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Petite histoire d’un drame de santé publique qui nous concerne tous : comment les chercheurs nous ont laissé devenir accro au sucre en ne travaillant que sur les méfaits du gras
©ESO

Business is business

Certains d'entre eux dénoncent les effets ravageurs de la surconsommation du sucre sur la santé depuis les années 1970, mais la majorité des chercheurs ne s'intéressent pas au sujet. Recherche et financement étant intimement liés, les choix des domaines de recherche des chercheurs ne sont, contrairement à ce qu'on pourrait penser de prime abord, presque jamais neutres.

Réginald  Allouche

Réginald Allouche

Réginald Allouche est médecin et ingénieur. Il assure une consultation principalement axée sur la nutrition et la prévention du diabète de type II. Réginald Allouche a notamment publié en 2022 La nouvelle méthode anti-diabète chez Flammarion et La Méthode hépato-détox aux éditions Albin Michel.

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Atlantico : qu'entend-on vraiment par le mot "sucre" dans le domaine de la recherche ?

Réginald Allouche : Avant toute chose, il faut effectivement revenir sur ce qu'est le sucre, car il est important de savoir de quoi il est question.

Il existe plusieurs variétés de sucres, comme le saccharose ou le fructose ; mais il existe aussi les amidons qui sont aussi des sucres qu'on appelle souvent les sucres lents ou plus exactement complexes. Ici, nous ne parlerons que des sucres à "action rapide" et donc du saccharose et du fructose.

Précisons aussi qu'il ne s'agit pas d'étudier la consommation de sucre (le sucre en tant que tel n'est pas mauvais pour la santé), mais la surconsommation de sucre, présent aujourd’hui dans la plupart des aliments industriels, même dans ceux répertoriés comme "salés".

Où en est aujourd'hui la recherche qui étudie les impacts du sucre sur la santé ?

Certains chercheurs ont commencé à se pencher sur les effets du sucre sur la santé dès les années 1960. En effet, la période d'après-guerre, pendant laquelle le peuple français manquait de tout, a vu la consommation des produits alimentaires monter en flèche, par effet de compensation.

C'est aussi à cette période que le sucre a commencé à être inséré dans presque tous les aliments. Il s'agit en effet d'un bon texturant et d'un rehausseur de goût pour lequel nous avons une appétence réelle. Rappelons aussi que le sucre - au travers du glucose - est le principal carburant de notre organisme. Jusque dans les années 1970, les producteurs de sucre bénéficiaient même d'avantages fiscaux.

Mais pour le moment, hormis quelques exceptions, l'état de la recherche sur les impacts de la surconsommation du sucre sur la santé est encore au point mort. Il n'existe aucune étude sérieuse et de grande ampleur sur l'impact de la surconsommation de sucre sur l'organisme humain. Le seul organisme officiel à avoir réagi pour le moment est l'OMS, en recommandant que le total des sucres à action rapide consommés par jour soit inférieur à 25 grammes (soit l’équivalent de 5 morceaux de sucres par jour…)

Le livre "Pur, blanc, mortel", publié en 1972 par le professeur de nutrition John Yudkin, qui dénonçait les méfaits de la surconsommation de sucre sur la santé, est directement tombé aux oubliettes à l'époque. Comment expliquer que les chercheurs ne se soient pas penchés et ne se penchent toujours pas plus sur la question ?

La première explication, c'est que les chercheurs se sont surtout focalisés sur les effets des graisses sur la santé, dénoncés par les pouvoirs publics suite à l'épidémie d'obésité et de problèmes cardiaques qui ont commencé à toucher les Etats-Unis dès les années 1960. L'industrie pharmaceutique s'est alors mise à produire des médicaments permettant de soigner les problèmes de santé liés au gras (anti-lipidiques, statines), finançant ainsi de très nombreuses recherches (et de chercheurs) sur l’impact des graisses sur notre organisme.

Ensuite, comme souvent, les précurseurs (qui sont par définition en avance sur leur temps) ne sont pas entendus, car ils ne suivent pas les tendances du moment et se retrouvent noyés au milieu de l'information.

Enfin, si les chercheurs ne font toujours pas d'études sur les méfaits de la surconsommation du sucre sur la santé, c'est tout simplement qu'il y a peu d’acteurs qui ont intérêt à financer de telles recherches actuellement. Un industriel spécialisé dans la production de sucre ne va pas demander à des chercheurs une étude à charge contre le sucre, ce qui est une réaction tout à fait logique. Idem pour les laboratoires pharmaceutiques qui vivent de la production de médicaments destinés à lutter contre le diabète.

C'est aux pouvoirs publics de financer ces recherches, mais ils ne le font pas car nous sommes encore dans une phase de déni vis-à-vis de ce problème de santé publique, peut-être parce que la relation que nous avons au sucre n'est pas si simple : il est utile à l'organisme qui nous le réclame, mais consommé en trop grande quantité et sans activité régulière, il peut provoquer des troubles réversibles au début puis irréversibles à la fin...

Est-ce à dire, comme le soutient l'article, que les chercheurs dans le domaine de la santé de l'époque sont co-responsables de l'épidémie d'obésité qui s'est développée aux Etats-Unis, faute d'avoir su étudier et communiquer plus tôt sur les méfaits de la surconsommation du sucre pour la santé ?

Non, je pense qu'il serait injuste de leur jeter ainsi la pierre. Il est normal que les chercheurs soient amenés à faire des choix qui ne soient pas totalement dénués d'intérêts. S'ils se lancent dans des études qui ne sont financées par personne, ils n'ont tout simplement pas de travail.

Recherche et financement sont intimement liés, la recherche n'est jamais neutre, ce qui explique par exemple que beaucoup de maladies orphelines sont aujourd'hui totalement délaissées par les chercheurs.

Que faudrait-il faire pour que les chercheurs qui étudient des sujets atypiques pour leur époque se fassent entendre ?

Je pense que la guerre entre les lobbies industriels et les associations de consommateurs ne donnera jamais rien. Pour moi, le seul facteur qui peut trancher les débats de santé publique est la science. Il faut donc que l'Etat français joue le rôle d'arbitre, soit en exigeant des industriels des études à décharge, car ils en ont les moyens, soit en investissant des fonds publics dans la recherche concernant l’étude de l’impact de la surconsommation de sucre sur la population.

Malgré l'absence d'étude sérieuse, êtes-vous personnellement convaincu que la surconsommation de sucre est mauvaise pour la santé ? Si oui, pourquoi ?

Il est évident aujourd'hui que nous avons fait fausse route en nous enfermant dans le seul paradigme du gras. Soyons clair : pour grossir, il faut du gras ET du sucre. On le constate bien : dans le cas du diabète de grossesse lorsque le foetus sain voit arriver du sucre en trop grande quantité par le cordon ombilical, il réagit par une prise de poids. La principale complication du diabète de grossesse est liée au problème d’accouchement car le poids du bébé est bien souvent de plus de 4 kilos. C’est un modèle pratiquement imparable qui permet d'affirmer le lien qu'il y a entre surconsommation de sucre, sécrétion d'insuline et prise de poids.

Par ailleurs, à partir du moment où, pour des raisons économiques, pour des raisons de goût ou pour des raisons de promotion d'un certain type de goût on augmente la quantité d’un aliment ou d’une substance, on a toujours des problèmes d'intolérance, d'addiction et des complications liées à son utilisation en quantité et à long terme. C'est vrai pour le sucre, mais aussi pour l'alcool, la cigarette, le gras, etc.

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