Peut-on détourner une élection comme on détournerait un avion ? Petits éléments de réflexion sur l’affaire Jean-Luc Mélenchon<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon s'exprime lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 1er juin 2021.
Jean-Luc Mélenchon s'exprime lors d'une séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 1er juin 2021.
©Thomas SAMSON / AFP

La France Insoumise

De nombreuses personnalités politiques ont dénoncé les propos du chef de file de La France Insoumise, qui a notamment voulu mettre en garde, lors d'une interview sur France Inter et France Info, contre un éventuel "grave incident" ou "un meurtre" dans "la dernière semaine de la campagne présidentielle" qui permettrait de "montrer du doigt" les musulmans. Jean-Luc Mélenchon a depuis tenté de préciser sa pensée et déplore "un buzz affligeant". Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication d'Atlantico, décrypte cette polémique.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jean-Sébastien Ferjou : 1) S’il existe un lien entre attentats, faits-divers et élections, il n’est pas aussi mécanique que semble le croire Jean-Luc Mélenchon.

Dans sa logique crapoteuse, les meurtres commis par Mohamed Merah auraient d’ailleurs dû assurer la réélection de Nicolas Sarkozy en mettant en lumière une supposée complaisance de la gauche pour l’islamisme.

On sait ce qu’il en fut de son duel avec François Hollande. Quant à Marine Le Pen, elle fut éliminée dès le 1er tour.

Au-delà du résultat lui-même, il faut se souvenir qu’en 2012, après les événements tragiques de Toulouse, la campagne électorale avait été suspendue et que Nicolas Sarkozy avait ensuite catégoriquement refusé d’utiliser l’équipée barbare de Merah dans ses discours, contre l’avis même d’une partie de son entourage qui aurait aimé que le candidat s’appuie sur Toulouse pour alerter les Français sur le risque islamiste. François Hollande, lui, avait confié à des proches au soir des attentats de l’école juive qu’il pensait que c’en était fini de ses chances de victoire et qu’il « avait perdu »…

Si les exemples choisis par Jean-Luc Mélenchon à l’appui de sa démonstration n’ont en réalité pas de pertinence historique, le leader de La France Insoumise n’en tombe pas nécessairement dans le complotisme pour autant. La question théorique demeure.

2) L’impact des attentats ou des faits divers est rarement direct mais se fait plutôt sentir par le biais de la manière dont ils sont commentés ou instrumentalisés par les candidats.

L’exemple le plus frappant de ce point de vue est peut-être celui des attentats de Madrid de 2004, intervenus à quelques jours d’élections législatives en Espagne. S’ils ont probablement contribué à la victoire des socialistes contre le parti populaire, ça n’est pas tant parce que les Espagnols auraient changé d’intention de vote en découvrant une menace djihadiste qu’ils auraient ignoré auparavant mais parce que le gouvernement dirigé alors par José Maria Aznar s’était entêté à soutenir la thèse d’une responsabilité de l’ETA plutôt que celle des islamistes. Le gouvernement espagnol considérait qu’il n’avait pas intérêt à ce que soit débattu l’impact de son engagement déterminé aux côtés des Etats-Unis de George Bush dans l’intervention militaire en Irak visant à renverser Saddam Hussein.

3) Ceux qui commettent des attentats ont évidemment en tête les calendriers électoraux comme l’a souligné le leader de La France Insoumise.

De ce point de vue, c’est plutôt le défaut de maîtrise de la forme de son propos -qui prêtait le flanc à des interprétations complotistes- que le fond du raisonnement de Jean-Luc Mélenchon qui est en cause.

Une stratégie classique des terroristes consiste à essayer de favoriser l’accession au pouvoir de ceux qui sont le plus radicalement opposés à leur idéologie afin de tenter de provoquer des conflits. Les terroristes savent qu’ils ne peuvent pas s’imposer politiquement par la voie des urnes. Ni militairement.

En revanche ils peuvent miser sur le chaos. Et tenter de provoquer des réactions de rétorsion et de vengeance dans les rangs de la population visée afin de provoquer des éruptions de violence entre communautés ou groupes politiques. Typiquement, les islamistes cherchent souvent à mettre en évidence le fait que leurs adversaires seraient dans la discrimination systématique des musulmans.

Même lorsque les terroristes visent des personnes préalablement identifiées -par opposition à des attentats à l’aveugle dans les transports en commun par exemple- comme dans le cas de Charlie Hebdo ou de Samuel Paty, leur objectif est autant symbolique que « personnalisé ». Si la « punition » de certaines cibles peut entrer en ligne de compte, il s’agit toujours d’essayer de pousser chacun à choisir un camp, de renoncer à la nuance et de se résoudre à se rabattre sur sa communauté d’origine pour se protéger dans le cadre d’affrontements potentiels.

Pour autant, les Français se sont toujours montré résilients face au terrorisme et les différents attentats islamistes n’ont fort heureusement pas mené à des ratonnades ni à des réactions violentes, à fortiori armées. Le FN n’avait pas particulièrement « bénéficié » des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher lors des départementales qui suivaient quelques semaines plus tard. Ni des attaques du Bataclan ou des terrasses parisiennes lors des régionales de décembre 2015. Les résultats enregistrés s’inscrivaient largement dans une dynamique électorale déjà enclenchée.

4) Toute évocation d’opérations politiques voire barbouzardes visant à modifier les intentions de vote des électeurs est-elle malvenue ?

Le réel cœur de la tempête déclenchée par Jean-Luc Mélenchon se situe plutôt là.

Et là, les ligues de vertu auto-constituées de dénonciation du complotisme feraient bien de réfléchir à deux fois avant de balayer le sujet.

D’abord parce qu’au complotisme des uns répond souvent celui des autres et qu’en la matière, on voit toujours beaucoup mieux la paille dans l’œil du voisin que la poutre dans le sien. Les démocrates américains -et toute la presse Mainstream avec eux- ont ainsi abondamment commenté et développé l’hypothèse d’une intervention russe et d’une connivence voire d’une entente entre les services de Vladimir Poutine et le milliardaire américain pour expliquer l’élection de Donald Trump. Après plusieurs années d’enquête, il a été démontré qu’il n’en était rien même si des opérations de propagande ou d’agit’ prop avaient pu être constatées sur les réseaux sociaux. Mais pas dans des proportions permettant de conclure à l’insincérité d’un résultat de la présidentielle américaine de 2016.

A l’inverse, les démocrates  ont hurlé au complotisme lorsque les affaires visant Hunter, le fils de Joe Biden ont été évoquées par une partie de la presse américaine. Twitter et Facebook ont ainsi censuré un article du New York Post, qualifié de fake news. Quelques jours après l’élection, on apprenait pourtant qu’une enquête du FBI sur Hunter Biden était bien ouverte depuis 2 ans. L’équipe du président américain a feint de ne pas avoir été au courant pour justifier a posteriori ses accusations de complotisme.

Quant à l’instrumentalisation des affaires, il suffit d’avoir à l’esprit la Une récente du Journal du dimanche sur de prétendues nouvelles révélations dans l’affaire des assistants parlementaires européens du RN pour s’en faire une idée… Un acte de procédure -un PV récapitulatif des éléments de l’enquête- a opportunément été pris afin de prétendre à l’existence de nouveaux éléments et donc de justifier cette Une. Problème, il existait déjà un précédent PV présenté comme dernier acte d’enquête et rien ne justifiait sur le terrain judiciaire qu’un nouveau PV résumant les autres soit établi…

Nul besoin en outre de rappeler les feuilletons politico-mediatico-juridiques ayant émaillé les dernières campagnes présidentielles (à commencer -en matière de coup infondé- par l’affaire Clearstream). Nombre des révélations faites par la presse dans ce genre de cas sont issues de documents ou d’infos opportunément révélées à des journalistes sans que ceux-ci n’aient eu à priori moyen d’avoir accès aux sources clés par leurs seuls moyens. Qui avait ainsi connaissance des bulletins de salaire -et de leur contenu- de Pénélope Fillon à l’Assemblée nationale ? Il ne faut pas confondre de ce point de vue là ce qu’une enquête permet de mettre à jour avec les éléments premiers qui permettent, eux, de déclencher l’enquête journalistique comme judiciaire.

Quant aux fake news et à leur instrumentalisation, on a vu que La République en marche a largement anticipé le fait qu’elle puisse en être victime et tenté de s’en protéger y compris par le vote de nouvelles lois. On se souvient en outre des Macron leaks deux jours avant le 2e tour de 2017.

Balayer d’un revers de la main les tentatives d’immixtion électorale est donc un peu rapide. Et particulièrement léger dans la crise de défiance que nous vivons. Mais si l’objectif de Jean-Luc Mélenchon était de nous alerter là-dessus, la méthode et la forme choisies sont totalement contre-productives.

5) Les propos de Jean-Luc Mélenchon sont indéfendables si on considère qu’il voulait effectivement mettre en cause des responsabilités barbouzardes dans l’organisation d’attentats ou de faits divers précédant de peu des élections. Plus vraisemblablement, le leader de La France Insoumise s’est-il enfermé dans une formulation éminemment maladroite. On a d’ailleurs entendu ses soutiens expliquer à quel point ce qu’il visait était l’instrumentalisation de faits divers ou d’attentat en période pré électorale plutôt que l’organisation de tels événements.

Pour autant, Jean-Luc Mélenchon ne peut se laver les mains de la tempête provoquée hier en considérant que ce sont ses adversaires qui feignent de ne pas le comprendre. Un responsable politique ayant l’expérience et l’habileté rhétorique qui sont les siennes ne devrait pas dire ça. Et devrait savoir s’excuser lorsqu’il a blessé des gens, à commencer par les familles de victimes.

D’autant que le leader de La France Insoumise arrive à des conclusions absurdes : selon lui, les musulmans sont systématiquement et massivement désignés à la vindicte. Et rien dans son raisonnement ne vient contre-balancer cette certitude. Ni la réalité des chiffres -le racisme et les discriminations existent mais la France n’est pas un pays de racisme systémique ni de haine anti musulmane- ni les méfaits et les crimes de l’islamisme ne le troublent. Il est le chevalier blanc d’omni-victimes, ses adversaires sont tous des bourreaux prêts à toutes les compromissions pour s’assurer de gagner le pouvoir -ou de s’y maintenir.

Le problème, c’est qu’en dénonçant les manips « du système », il braque sur lui un miroir inquiétant.

Jean-Luc Mélenchon aura ainsi montré une nouvelle fois en quelle piètre estime il tient les Français, ces « veaux » capables de changer radicalement leur vote au premier fait divers ou attentat venu.

Comment croire en effet que s’il était élu, il rendrait le pouvoir à ces mêmes « cons » ayant changé d’avis à l’élection d’après, non pas par exercice de la raison mais parce qu’objets de manipulations ?

La démocratie pour survivre suppose que ses présupposés soient respectés. Il faut ainsi croire à la capacité des citoyens à comprendre leur environnement pour que le principe de l’élection ait un sens. En méprisant le bon sens des Français et en les croyant vulnérables à toutes les instrumentalisations, Jean-Luc Mélenchon démontre en creux que quels que soient ses discours sur le parti sans organigramme ni hiérarchie ou sur la nécessité de révocations citoyennes, il croit bien plus à l’homme providentiel et/ou à un parti censé incarner l’avant garde éclairée qu’à la démocratie libérale de masse.

6) Il y a certainement une part de cynisme électoral et de clientélisme communautariste dans les rangs de la gauche radicale. Mais on aurait tort de sous-estimer des racines plus souterraines, peut-être même inconscientes.

Il a déjà souvent été dit que faute d’avoir encore une figure traditionnelle de victime à défendre -ou en tout cas de savoir encore quel discours économique et social produire afin de le défendre- le musulman ou l’immigré sont venus remplacer le prolétaire du 20e siècle.

Mais il existe probablement aussi une fascination moins avouée. Car l’islamisme que feint de ne pas voir Jean-Luc Mélenchon -les Français, eux, ne confondent pas leurs compatriotes musulmans avec des militants politiques prêts à la violence ou à la remise en cause de la démocratie- cet islamisme est une idéologie de la radicalité, de la prétention à une Vérité absolue et du recours à la violence comme outil politique.

Et que peut chercher un vieil homme comme Jean-Luc Mélenchon quand la réalité s’est montrée si cruelle dans le démenti des croyances et des rêves d’une vie ? Le trotskisme, la révolution menée par le prolétariat, le chavisme ou son destin présidentiel ont été sèchement renvoyés au rang d’illusions… Les drogués à l’absolu ne savent pas se sevrer. La tentation de nouveaux opiums qui les ramènent à la certitude de lendemains radieux est trop forte pour que -sans parler d’adhésion idéologique en soi- la fascination d’une idéologie qui ne s’embarrasse ni de nuances intellectuelles, ni de contraintes démocratiques ne s’exerce pas.

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