condition que quelqu'un s'en serve adroitement.

Là où il y a un effet de poudre aux yeux, c'est au niveau de la surface des débats : puisqu'il y a du danger partout et que l'on n'a rien à se reprocher, il n'est pas grave que notre vie privée soit violée. La question de fond est plutôt de savoir si l'on veut tout surveiller sans qu'il y ait une différence de traitement entre un potentiel terroriste et un citoyen lambda qui n'a rien à se reprocher. Or, en démocratie, il ne s’agit pas de protéger la vie privée des terroristes, mais de contrôler les outils qui permettent de les détecter parmi des informations qui concernent toute la population.

Ces questions devraient aboutir à des équilibres raisonnables et à des processus rigoureux, jusqu'à présent prétendument trop techniques pour intéresser qui que ce soit. Ce débat doit sortir de la vision manichéenne qui consiste à dire que les libertaires défendent les terroristes et que les sécuritaires sont les chevaliers du bien pouvant échapper de ce fait à tout contrôle. Or, il a été phagocyté du côté libertaire par des gens qui dénient à l'Etat la légitimité de son action,  et du côté sécuritaire, par des parlementaires qui craignent d'être taxés de laxisme. Et pourtant, ce débat relève bien d'une question de premier ordre qui se situe dans l'équilibre entre sécurité et liberté, rien de moins. Un débat qui semble échapper à l’opinion publique en raison de la présentation qu’on en fait trop souvent : courte, clivante et dogmatique.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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