Possible fuite des dirigeants du Hamas de Doha à Alger : mais où va l'Algérie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De gauche à droite : le président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas ; le président Algérien, Abdelmadjid Tebboune, le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh. Alger, 5 juillet 2022.
De gauche à droite : le président de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas ; le président Algérien, Abdelmadjid Tebboune, le leader du Hamas, Ismaël Haniyeh. Alger, 5 juillet 2022.
©Photo PPO / AFP

Base arrière ?

Selon des sources qataries, les autorités de l’Emirat auraient invité les dirigeants politiques du mouvement terroriste à évacuer vers l’Algérie faute de pouvoir garantir leur sécurité

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Le Qatar demande au Hamas d’évacuer Doha. Entre les lignes, qu’est-ce que ça signifie ?

Alexandre Del Valle : Le Qatar est embarrassé parce que les Émirats et l’Arabie Saoudite sont en guerre totale contre les Frères Musulmans. Ils reprochent au Qatar, depuis le Printemps Arabe, d’avoir voulu utiliser les Frères Musulmans pour renverser tous les régimes arabes. Par ailleurs, le Hamas est une organisation terroriste pour les Émirats, pour l’Égypte et pour l’essentiel des pays de l’accord d’Abraham. Ils ne supportent pas que le Qatar continue à les héberger. Cette hostilité est plus grande encore qu’à l’égard de l’Iran.

Les Israéliens ont dû faire comprendre aux Qataris qu’on ne pourrait pas les empêcher de commettre des assassinats ciblés tant que les chefs du Hamas n’auront pas été tués par les israéliens. Ils ont dû les prévenir car parfois, l’opération d’élimination sur un autre territoire, s’effectue en bonne intelligence avec les services de ce pays. Le Mossad va se charger d’éliminer Ismaël Haniyeh, membre du Hamas. Il menace de lui provoquer « des petits problèmes cardiaques ». Le Qatar n’étant pas en mesure d’empêcher le Mossad de frapper des cibles chez eux, il a un prétexte pour dire à ses amis de quitter le territoire. 

Aujourd’hui, le Qatar a une position intenable. Il y a des bases américaines sur son sol et il est lié à tous les pays pro-occidentaux. Il finance les Frères Musulmans en Occident. Il finance, et soutient politiquement le Hamas, d’où partent les appels aux crimes mondiaux, y compris à tuer des juifs un peu partout. C’est devenu intenable pour le Qatar. Il était certain que soit le Qatar devenait un paria, soit il allait se débarrasser des chefs du Hamas.

Selon le compte Gaza Report sur X, le Qatar aurait demandé aux dirigeants du Hamas d’évacuer vers trois destinations possibles : l’Iran, le Liban et l’Algérie. Qu’est-ce que cela dit de l’orientation des dirigeants algériens et notamment de leur relation avec les Frères musulmans ?

Il est vrai que l’Algérie a eu des contentieux depuis les années 1989 avec les Frères Musulmans. Le gouvernement algérien avait combattu le GIA (Groupe Islamique Armé) jusqu’à la fin des années 90 dans une guerre qui a fait 200 000 morts. L’Algérie était alors clairement contre les Frères Musulmans puisqu’elle leur avait interdit l’accès au pouvoir. Mais quand Bouteflika est arrivé au pouvoir, dans les années 90 ; il a mis fin à la guerre civile en faisant des concessions aux islamistes Frères Musulmans qui déposaient les armes. En échange du dépôt des armes et de la fin du djihadisme, des concessions ont été données à des partis politiques proches des Frères Musulmans qui, par conséquent, étaient respectabilisés.

l’Algérie est un pays qui tolère les Frères musulmans dès lors qu’ils sont sous contrôle. Ce n’est qu’une tolérance qui est liée à la concorde civile. Donc, si le Hamas est accueilli en Algérie, il sera très surveillé et il n’est pas sûr qu’il puisse faire ses appels au crime comme il le faisait ailleurs.

Ce qui est aussi tentant pour l’Algérie, c’est de devenir le leader des non-alignés et être chef de file de la dénonciation de l’Occident. L’Algérie s’est beaucoup rapprochée de la Russie et un peu de l’Iran. L’Algérie est proche de tous les pays qui sont hostiles au monde occidental, de la Syrie jusqu’aux pays d’Amérique Latine. Ce serait un coup à jouer pour l’Algérie d’accueillir le Hamas, avec un risque de contamination de la société algérienne par des personnes que l’Algérie a combattues et qui ont comme point commun le djihadisme. Cela peut donner des idées à des djihadistes. Cet accueil va donc être délicat pour l’Algérie, mais elle peut le faire.

En accueillant le Hamas sur son sol, l’Algérie deviendrait une base arrière du Hamas. Le régime est-il en train de se durcir ?

Je ne suis pas sûr que l’Algérie accepterait d’être une base arrière du Hamas, mais elle pourrait faire comme le Qatar : soutenir politiquement la branche idéologique et politique du Hamas et demander aux chefs opérationnels militaires d’être dans un autre pays, comme par exemple l’Iran. Ce ne serait pas impossible.

Par contre,  si l’Algérie accueille ouvertement le Hamas en acceptant sa branche politique et ses appels aux djihadistes, il y aura un prix à payer. Est-ce que l’Algérie peut se permettre ce genre de choses ? Tout dépend si les militaires en place veulent faire oublier leur corruption.

Quel impact aurait cette décision sur les relations algériennes avec la France ?

Pour la France, ce que fait l’Algérie est déjà problématique. Alger entretient depuis longtemps une francophobie dans les quartiers en France où il y a beaucoup d’Algériens. Il en va de même auprès de ses réseaux, surtout dans la presse algérienne et les discours politiques algériens officiels. Plus on s’éloigne de l’époque coloniale et de la guerre d’Algérie, paradoxalement, plus les discours sont d’une violence de plus en plus inouïe contre la France.

Cette installation ne changerait pas grand-chose pour la France. Mais il est vrai que le Hamas, dans son djihadisme, a en quelque sorte, légitimé de nouveau la cause djihadiste. Dans les pays musulmans, les djihadistes n’ont toujours tué pratiquement que des musulmans. Donc, le fait d’accueillir un djihadisme palestinien qui prône la guerre contre les juifs et leurs alliés chrétiens permettrait aux djihadistes en général de redorer leurs blasons. 

L’instrumentalisation de la cause palestinienne permet de calmer la rue et de retrouver une légitimité auprès de la soi-disant rue arabe, qui considère cette cause comme extrêmement fondamentale.

En Tunisie comme en Algérie, beaucoup de personnes dans les milieux populaires trouvent le Hamas extraordinaire et héroïque. Est-ce que l’Algérie va être tentée de faire oublier ses turpitudes gouvernementales avec un trompe l’œil ? Nous n’avons pas de certitudes. Je pense qu’aujourd’hui, l’Iran et l’Algérie voient l’avantage en termes de softpower à usage interne, et de leadership au sein de la résistance à l’Occident. Ce serait un bon coup. Mais ils doivent peser le pour et le contre, parce qu’il y aura aussi des conséquences. Cependant, il y a moins de chances qu’Israël attaque l’Algérie. Alger n’a pas de contentieux nucléaire avec Israël, contrairement à l’Iran, qui brandit son droit au nucléaire militaire et qui est, en même temps, le pays qui menace tout le temps Israël. Les risques de guerre Israël-Algérie sont quasi nuls, même s’ils acceptent le Hamas sur leur sol. En revanche, si l’Iran accepte le Hamas sur son sol, pour gagner en leadership dans le monde musulman, il y aura un prix à payer.

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