Mal conclu
Pourquoi Olivier Besancenot a raison de s’inquiéter de la répartition de la valeur entre capital et travail depuis 20 ans et complètement tort dans les conclusions qu’il en tire
Dans une logique de critique de l'économie de marché, Olivier Besancenot a déclaré lors d'une intervention sur RMC : "Quand 100 euros de richesse étaient produits en 1980, 4 euros revenaient aux actionnaires. Maintenant, on est à 25 euros : les vrais privilégiés, ils sont là." Une évolution qui avait pu également être mise en avant par une étude relayée par les Echos en 2013 qui pointait du doigt le fait que la distribution de dividendes avait été multipliée par 7 sur les 20 dernières années.
Alexandre Delaigue
Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net
Michel Ruimy
Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.
Dans une logique de critique de l'économie de marché, Olivier Besancenot a déclaré lors d'une intervention sur RMC : "Quand 100 euros de richesse étaient produits en 1980, 4 euros revenaient aux actionnaires. Maintenant, on est à 25 euros : les vrais privilégiés, ils sont là." Une évolution qui avait pu également être mise en avant par une étude relayée par les Echos en 2013 qui pointait du doigt le fait que la distribution de dividendes avait été multipliée par 7 sur les 20 dernières années. En quoi ce constat peut-il effectivement pointer du doigt une problématique liée à la forme du capitalisme actuel, sans toutefois le remettre en cause ?
Michel Ruimy : Tout d’abord, caractériser le capitalisme n’est pas chose facile. En témoigne la multiplicité des épithètes qui l’accompagnent : capitalisme marchand, industriel, financier, patrimonial, familial mais aussi capitalisme moderne, post-moderne et enfin, capitalisme anglo-saxon, rhénan, asiatique…
Peut-on lier cette critique à ce qui semble être désigné comme le "néolibéralisme" ou parfois "capitalisme financier" qui se détournerait d'une économie de marché équilibrée qui bénéficie au plus grand nombre, comme cela a pu être le cas lors des 30 glorieuses ?
Michel Ruimy : Pourquoi avoir abandonné le capitalisme qui symbolisait la période des Trente Glorieuses ? Une première réflexion serait de dire que, dans les années 1970, l’inflation était considérée comme un fléau redoutable pour l’économie et que les chocs pétroliers ont poussé à un nouveau paradigme de pensée : le libéralisme. Or, aujourd’hui, les tensions inflationnistes sont relativement faibles et la lutte contre ce phénomène n’est plus une difficulté. Faire la promotion du plein emploi au travers d’une politique monétaire optimale ne serait pas un obstacle.
Dans l’environnement actuel, les pays développés ont toutes les cartes en main pour se reprendre. Une refondation / transformation du modèle social semble importante. Car les nouveaux défis que sont la robotisation, la digitalisation, le taux de rotation d’un emploi à un autre… seront bien moins lourds à porter en s’accordant sur ces principes.
Le libéralisme, dans sa version des XVIIIème et XIXème siècles, s’est échoué en 1929 pour muter en une nouvelle forme qui laissait un plus grand rôle à l’État, en se reposant sur les notions de plein emploi et de modèle social. Puis, ce capitalisme intégré a laissé la place à un renouveau « libéral » à la charnière des années 1970-1980. C’est cette dernière forme qui s’est effondrée en 2008. En effet, le capitalisme se transforme au fil des crises. Mais la version du XXIème siècle tarde à apparaître. C’est cette inaction qui ouvre la voie à toutes les contestations et à la montée des populismes.
Comment arriver à rétablir la situation et permettre un partage plus égalitaire de la valeur ajoutée, sans en passer par la contestation de l'économie de marché en elle-même ?
Alexandre Delaigue : Il faudrait déjà en avoir la volonté, et on en est loin! en supposant que cela soit le cas, il y a quelques pistes. Réformer les banques centrales pour qu'elles soient moins paranoiaques envers l'inflation et plus favorables au plein emploi. Réformer la fiscalité au niveau international (pour éviter la concurrence fiscale) pour la faire porter sur le capital non investi. Taxer la terre, taxer la fortune, réduire la durée de la propriété intellectuelle, par exemple. On pourrait aussi envisager, comme le faisait Keynes, une dose de "socialisation" de l'investissement. Après tout nous avons besoin de biens collectifs, changer la production d'énergie, éviter le réchauffement climatique et autres risques écologiques : cela peut légitimer des investissements publics massifs qui se substituent à l'investissement privé devenu insuffisant et défaillant. Il y a beaucoup de possibilités mais les équilibres politiques pour les appliquer ne sont pas là. Le résultat, hélas, c'est de voir arriver des populistes qui feront des promesses qu'ils ne peuvent pas tenir.Michel Ruimy : Il n’existe pas de théories macroéconomiques concernant le partage satisfaisant de la valeur ajoutée c’est-à-dire permettant de déterminer leur clef socialement ou économiquement optimale à un temps donné. Cette absence laisse la place à des recommandations politiques qui peuvent aller soit dans le sens d’une majoration de la part du travail, soit, à l’inverse, d’une augmentation du taux de marge. Comme on ne peut rien dire, on ne peut rien recommander ! C’est pourquoi, le partage de la valeur ajoutée, observé en France, apparaît relativement stable depuis une vingtaine d’années d’autant que, si les actionnaires captent une part élevée de la valeur ajoutée, ce partage se situe en aval du partage salaires / profits.L’inefficacité économique de cette configuration du capitalisme et ses conséquences sociales dramatiques exigent de rompre avec ce système. La question est donc de savoir comment sortir voire réformer la logique du capitalisme financier ?Si les solutions ne sont pas évidentes, commençons par affirmer que le développement des fonds éthiques n’est pas une solution : l’investissement socialement responsable entérine la logique des marchés financiers et conforte la logique du capitalisme en revendiquant le contrôle des entreprises sur la base des droits de propriété.Cette démarche revient à laisser à quelques actionnaires et dirigeants le soin de produire et d’énoncer les normes des bonnes pratiques sociales et environnementales. Dans le même ordre d’idée, la démarche de certains syndicats choisissant d’accepter les règles du jeu pour chercher à « peser de l’intérieur » afin de mettre la finance de marché au service d’une perspective de long terme respectueuse de l’emploi, des retraites et de la rentabilité économique paraît plus que jamais hypothétique voire antinomique avec le capitalisme patrimonial, fondé sur les droits de propriété privée.De manière plus générale, l’appel à l’éthique sur une question qui touche aux rapports de classe va de pair avec l’abandon de toute perspective de transformation sociale. En remettant à des considérations éthiques des choix politiques entrant dans des rapports de forces sociaux précis, on choisit de ne plus remettre ceux-ci en cause.Au total, et sans épuiser toutes les conséquences, on observe que le capitalisme financier est extrêmement instable et que les conséquences pèsent sur les économies nationales et les salariés... Répondre à cette instabilité ne peut se faire que par un retour de la règlementation étatique ou inter-étatique. Le retour à un financement de l’économie davantage maîtrisé par la puissance publique est également indispensable. Enfin un accroissement du pouvoir des salariés dans les entreprises face à celui tout puissant aujourd’hui des actionnaires est une nécessité absolue afin de faire entendre l’intérêt général face à l’intérêt de quelques-uns...
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