Mais que coûterait à l’Europe l’abandon de l’Ukraine à la Russie (et combien…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ursula Von der Leyen, Volodymyr Zelensky et Charles Michel lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 9 février 2023.
Ursula Von der Leyen, Volodymyr Zelensky et Charles Michel lors d'une conférence de presse à Bruxelles, le 9 février 2023.
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Contre-factualité

Alors que les dirigeants de l’UE réunis à Bruxelles recevaient Volodymyr Zelensky, un certain nombre de voix dénoncent le coût géopolitique comme économique du soutien occidental à Kiev. S’il est facile d’additionner les aides promises, il est moins évident d’estimer l’onde de choc d’un scénario où le soutien à l’Ukraine se tarirait.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Atlantico : Que coûterait à l’Europe le fait d’abandonner l’Ukraine ?

Thibault Muzergues : Volodymyr Zelensky l’a parfaitement résumé dans son discours au parlement européen : nous nous défendons et nous vous défendons. Il faut être clair sur la réalité de ce qui se passe en Ukraine et de ce que Vladimir Poutine tente de faire, à savoir remettre en question l’ensemble de l’architecture de sécurité européenne. Ce n’est pas simplement remettre en cause les frontières mais bien l’ensemble de ce qui a fait la stabilité du continent européen après 1945, alors qu’il avait été en guerre quasiment sans interruption jusque-là. Si on laisse gagner les Russes, tout un tas de questions qui aujourd’hui ne se posent pas vont se poser. Les Ukrainiens manquent de munitions et les Russes ont décrété la mobilisation partielle, le message que Moscou fait passer, c’est qu’il a l’avantage du nombre et que la vie humaine n’a aucune valeur pour eux. C’est ce qui permet aujourd’hui aux Russes d’être de nouveau plutôt à l’offensive. Les guerres ne sont pas écrites à l’avance. Si on laissait les Russes s’installer dans les territoires qu’ils contrôlent puis s’avancer, cela reviendrait à légitimer le coup de force de février dernier.

Un certain nombre de voix dénoncent le coût géopolitique comme économique du soutien occidental à Kiev. On estime à environ 60 milliards les aides versées par l’UE jusqu’à présent. Mais combien nous coûterait l’arrêt de ce soutien ?

Un abandon de l’Ukraine, c’est la Russie aux portes de l’UE. Aujourd’hui, les Européens paient entre 1 et 3% de leur PIB en effort de défense. Une Russie aux frontières de l’Europe pousserait forcément à une augmentation des budgets de la Défense, pour revenir possiblement aux niveaux de la Guerre froide. Le PIB de l’UE, c’est 14 476 milliards d’euros. Augmenter la part du PIB allouée à la défense de 1%, c’est 144 milliards. C’est déjà bien plus que ce que l’on dépense actuellement pour l’Ukraine. Et il faut aussi garder à l’esprit que ce sont majoritairement les Américains qui assument les besoins immédiats en armes.

Le coût économique, il est aussi celui des conséquences que l’Europe puissance se montre comme une Europe faiblesse. L’Europe n’est pas confrontée seulement à la menace russe. Si vous demandez aux Grecs quelles sont les plus grandes menaces pour eux, ils ne citeront pas que la Russie. Si l’Europe est faible face à la Russie, elle sera faible par rapport à la Turquie et la Chine. Cette dernière n’a qu’une envie, piller nos ressources autant que faire se peut.

Quid des enjeux énergétiques ou alimentaires ? Abandonner l’Ukraine aggraverait-il encore la situation ou l’améliorerait-il comme certain l’espèrent ?

Non, cela ne l’améliorerait pas. Nous avons atteint un point de non-retour en matière énergétique. Et nous savons désormais qu’il est dangereux d’être dépendant en matière de gaz auprès de la Russie. Cette leçon nous coûte beaucoup d’argent pour le moment mais on peut espérer que cela nous en coûtera bien moins à l’avenir une fois que nous aurons redirigé notre mix énergétique afin de cesser d’être dépendant d’un seul acteur.

Sur la question alimentaire aussi, il faut acter des changements de long terme, car on ne peut pas remplacer d’une année sur l’autre la production ukrainienne. Et si nous en étions complètement privés subitement ce serait problématique. Il nous faut une indépendance alimentaire en Europe pour aussi aider nos voisins. Ce sont des parts de marché à regagner.

Est-ce aussi un enjeu de coût diplomatique ?

Comme pendant la guerre de Yougoslavie, malgré une menace existentielle pour l’Europe, est incapable de peser dans le débat. Cela a un vrai coût sur le plan international en termes de crédibilité. La guerre en Ukraine est un révélateur de la faiblesse européenne qui n’est pas capable d’assumer sa sécurité elle-même. Elle a pris conscience que si elle voulait être un acteur géopolitique, elle devait pouvoir se défendre toute seule et être capable de pouvoir définir en tant qu’Union quelles sont les menaces. Comme la Chine que l’on considère comme : « partenaire, concurrent économique et rival systémique ».

Quelles conséquences cela aurait-il, au sein de l’UE, au vu des dissensions sur la stratégie à adopter ?

Si on abandonnait les Ukrainiens, les tensions seraient énormes au sein de l’UE. Les Suédois, les Polonais mais aussi les Roumains pourraient estimer que l’UE a abandonné l’Ukraine dans un conflit qui est existentiel. Ces pays savent que quand la Russie part vers l’Ouest elle ne s’arrêtera pas à Kiev. Par ailleurs, cela creuserait la division Est-Ouest. On aurait le sentiment d’une décision franco-allemande contre l’avis des autres membres. Et cela ferait le jeu de la Hongrie, qui n’a pas aimé être reléguée au rang de petit pays des Balkans. Il est important pour l’UE de se montrer forte et unie. Et pour la France d’assumer un certain leadership alors qu’elle a été accusée, parfois à tort, parfois à raison, de traîner des pieds dans son soutien à l’Ukraine, ce qui lui permettrait de marquer des points en Europe de l’Est.

En définitive, rien n’est gratuit. La liberté a un prix, et si l’Europe veut continuer de vivre en liberté, elle doit soutenir l’Ukraine.

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