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LR, PS : la grande déroute des oppositions se poursuit (et voilà pourquoi ça ne risque pas de changer en l’état)
©Reuters

Avis de tempête

Le vote sur le plan de déconfinement a une nouvelle fois révélé les nombreuses failles intellectuelles et idéologiques de l'opposition. Face à la crise, les oppositions comme le gouvernement sont sans réponse. Une déroute idéologique causée par de nombreuses années d'attentisme et un manque de vision politique, économique et sociale.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Le vote sur le plan de déconfinement a montré que les deux principaux « partis de gouvernement » du « monde d’avant » étaient très divisés. Pour preuve, mardi 28 avril, même si les deux tiers des membres de LR se sont abstenus de voter, 24 d'entre eux se sont prononcés contre, et 11 pour. Idem chez les membres du PS, avec 20 contre et 10 abstentions, sur 30 députés...

D'où vient cette division ? Est-ce parce que des dilemmes (frontières, débat sur la fin de vie, dette etc.) n'ont pas été tranchés ?

Edouard Husson: Tout d’abord, ce n’est pas une découverte. Avons-nous entendu LR et le PS pendant la crise des Gilets Jaunes?  Qu’avaient-ils à dire aux Français sur la destruction avortée du système de retraites par le gouvernement?  En fait, il faut se représenter le coeur du système politique français comme deux « Janus » vieillissants qui se regarderaient. Leurs profils extérieurs respectifs regardent vers un passé dont ils perçoivent de moins en moins les contours car leur vue est en train de baisser. Leurs profils intérieurs, à force de se contempler mutuellement, ont fini par créer une hallucination réciproque: tantôt ils ont l’impression d’être un seul et même parti, et LREM est le fruit de cette illusion, tantôt ils prennent un léger recul mais ils se sentent bien impuissants, dépourvus de personnalité propre. Leur profil opposé respectif les appelle alors, leur propose de regarder, il y a bien du nouveau, ou du moins de l’actuel, des forces politiques qui ressemblent beaucoup à leur passé: le Rassemblement National d’un côté, La France Insoumise de l’autre. Mais nos deux Janus poussent alors le cri d’effroi de celui qui est confronté au retour d’un parent qu’il croyait mort. 
En fait, quand vous regardez les dix dernières années, vous voyez que LR et PS ont connu semblable évolution. les deux n’arrivent pas à se remettre de l’échec d’un président de la République issu de leurs rangs. 2012 pour l’ancienne UMP, 2017 pour le PS, racontent la même histoire, celle de l’échec concret d’une politique qui avait pourtant essayé, dans les deux cas, de revenir à certains fondamentaux du parti (l’identité nationale pour LR; la lutte contre les inégalités pour le PS). La crise profonde qui s’en est suivie expliquent l’incapacité à adapter une position de vote unifiée. 

Christophe Boutin: Les divisions que vous relevez à juste titre dans ces deux partis qui, un temps, crurent pouvoir être les moteurs d'un « bipartisme à la française », et qui semblent depuis 2017 des navires courant sur leur erre après une avarie de machines, ne datent bien sur par de la crise du coronavirus. Et il faut en fait, pour les expliquer, tenir compte de trois éléments complémentaires.
Premier élément, nombre d’élus de ces deux partis ont conscience de trois choses : que le gouvernement tente de faire ce qu'il peut ; qu’à sa place ils seraient sans doute bien en peine de décider ; et que leurs partis respectifs, avant 2017, ont contribué à créer, par la diminution des moyens des hôpitaux et la baisse des stocks de produits de première nécessité en cas de crise grave, les manques qui ont conduit à la situation actuelle. On peut penser que l'on trouve ici une explication à la plupart des abstentions (63 chez LR, 10 au PS), même si, pour une part, le second élément a pu jouer lui aussi.
Ce second élément, sans doute plus présent chez LR qu’au PS, c'est chez certains élus cette idée de plus en plus présente qu'il pourrait y avoir après la crise un nouvel appel d’Emmanuel Macron pour renouveler, partiellement au moins, ses équipes, y compris gouvernementales, et qu'ils pourraient alors y jouer un rôle - comme l'ont fait ceux qu'il ont côtoyé sur les bancs de l'Assemblée jusqu'en 2017 et qui ont de nos jours de confortables ministères Mais plus que chez les abstentionnistes, on les trouvera parmi ceux qui ont apporté le soutien de leur vote à Édouard Philippe - les Guillaume Larivée et Eric Woerth, mais d’autres aussi, moins connus, sinon franchement obscurs, et qui espèrent peut-être entrer ainsi dans la lumière. 
Enfin, le troisième élément qui explique cette division, est idéologique. Les Républicains, d’abord, n'ont toujours pas résolu le dilemme qui oppose en leur sein les progressistes, qui sont parfois prêts à rallier Emmanuel Macron, ou, a minima, qui ne sont pas en désaccord avec une grande partie des choix faits par le président de la République, et ceux que l'on pourrait appeler les conservateurs, et qui sont eux dans une logique d'opposition claire et nette à une part non négligeable des choix politiques mais aussi sociétaux faits par le gouvernement. Ces derniers, assumant pleinement de faire leur choix dans ce clivage idéologique majeur qui oppose progressisme et conservatisme, ont voté contre la déclaration du Premier ministre - et l’on trouve sans surprise parmi eux Julien Aubert, Valérie Boyer, Philippe Gosselin ou Olivier Marleix. Quant au PS, les choses sont moins évidentes, parce qu’idéologiquement, il relève clairement du même monde progressiste qu’Emmanuel Macron, mais là où le bât blesse c'est sur les craintes qu’ont une partie des socialistes de voir le « monde d'après » engendrer une casse sociale.

Philippe Crevel: Les deux grands anciens partis de gouvernement que sont le Parti socialiste et les Républicains n’ont pas réussi à surmonter leurs divisions en leur sein. Cela concerne de nombreuses questions et en particulier celles attenantes à l’économie. Le parti socialiste fondé en 1971 par François Mitterrand se voulait d’inspiration marxiste. Par intérêt électoral, François Mitterrand qui n’était pas un socialiste historique, loin de là, s’était rallié aux idées de gauche de groupuscules comme le CERES de Jean-Pierre Chevènement. Au nom du programme commun avec le Parti communiste, il avait vendu aux membres de son parti la planification, les nationalisations, l’augmentation des dépenses sociales et un interventionnisme étatique. Malgré la rupture du programme commun en 1978 en raison d’un différent sur la liste des entreprises à nationaliser, François Mitterrand conserva sa ligne de gauche à travers ses 110 propositions. Après sa victoire en 1981, il appliqua son programme durant deux ans provoquant non seulement une envolée du déficit public, de la dette mais aussi du chômage et du déficit commercial. L’échec de la politique de la politique de relance à la mode keynésienne s’est conclu par l’annonce d’une pause dans les réformes et surtout par la décision de rester dans le serpent monétaire et dans la Communauté européenne. Ce choix majeur a créé des lignes de fractures au sein qui n’ont jamais été effacées. Le PS a fait l’équivalent du Bad Godesberg de la SPD allemande mais en catimini, de manière honteuse, c’est-à-dire le choix de la social-démocratie sur l’utopie révolutionnaire. François Mitterrand réussira à imposer à la base réticente de son parti le marché unique et surtout l’euro. Lors du référendum du traité de Maastricht, en 1992, Jean-Pierre Chevènement fait campagne contre. Il démissionne du PS en 1993.  Lionel Jospin entre 1997 et 2002 tenta d’ignorer les failles internes à travers le concept e gauche plurielle associant le Parti communiste, les Verts, les radicaux et Jean-Pierre Chevènement. La politique se voulait de gauche en symbole les 35 heures. Face au mécontentement croissant de la population, le Premier Ministre décida, en deuxième partie de son mandat de réduire les prélèvements, politique alors conduite par Laurent Fabius qui se positionnait alors à droite au sein du PS. La gauche plurielle éclata lors de l’élection présidentielle de 2002 et l’échec au premier tour de Lionel Jospin. Le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen marqua un nouvel accroissement des failles au sein du PS. Si la direction du parti socialiste emmenée à l’époque par François Hollande décide de soutenir le traité, une opposition interne conduite par Laurent Fabius déportée à gauche de son parti et par Jean-Luc Mélenchon décide de combattre le dit traité. Le rejet du traité ne permet pas une clarification. Jean-Luc Mélenchon démissionne du PS en 2008 pour son propre mouvement. François Hollande qui avait fondé dans les années 80 un mouvement appelé « les transcourants » réalise une synthèse par défaut. Dominique Strauss Kahn aurait pu refonder sur des valeurs sociales-démocrates le parti. L’affaire du Sofitel de New-York ont mis un terme à cette potentielle refondation. François Hollande a été élu en 2012 sur un déni total. Homme féru d’économie, plutôt keynésien mais néanmoins porté sur l’offre, François Hollande a choisi un angle anticapitaliste, anti-libéral pour sa campagne en clamant que « mon adversaire, c’est le monde de la finance ». Arrivé au pouvoir, après quelques mois de politique à gauche toute, il se départit de ses habits révolutionnaires pour prendre une ligne de synthèse molle. Ce virage provoqua la naissance des frondeurs qui tentèrent de déposer une motion de censure contre leur propre gouvernement. Les divisions économiques du Parti socialiste sont en partie responsables de l’échec de François Hollande et de la candidature d’un frondeur à l’élection présidentielle de 2017 en la personne de Benoit Hamon. L’émergence d’Emmanuel Macron a abouti à un exode d’une part non négligeables des socio-démocrates vers la République en Marche. L’axe économique du PS s’est donc déplacé vers la gauche. La concurrence de la France Insoumise et des Verts a réduit son espace.

Pour les Républicains, les divisions sont tout aussi anciennes. Elles sont consubstantielles à l’histoire des droites. Selon René Rémond, il y a toujours eu une droite nationaliste, une droite bonapartiste et une droite libérale orléaniste. Le gaullisme était issu du bonapartisme et avait réduit à néant ou presque la droite nationaliste qui avait, en outre, été déconsidérée par le régime de Vichy. La droite orléaniste s’est constituée après la Seconde Guerre mondiale la démocratie chrétienne et par les Républicains Indépendants de Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier forma l’UDF en 1978, parti qui rassembla les libéraux et les modérés. Les Gaullistes étaient plus étatistes et souverainistes quand l’UDF se voulait libéral et européenne. Avec les années 80, les lignes de partage se sont compliquées à droite. Le RPR conduit par Jacques Chirac s’est rallié surtout entre 1986 et 1988 au libéralisme. Après fait campagne en 1970 contre le Parlement européen, Jacques Chirac s’est converti à la construction européenne au point de soutenir le Traité de Maastricht et le traité constitutionnel. De nombreux élus RPR épousèrent les positions de leurs chefs. Il en fut ainsi d’Alain Juppé, de Jacques Toubon, de Jacques Barnier et de bien d’autres. En revanche, un schisme interne se fit jour autour de Charles Pasqua et de Philippe Séguin qui prirent une ligne anti-européenne. A l’exception de Philippe de Villiers qui rallia le camp des anti-Maastricht, l’UDF fut plus homogène sur le plan économique. L’idée de l’union des droites s’est construite afin de mettre un terme à la lutte stérile entre les deux partis qui n’avaient plus lieu d’être en raison du rapprochement des lignes. L’UMP était surtout le fruit de Jacques Chirac de se doter d’un parti acquis à sa cause après son échec lors des élections législatives anticipées de 1997. La création de l’UMP ne s’est pas faite sur un programme, sur des idées mais au nom d’un opportunisme électoral. Si dans les statuts d’origine, il a été rejeté le principe des courants, ces derniers ont continué à persister et ruiner l’édifice. L’UMP est devenue un lieu de combats entre les différents présidentiables. Nicolas Sarkozy a pu imposer sa ligne réformiste entre 2005 et 2012 mais sans vouloir réellement fixer un cadre économique. En tant que gaulliste, il se voulait pragmatique même si par tempérament, il était le Président le plus libéral que la France ait connu depuis l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Son échec contre François Hollande en 2012 a réveillé les vieux démons de la droite. Les combats de personnes, l’absence d’espaces de réflexion, la montée du Front National ont entraîné la balkanisation de la pensée de la droite de gouvernement. L’élection d’Emmanuel Macron a créé un écrémage avec le départ d’élus pro-européens comme Jean-Pierre Raffarin, de gaullistes comme Bruno Le Maire ou de Sarkozystes comme Gérald Darmanin. Les deux partis privés de nombreux cadres n’ont pas peu depuis deux ans réellement établir un corps de doctrine.

Le coronavirus est-il la tempête qui a mis à nu la déroute intellectuelle de l'opposition et de ceux qui sont au pouvoir ? Si oui, de quelle façon ?

Edouard Husson: La crise du COVID 19 montre chacun tel qu’il est,...sans masque ! La vie politique a quelque chose d’étonnamment simple. LR et le PS ont, depuis une bonne trentaine d’années, renoncé à leurs fondamentaux, ceux de la droite et de la gauche. De Gaulle a dit quelque chose du genre « Je n’aime pas mes partisans parce qu’ils ne servent pas la nation; je n’aime pas la gauche parce qu’elle ne sert pas l’Etat ». De fait, après Pompidou, la droite à renoncé à défendre la famille, l’éducation, la nation, le capital français qui sont ses raisons d’être. La gauche a renoncé à défendre l’emploi sur le sol français, l’industrie, l’investissement public, la justice sociale, ces grandes causes qui l’avaient toujours inspirée jusque-là. On a eu soudain, face à face, deux partis qui ne croyaient plus à leur raison d’être. La République En Marche est la tentative de revigorer deux inconsistances. L’Etat est actuellement gouverné par un président issu du parti socialiste et un premier ministre issu des Républicains. Que reste-t-il de différence entre eux? Un peu plus de pragmatisme chez le Premier ministre, un goût bien de gauche des envolées lyriques chez le Président. Ensuite, leur coopération produit une catastrophe sanitaire qui sera suivi d’une crise économique et sociale.  

Christophe Boutin: C’est toute l’idéologie progressiste qui est mise à mal par la crise du coronavirus : retour aux valeurs de prudence, de modération, choix de la proximité, redécouverte de la famille, et, bien sûr, de la nation, tout ce que le progressisme détricote quand il ne le détruit pas, toutes les bases du conservatisme, redeviennent plus que jamais d’actualité. Le monde rêvé d’Emmanuel Macron est apparu comme un décor de carton-pâte, où cette Union européenne dont il veut à toute force promouvoir la souveraineté était aux abonnés absents, où l’Allemagne qu’il courtise depuis 2017 lui claquait ses frontières au nez, où la « start-up nation », ravalée au niveau des nations émergentes, était incapable de se procurer des produits de première nécessité sur les étagères en ligne de la « mondialisation heureuse ». Un désastre sur le plan pratique mais aussi idéologique : que reste-t-il des pages d’une étonnante mièvrerie du livre-manifeste des « stratèges de Macrton », David Amiel, et Ismaël Emelien, Le Progrès ne tombe pas du ciel ?
Pour l'opposition, les choses auraient pu être plus simples. Peu pour le PS, car s’il a, avec la Fondation Jean-Jaurès ou d'autres, un réservoir intellectuel à même de fournir des analyses de qualité, il lui est par contre difficile, à cause de ce progressisme partagé avec LREM, de proposer une refondation idéologique - et à peine un discours d'opposition cohérent. Et à droite ? On pouvait attendre une réponse forte, mais là encore, même si certaines structures de réflexion existent bien, la proximité idéologique d’avec LREM joue aussi. LR a en effet cédé depuis des décennies ses structures de réflexion, celles qui devraient lui permettre de bâtir un programme, à cette droite progressiste que l’on a évoqué, ou, a minima, à une droite fascinée par le progressisme… et tétanisée par les médias. À des intellectuels qui ne rêvent que d’être adoubés et reconnus par la gauche médiatique, qui n’ont par exemple pas cessé de dénoncer l'ombre portée de Patrick Buisson sur les débuts du quinquennat de Nicolas Sarkozy, et qui s’interdisent l’usage d'un certain nombre de termes - nation, frontières… -  ou usent de la novlangue édulcorée obligatoire – migrants, jeunes des quartiers… -, de peur de se voir accusés de faire le jeu du côté obscur de la droite, c'est-à-dire du Rassemblement national. 
Et d’ailleurs, pour être complet puisque l'on parle d’opposition, il faudrait aussi dire un mot du Rassemblement national et de La France Insoumise, et de la manière dont la crise a, ou non, validé une partie de leurs propositions. Pour ces deux partis, il est clair que les inquiétudes qu’ils formulaient sur la dérive du service public, sur la mondialisation financière, ou sur le retour à une certaine proximité, ont trouvé une évidente résonnance lors de cette crise sanitaire. Par contre, seul le RN fait du fait national l'élément central de son discours, LFI se positionnant volontiers dans une sorte d’internationalisme sinon de sans-frontiérisme mis mal par cette crise.

Philippe Crevel: Une crise révèle évidemment les forces et les faiblesses. Depuis 2002 avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier, l’élection présidentielle est devenue la seule élection qui compte. Auparavant, l’élaboration du programme pour les législatives servait de matrice pour les partis politiques. Celui-ci est devenu secondaire. La Présidentielle a tout emporté. Les partis sont des coquilles vides. Il n’y a pas de sédimentation des idées, de façonnement de programmes autour des députés, des militants. Tout est aujourd’hui centré sur les potentiels candidats qui dans leur tour d’ivoire jette quelques idées vagues afin de ne décevoir personne. L’appauvrissement intellectuel de la vie politique se traduit par le manque de vision à moyen et long terme par le manque de préparation des projets de réforme. Ainsi, sur les retraites, nous avons tous vu qu’un slogan « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous » ne fait pas une réforme. Au niveau de la santé, les failles du système ne sont pas nouvelles. Les problèmes des urgences, de la rémunération des infirmières, de la dette des hôpitaux sont connus depuis vingt ans. Sur le temps de travail, la droite a été incapable d’avoir une religion depuis 2003 sur la nécessité ou pas de supprimer les 35 heures. Une génération est passée et les lois Aubry, certes un peu amendées, sont toujours là. Pour autant, elles ont été un des facteurs clefs du déclin de la France. Ce n’est pas l’argent qui manque dans ce pays mais bien le travail de fond.


Comment les partis d’oppositions peuvent-ils se relever ? Le RN et LFI ont-ils une carte à jouer au vu des nombreuses propositions qu’ils font en cette crise ?

Edouard Husson: Il faut sortir du système partisan actuel. LR, le PS sont des astres morts. LREM est le fruit de leur collision. Mais si l’on élargit le spectre de l’analyse, les partis d’opposition tiennent en otage  des millions de Français. La France Insoumise est encore prisonnière du n-ième succédané du marxisme, cette doctrine mortifère et qui était déjà dépassée dans les années 1880, quand commence la Seconde Révolution Industrielle. Nos amis mélenchonistes ont 150 ans de retard. Ou seulement 50 ans quand ils décident de rejoindre le gouvernement sur les lois encourageant l’individualisme absolu et la manipulation technique du corps humain. Mais dans les deux cas, profondément réactionnaires. Si l’on reste à gauche, vous avez les Verts, eux aussi prisonniers d’une vision archaïque de l’écologie, incapable de surmonter la contradiction consistant à promouvoir les énergies décarbonées tout en voulant démanteler le nucléaire. A droite, le Rassemblement National a un mérite: celui d’avoir toujours eu les pieds sur terre. Sur l’immigration, sur l’insécurité, sur la soumission à l’islamisme, sur les dangers de la désindustrialisation (se rappelle-t-on comme Marine Le Pen avait averti, durant le débat présidentiel, sur le danger que courait la France à n’avoir plus d’industrie pharmaceutique sur son sol?), le RN peut se targuer d’avoir bien décrit les symptômes. Pour autant, les réponses du parti sont très insuffisantes: il n’y a que de l’opportunisme dans l’attitude vis-à-vis de l’Union Européenne; le parti a renoncé à dmander la sortie de l’euro parce qu’il a vu que cela ne marchait pas électoralement. Le RN n’a aucune vision concrète de la réindustrialisation de la France parce qu’on n’y travaille pas sur les ressorts de la Troisième Révolution industrielle. Dans la crise actuelle causée par la pandémie, le RN a été présent en première phase, pour dénoncer les erreurs du gouvernement, pas pour proposer des solutions. Ce sont dans tous les cas des forces politiques nouvelles qui vont devoir émerger. 

Christophe Boutin: Il y a actuellement deux lignes de fracture qui pourraient permettre de poser les bases d’une  opposition. La première, idéologique, et sur laquelle d'ailleurs Emmanuel Macron ne s’est jamais trompé, car il a toujours posé la question en ces termes, est celle qui oppose les conservateurs aux progressistes. Or tant que les Républicains n'auront pas clairement tranché leur appartenance à l’un ou l’autre, car les deux sont inconciliables, il n'y aura pas de cohérence. Et sur le plan politique cela veut dire qu’une partie de l'électorat conservateur se trouvera utilisé par LR, comme depuis des décennies, pour faire élire des progressistes.Dire que la ligne est entre conservateurs et progressistes semble exclure toute possibilité d'alliance de l’ensemble des opposants à ce bloc centriste Emmanuel Macron a voulu créer. Mais il y a une deuxième ligne de rupture essentielle actuellement, cette fois relevant de l'idéologie mais aussi de la pratique politique, celle qui oppose les populistes aux représentants d'une certaine oligarchie, le peuple aux élites démissionnaires selon Lasch, la « France périphérique » à celle des métropoles pour Christophe Guilluiy, pour Jérôme Sainte-Marie le « bloc populaire » au « bloc élitaire » et pour David Goodhart les « somewhere » aux « anywhere ». Car peuple, bloc populaire ou somewhere, ne sauraient être considérés comme étant uniquement de droite ou de gauche mais mêlent les deux, avec un ennemi commun clairement identifié. Il y aurait donc une possibilité de créer une opposition en revendiquant, plus que jamais, l'usage des libertés individuelles et politiques – avec toujours en ligne de mire le référendum d’initiative populaire.
Mais voici qu’usant et abusant de la crise sanitaire, le gouvernement actuel fait tout pour limiter au maximum les dites libertés - d'aller et venir, de réunion, et jusqu'à la liberté d'expression, menacée sur les réseaux sociaux. Voici que le gouvernement, par la multiplication de contraintes aussi contradictoires qu'inutiles, comme par les multiples vexations de l’appareil répressif, cherche à casser l’esprit critique et à habituer à l’obéissance. Voici que « l’état d’urgence sanitaire », comme son prédécesseur, permet de mettre en place de nouvelles mesures de surveillance de la population, dont on doute qu’elles disparaitront avec lui. Et c’est à ce que diront les différents partis de cette évolution que l’on saura quelle place ils tiennent dans l’opposition…

Philippe Crevel: Dans le passé, de grands partis ont disparu, les radicaux socialistes qui ont le part phare de la 3e République par exemple. Si le PS et les Républicains ne réagissent pas, leur sort risque d’être identique. Depuis deux ans, ils ont à peine réussi à soigner leurs plaies. Ils souffrent d’un manque de responsables de haut niveau. Certains ont quitté leur parti ou se sont mis sur des strapontins comme Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand. François Baroin attend son heure. Cette stratégie est guidée par leur ambition présidentielle mais elle ne permet pas la reconstruction des Républicains. La situation à gauche est semblable avec la coexistence d’une multitude de courants en interne et en externe et la concurrence des Verts. 

Faute de visibilité et de ligne claire, les deux anciens partis de gouvernement font le lit des extrêmes. Ils devront trancher la question de l’Europe, du protectionnisme, du libéralisme, de l’immigration, etc. En jouant un coup à droite, un coup à gauche, le tout en même temps, ils risquent de se perdre. La droite française a toujours défendu le principe d’une économie de marché ouverte sur l’extérieur récusant le protectionnisme. La droite modérée a toujours tiré sa force des collectivités locales. Face à un Emmanuel Macron qui est un jacobin, centralisateur, interventionniste, elle a un espace sur le plan économique plus large qui n’y paraît. En s’affermissant, elle pourrait se payer le luxe de rentrer par le haut dans un gouvernement d’union nationale sur la base d’un programme clair. Valéry Giscard d’Estaing n’a-t-il pas réussi à exister face à de Gaulle avec un tout petit parti politique en jouant justement sur ses idées libérales et européennes. Le PS est dans la même situation. Il lui faut retrouver de la crédibilité très rapidement et non pas attendre la prochaine élection présidentielle faute de quoi le risque de sortie définitive du jeu électoral est important ?

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