Pap Ndiaye envoie une lettre aux professeurs et s’enferme dans les mêmes pièges intellectuels qui ont abîmé l’Education nationale<!-- --> | Atlantico.fr
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Pap Ndiaye a publié une feuille de route adressée aux enseignants. Le ministre de l'Education nationale a listé cinq priorités au corps enseignant.
Pap Ndiaye a publié une feuille de route adressée aux enseignants. Le ministre de l'Education nationale a listé cinq priorités au corps enseignant.
©Ludovic MARIN / AFP

Egalité des chances

Dans ses axes prioritaires, il place l’égalité des chances avant l’apprentissage des savoirs fondamentaux. C’est pourtant par cette logique que l’Education nationale a perdu sur les deux fronts.

Sophie Audugé

Sophie Audugé

Sophie Audugé est Déléguée Générale de SOS Education. 

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Atlantico : Dans sa feuille de route adressée aux enseignants, Pap Ndiaye a listé cinq priorités au corps enseignant. Il entend notamment « lutter contre les inégalités sociales » une priorité qu’il positionne devant « l’accent mis sur les savoirs fondamentaux ». Que pensez-vous de ces annonces et de l’ordre des priorités choisi ? 

Sophie Audugé : L'École de Jean-Michel Blanquer devait être celle de la confiance, on a vu ce que cela a donné... Il n’a pas gagné celle des enseignants et n’a pas convaincu les parents.

À la lecture du premier texte de mobilisation que Pap Ndiaye adresse aux professeurs, on comprend que le nouveau résident de la rue de Grenelle va déployer une vision de l’École « engagée ».

Premier fait marquant, il rétrograde les savoirs fondamentaux en seconde priorité et place la lutte contre les inégalités sociales en numéro un. Ce faisant, il confond, de notre point de vue, l'objectif et les moyens. En effet, la maîtrise des connaissances fondamentales, lire, écrire, compter et raisonner, constitue la base indispensable d’une instruction nationale qui veut faire réussir tous les élèves quel que soit leur milieu d’origine. En réalité, l'instruction est le moyen le plus efficace pour réduire les inégalités sociales. 

En formulant les choses comme il l’a fait, Pap Ndiaye marque une rupture avec son prédécesseur et affiche sa vision : l’École doit éduquer avant d’instruire. 

C’est un retour en arrière regrettable pour les élèves, mais qui séduira sans doute une partie du corps enseignant  et des syndicats. Pap Ndiaye saisit l'occasion de cette communication pour affirmer qu’il est sur la même ligne idéologique (éduquer plus qu’instruire). 

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C’est pourtant cette ligne idéologique qui a conduit à la dérive de l’école publique. 

Vous parlez de rupture, mais l’Éducation nationale ne s’est-elle pas enfermée depuis plusieurs décennies dans cette logique ?

C’est vrai, ce n’est pas un fait nouveau. Mais Jean-Michel Blanquer a eu le courage de remettre « l’église au milieu du village » de notre système éducatif en replaçant la maîtrise des fondamentaux en primaire comme une priorité absolue. Et il avait raison ! Mais la résistance est forte et le dialogue a vite été rompu.

Le déclin de notre système éducatif a débuté dans les années 70 avec l’avènement du mouvement des pédagogistes. D’un seul coup, il fallait mettre sur un même pied d’égalité le professeur et l’élève. Le corollaire étant que l’élève est capable d’apprendre par lui-même, dès lors que le professeur crée dans son cours les conditions propices à la découverte des apprentissages. L’enseignant devient un guide. Exit le par cœur, les dictées... La querelle autour des méthodes de lecture et l'entêtement pendant 20 ans à appliquer la méthode globale, alors qu’on en connaissait les ravages à long terme, est symptomatique.

Une partie du corps enseignant n’est pas tombée dans le jusqu’au-boutisme des pédagogistes et a poursuivi un enseignement rigoureux dans l’intérêt supérieur des enfants. Mais ils en ont payé les conséquences : mis au ban, mal notés par leur hiérarchie, évolution de carrière limitée. Une majorité, alimentée par les syndicats, a maintenu et maintient encore la conviction profonde que l’école doit éduquer avant d’instruire.

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En se plaçant du côté des pédagogistes, contrairement à son prédécesseur, Pap Ndiaye entend envoyer un message de mobilisation à ses troupes. Il sait que la rentrée s’annonce tendue. Mais cette prise de position officielle et formelle témoigne aussi que le nouveau ministre de l’Éducation nationale n'entend pas laisser ses convictions personnelles à la porte de l'École. 

Quels sont les effets délétères que le pédagogisme a pu avoir sur l'Éducation nationale ?

Ils sont nombreux et s'évaluent quotidiennement. Il faut dire que nos gouvernants ont multiplié les mauvaises décisions depuis 30 ans. Maintenant le constat du désastre s’impose à tous, partout. Les dirigeants d’entreprises font des tribunes pour alerter du niveau désastreux des diplômés qui rejoignent leurs entreprises après un Bac + 5 ! Des professeurs de classes préparatoires alertent dans les médias, sidérés de la baisse du niveau de leurs élèves qui représentent pourtant la future élite française. 

L’Éducation nationale n’étant plus capable de certifier le niveau des élèves, des prestations de certifications issues du secteur privé en anglais, français et maths se déploient.

Chaque année le constat de l’effondrement du système éducatif et du niveau des élèves s'accentue. Récemment, les épreuves du Bac ont fourni matière à une désolation généralisée. 

L’épreuve anticipée du Bac de français portait sur un texte relativement simple d’une auteure contemporaine, pourtant nombre d’élèves ne l’ont pas compris. Il y a de quoi s’alarmer. Mais le pire est ailleurs, à l’issue de l’épreuve, l’auteure a été victime d’une vague massive de menaces sur les réseaux sociaux. Les élèves lui reprochant d’avoir écrit un texte trop difficile ! En somme, c’était de sa faute s’ils n’avaient pas compris ! 

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Observons également la réaction des élèves ukrainiens scolarisés depuis quelques mois dans nos écoles, qui découvrent avec étonnement le faible niveau de leurs camarades français en mathématiques. 

Le jusqu’au-boutisme des pédagogistes a fait beaucoup de mal à l’école qui est devenue le lieu de toutes les luttes, un territoire de surenchère permanente. 

Maintenir par exemple qu’il n’est pas prioritaire que chaque enfant sorte du CM2 avec une bonne maîtrise de la lecture, de l’écriture, de la grammaire, de la syntaxe et des mathématiques est scandaleux. Soutenir qu’il est préférable de ne pas noter les élèves ni de faire de classement est une supercherie. C’est contraire à l’intérêt de l’élève sur le long terme. Les élèves et les parents découvriront quelques années plus tard, stupéfaits, que Parcoursup jugera sur les notes et rien que sur les notes. Octroyant par exemple une place dans l’établissement supérieur de son choix à une lycéenne qui avait enregistré « pour voir » une recette de cuisine à la place de sa lettre de motivation…

Pap Ndiaye ne fait-il pas une sorte d’erreur de calcul dans la mesure où l’acquisition des fondamentaux est ce qui permet au mieux de réduire les inégalités ?

Les inégalités sociales, ce sont les différences de naissance qui font qu’un enfant va grandir dans un environnement familial et social qui ne possède pas les codes de l’École, ni les moyens nécessaires pour lui assurer un suivi scolaire rigoureux. C’est exactement ce que l’École, ascenseur social, doit compenser. Elle doit être exigeante sur le travail à fournir et les connaissances à maîtriser, proposer des séances de devoirs et de remise à niveau obligatoires si c’est nécessaire, élargir le temps scolaire pour y intégrer une éducation artistique et culturelle (bibliothèques, théâtre, opéra, cinéma…), développer les vocations par des ateliers d’initiation scientifique et faire le lien avec des associations sportives. 

C’est uniquement grâce à un programme ambitieux pour tous les élèves sans exception qu’on peut réduire les inégalités sociales. Ce n’est pas en baissant le niveau et en fixant des quotas non pas sur le mérite, mais sur la discrimination positive. Ce qui donne lieu à un processus de sélection profondément injuste et inégalitaire.

Au contraire, il faut mettre tous les enfants sur les mêmes rails en misant sur une mixité sociale qui stimule, c'est-à-dire qui tire vers le haut et non vers le bas. Il faut donner à tous les élèves un socle commun d’instruction avec le même niveau d’exigence. S'assurer d’une bonne maîtrise des savoirs et des compétences, en s’appuyant  si nécessaire sur  une modification du rythme scolaire avec davantage d'heures de cours, et des dispositifs d’aide aux devoirs réguliers et gratuits. 

En somme, il ne faut pas baisser les barreaux de l’échelle pour que les élèves issus des milieux les plus éloignés de l’École puissent monter dessus. Il faut au contraire  maintenir le niveau d’exigence et leur donner les moyens d’y accéder.

Que penser du reste de la lettre ?

Le troisième axe s’affiche comme celui du bien-être des élèves. Cela aurait été salutaire si le ministre de l’Éducation nationale prenait en compte la santé mentale et l’éco-anxiété qui assaillent notre jeunesse. En réalité, Pap Ndiaye fait la part belle à  ses thèmes de prédilection et entend instituer au centre de sa politique éducative l’éducation aux luttes raciales, sexistes, d’identité de genre et d’orientation sexuelle.

Pour conclure, on a peu de doutes sur la détermination de Pap Ndiaye à faire de l’École un terrain de tous les engagements politiques et sociétaux. On perçoit également l’urgence pour le ministre de l’Éducation nationale de récréer du lien avec la communauté éducative afin d’anticiper une rentrée qui s’annonce crispée, avec un nouveau protocole sanitaire, des classes sans profs, et des parents qui en ont plus qu’assez. Malheureusement on ne voit pas poindre la réforme structurelle dont l'École publique a pourtant cruellement besoin !

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