Pénurie de médicaments : voilà pourquoi le plan du gouvernement est un tout petit pas sur une très longue route<!-- --> | Atlantico.fr
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Une employée sur un site de production de médicaments.
Une employée sur un site de production de médicaments.
©PHILIPPE MERLE / AFP

Réindustrialisation

Les mesures annoncées par le président de la République ce mardi présentent déjà l’avantage de se saisir de l’enjeu. Les experts doutent néanmoins qu’elles suffisent.

Patrick Couvreur

Patrick Couvreur

Patrick Couvreur est pharmacien, spécialiste des nanotechnologies médicales. Patrick Couvreur est Professeur Emérite à l'Université Paris-Saclay, membre de l'Académie des Sciences, membre de l'Académie Nationale de Médecine, Président Honoraire de l'Académie Nationale de Pharmacie et Membre de l'Académie des Technologies.

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Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

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Atlantico : Ce mardi, Emmanuel Macron s'est engagé à relocaliser la production de 50 médicaments, dont 25 "dans les prochaines semaines" et a présenté un plan afin de retrouver une souveraineté pharmaceutique. Que penser de ces annonces ? Vont-elles dans le bon sens ?

Patrick Couvreur : Il est incontestable que le Président de la République s'efforce de réindustrialiser la France, de faciliter le développement de l'industrie française et d'améliorer l'emploi. C'est une direction à suivre. Le président a raison d’essayer de  repositionner certains médicaments sur le sol national. Cependant, si cette initiative reste isolée, elle sera insuffisante car la France n’a pas les moyens à elle seule de résoudre le grave problème des ruptures d’approvisionnement des médicaments. L’initiative devrait aussi s’accompagner d’une augmentation des prix de ces médicaments indispensables. Enfin, rappelons qu’il y a à peu près 450 médicaments considérés comme essentiels et que seuls 25 ou 50 à plus long terme seront relocalisés.

A mon avis, ce problème doit absolument être traité au niveau européen. Il est clair que la synthèse de certains principes actifs peut être repositionnée en France, comme c'est le cas avec le paracétamol, mais il est évident que cela ne pourra pas être fait pour tous les médicaments essentiels, c'est-à-dire ceux qui sont indispensables et pour lesquels il n'existe pas d'alternative thérapeutique ou de générique disponible pour traiter des maladies graves ; cela représente une perte de chance pour certains patients et cela n’est pas admissible. Beaucoup de ces médicaments en rupture sont des antibiotiques, des anticancéreux, des anesthésiques,  des antidouleurs ; des médicaments importants en somme, et non des molécules sans intérêt. Personnellement, je ne vois pas comment la France seule pourrait résoudre ce problème avec les ressources limitées dont elle dispose. Il y a plusieurs raisons à cela.

Loïk Le Floch-Prigent : Cela fait maintenant plus de deux ans que l’on parle de « souveraineté pharmaceutique » à la suite des pénuries lors de la crise du COVID. On pouvait attendre des responsables politiques une analyse, un diagnostic sur les raisons des délocalisations des fabrications et un exposé sérieux des remèdes. On a reçu un nouveau discours mais aucun traitement de fond, c’est-à-dire qu’on ne peut pas combattre les effets d’une situation effectivement préoccupante sans en exposer les causes. Et ce n’est pas 50 millions annoncés qui vont remédier à la catastrophe que nous connaissons désormais tous :  nous ne pouvons plus produire en France les médicaments qui permettent de nous soigner.

On pourrait retracer l’histoire de dizaines d’années d’abandon, et rechercher les responsabilités, d’autres s’en chargeront sans que ce soit bien utile, mais les causes du désert industriel des médicaments « critiques » sont simples à comprendre. Les principes actifs de beaucoup de médicaments ont émigré ces dernières années, et puis derrière aussi la mise en boite ou le flaconnage mais on ne peut pas tout mélanger , ce qui permet de soigner la population distingue des produits prescrits et d’autres considérés comme de confort et en vente libre. Il y a des produits issus de la chimie, d’autres venant de la biologie, de  « cultures » ou de « fermentations » et donc de cellules souches à la qualité plus ou moins bonne.

On a donc deux origines très différentes des médicaments et ensuite, à partir d’un principe actif, une présentation et quelquefois une marque.

L’industriel a, certes, comme objectif de soigner les patients et donc de satisfaire ses « clients », mais pour innover, mettre au point, obtenir les permis de commercialisation et investir il a besoin de gagner de l’argent. C’est la contradiction essentielle de l’industrie du médicament permettre de soigner tout en obtenant un prix rémunérateur.

La Grande Industrie dénommée souvent « Big Pharma » a privilégié les « Block Busters «, les produits universels et gagnant beaucoup d’argent, les petits « laboratoires » ont essayé de survivre en obtenant des prix suffisamment élevés de la puissance publique attachée, elle, à cause du remboursement , au contraire de contenir les couts pour la collectivité.

Si on ne tient pas compte de cette réalité, et surtout si on refuse de comprendre que les délocalisations des produits « chimiques «  ont été causés par les normes et règlements contraignant les pays comme la France à traiter méticuleusement tous les effluents des usines on ne peut , ni revenir en arrière, ni, surtout, aller de l’avant, on fait de la communication positive pour l’industrie, mais cela ne suffit pas ! 

Les annonces d’Emmanuel Macron peuvent-elles vraiment laisser la place à une vraie réindustrialisation ? S’attaque-t-il au nœud du problème ?

Patrick Couvreur : Tout d'abord, les normes environnementales sont beaucoup plus strictes en France et en Europe que dans les pays asiatiques où sont actuellement synthétisés la plupart de ces molécules, comme l'Inde, la Chine ou d'autres pays asiatiques. Il est donc plus coûteux de construire une nouvelle usine ou d'importer la synthèse de molécules dans une usine existante en Europe. De plus, la main-d'œuvre européenne est plus chère qu’en Asie. Par ailleurs, en Europe, nous avons tellement réduit les prix de ces médicaments que leur production est devenue extrêmement difficile à supporter par les industriels. Selon moi, il est donc inévitable d'augmenter le prix de ces médicaments pour permettre d’en relocaliser la synthèse en France et en Europe.

Je voudrais rajouter qu’ il est aussi urgent d'encourager la recherche dans le domaine de la chimie, ce qui n'a pas été suffisamment fait en France, notamment au niveau l'Agence Nationale de la Recherche. Ce n’est qu’à ce prix que l’on retrouvera des marges de compétitivité. Pendant longtemps, on a, en effet, considéré en France que les petites molécules pharmaceutiques n'avaient pas d'intérêt, et l'agence a très peu subventionné la recherche dans ce domaine. Certains laboratoires ont certes bénéficié d'un soutien financier, mais toujours en lien avec la biologie moléculaire et cellulaire, la pharmacologie et la thérapeutique, ce qui est souhaitable mais il n’y a pas eu de programmes spécifiques pour financer  certaines voies de synthèse nouvelles. Il faut donc encourager la recherche pour aboutir à des réactions chimiques plus respectueuses de l'environnement, pour réduire le nombre d'étapes nécessaires, et pour adopter de nouvelles  approches comme la  microfluidique, la robotique etc. Ce n’est que par l'innovation que l'on pourra rendre les molécules fabriquées en France et en Europe plus compétitives.

Je reconnais que tout cela est assez complexe et ne peut pas être réalisé sans investissements et sans vision à long terme et il est évident que la France ne pourra pas résoudre seule ce problème majeur dont parle depuis 2011 l'Académie nationale de Pharmacie. En 2011, nous attirions déjà l'attention des autorités sur ces problèmes de rupture d'approvisionnement des médicaments. Un rapport conséquent sur ce sujet a ensuite été réalisé par l’Académie en 2018et publié sur son site. Malheureusement, à l’époque cela n'intéressait personne, ni les hommes politiques et pas même les journalistes.

N’oublions pas que le temps de la recherche n'est pas le temps des médias. Pour résoudre des problèmes de cette ampleur, il faut éviter les effets d’annonce laissant croire qu’on peut les régler le jour même ; il faut, au contraire, les anticiper sur le plan scientifique et technique. Cela n'a manifestement pas été fait  ! D’autre part, force est de constater que  la politique publique française ne valorise pas suffisamment son industrie.

Loïk Le Floch-Prigent : A quoi veut-on répondre ? A une industrie nouvelle des principes actifs ou à une industrie du « médicament », c’est-à-dire du conditionnement français de principes actifs venant de pays exotiques ? La réindustrialisation c’est quoi ? Une construction d’usines françaises ou de succursales de Big Pharma sur le sol national ? De quel problème parle-t-on ?

Si on veut la souveraineté, il faut obtenir des principes actifs sur notre sol , puis ensuite les conditionner, les présenter, en boites ou en flacons. Pour les principes actifs chimiques qui ont été chassés de notre pays par les couts nécessaires à la satisfaction des règlements environnementaux ? Pour obtenir l’autorisation de produire il fallait investir 3 à 4 fois plus que dans les pays comme l’Inde ou la Chine, il y a donc eu délocalisation de la part de toute la « Big Pharma ». Il n’ y avait rien de honteux à cet égard, tous les gouvernements occidentaux et surtout les Français, étaient « soulagés » de constater ces départs précipités, cela s’est fait en une dizaine d’années ! les produits ainsi obtenus étaient parfaitement identiques à ceux des usines européennes. On peut donner comme exemple le principe actif du paracétamol . Pour les produits issus de la biologie, où la qualité de la souche est essentielle, c’est par le prix insuffisant fixé par les pouvoirs publics que la délocalisation a eu lieu, et cela non sans danger car la qualité du produit final n’est pas garantie ! Les petits industriels qui veulent revenir sur la mise à disposition en France de ces produits, se heurtent à la pingrerie de l’administration , c’est le cas de l’amoxicilline dont on a beaucoup parlé ces derniers mois. On délocalise donc, d’une certaine façon, par une mondialisation assumée qui met le prix obtenu dans des conditions contestables en priorité par rapport à la souveraineté et la qualité. Et on ne parle pas de 50 millions mais de milliards ! L’industrie se construit avec des industriels , beaucoup voudraient reconquérir le pays avec des produits d’origine biologique, ce n’est qu’une question de prix du produit prescrit et vendu, et pas de subventions dérisoires pour des officines de Big Pharma.  

C’est un problème d’écosystème ?

Patrick Couvreur : Il est évident que nous n'avons pas la même mentalité que les Allemands ou les habitants des pays nordiques qui sont beaucoup plus attachés que nous à leur industrie. En France, l'opinion publique n’aime pas son industrie, en particulier l'industrie pharmaceutique.

Il est, par exemple, symptomatique de constater que pendant la crise  du COVID beaucoup de médias ont donné la parole à des spécialistes auto-proclamés, suscitant polémiques et discussions pour dénigrer la vaccination. Et pourtant, les vaccins développés grâce aux technologies extraordinaires et innovantes de l’ARNm nanoencapsulé ont sauvé des millions de vies.

Quels exemples de ces normes, réglementations et autres problèmes de prix illustrent cette problématique ?

Patrick Couvreur : Il faut dire que l’émergence des médicaments génériques ont aussi complexifié les choses. Lorsqu'il n'y avait qu'un seul médicament princeps, il était relativement facile pour un industriel de prévoir les besoins annuels, mais avec plusieurs génériques différents, cela devient plus complexe et il est devenu difficile de déterminer quel générique se vendra et lesquels ne se vendront pas.

Encore une fois, la volonté de réduire les prix des médicaments a également contribué à cette situation. Cela a conduit à une dépendance vis-à-vis des producteurs chinois ou indiens pour certaines étapes de la synthèse des principes actifs. Par exemple, pour une molécule synthétisée en 5 étapes, les entreprises asiatiques se sont souvent spécialisées dans la synthèse d’une seule étape, ce qui a permis de réduire fortement les coûts. Mais si le producteur de l’une de ces étapes est empêché, c’est toute la   chaîne de production qui est bloquée et cela conduit aux ruptures d'approvisionnement que nous connaissons.

La situation s’est d’ailleurs aggravée pendant la pandémie de la COVID-19, qui a eu un impact important sur la Chine, Wuhan étant un centre de production de médicaments. Des usines ont dû fermer brutalement en raison de l'épidémie, ce qui a entraîné la pénurie de certains médicaments, notamment indispensables à la réanimation.

Notons aussi que la Chine accorde maintenant une attention croissante aux règles environnementales, ce qui entraîne parfois la fermeture inopinée d'usines pour ces raisons. Cela peut également causer des ruptures d'approvisionnement.

Loïk Le Floch-Prigent : Le traitement des effluents des industries chimiques était nécessaire, vouloir l’imposer dans des délais brefs sous peine de « mises en demeure » a été catastrophique pour la souveraineté. On a cru choisir la santé des populations, on a obtenu l’inverse , la difficulté de soigner : bel exemple d’aveuglement du court terme et de manque d’anticipation , c’est-à-dire de décisions « émotives ». C’est ce que nous observons de nouveau aujourd’hui, on se donne l’air de résoudre des problèmes que l’on n’a même pas étudiés en profondeur. Ce sont aux industriels de résoudre les problèmes industriels, pas aux gouvernements et aux administrations, il y a des candidats en France pour retrouver une industrie pharmaceutique chimique et biologique, il y a des usines existantes prêtes à s’engager, il y a des hommes et des femmes compétents et résolus à faire redevenir la France un grand pays pharmaceutique, mais il faut agir sur les normes environnementales et sur les prix , autrement on parle mais on ne fait rien.

Comment s’attaquer véritablement aux problèmes de l’industrie du médicament et permettre une véritable réindustrialisation ? Faut-il s’attaquer à  la pesanteurs des réglementations, à la fiscalité du médicament, etc. pour rendre la relocalisation attractive ? Comment faire ? 

Patrick Couvreur : En tant que scientifique, je suis peu compétent dans ce domaine spécifique. Cependant, d'après ce que j'entends autour de moi, nous sommes confrontés en France, dans de nombreux domaines, à un millefeuille institutionnel et règlementaire très complexe qui conduit au sur-place ; le domaine du médicament ne fait pas exception.

Bien souvent, on ajoute aux contraintes européenne, les règles nationales françaises, ce qui finit par rendre tout processus très compliqué. Tout le monde en est bien conscient mais rien ne change. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’activité industrielle ne peut se faire que dans le contexte d’ un équilibre financier raisonnable, et qu’il n’est pas possible d’ investir massivement dans la synthèse de molécules qui ne sont pas rentables. Mais encore une fois, la solution se trouve au niveau européen ! Cela nécessitera de fournir un effort conséquent afin d’harmoniser les aspects règlementaires au niveau des différents pays membres.

Par exemple, si nous manquons de certaines molécules en France, cela ne signifie pas nécessairement que l'Allemagne en manque également. Il pourrait y avoir des stocks en Allemagne que nous pourrions utiliser en France et vice-versa.  Mais les autorisations de mise sur le marché ne sont pas toujours les mêmes entre la France et l'Allemagne pour toutes les molécules. Les notices des médicaments varient aussi d'un pays à l'autre ainsi que les conditionnements  etc.. Il est également important d'établir au niveau européen une liste des médicaments considérés comme essentiels, pour lesquels il ne doit pas y avoir de rupture d'approvisionnement. Cette liste peut être négociée avec les industriels producteurs auxquels l’Europe demande de garantir un stock suffisant en cas de rupture. En résumé il faut faciliter l'entraide entre pays lorsque l'un est en rupture d'approvisionnement et que l'autre ne l'est pas

D'ailleurs, vous avez bien remarqué que l'Europe a réussi à gérer correctement l’approvisionnement du vaccin contre le COVID grâce à une politique d’achat communautaire volontariste. Il est donc essentiel de travailler ensemble ! 

Loïk Le Floch-Prigent : Les initiatives sont nombreuses, elles se heurtent toutes à la sourde oreille des institutions qui ont conduit le pays dans le drame d’aujourd’hui, il suffit de revenir sur les normes inutiles, contradictoires et destructrices, et de vouloir vraiment rémunérer l’effort des laboratoires et des industriels en arrêtant de fixer des prix sans aucune considération pour la rémunération des travailleurs de la Santé de notre pays. En clair il faut changer de paradigme, la santé des Français d’abord et non les sanctions aux industriels et les économies de bouts de chandelles. 

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