Les vraies raisons derrière la bonne fécondité française<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Françaises continuent de faire de nombreux enfants.
Les Françaises continuent de faire de nombreux enfants.
©Reuters

Comme des lapins

Même la crise économique et ses perspectives cauchemardesques ne sont pas capables d'empêcher les Françaises de continuer à faire des enfants. Entre raisons historiques et politiques familiales, cette exception française ne semble pas prête de s'arrêter.

François   Héran

François Héran

François Héran est président de la European association for population studies (EAPS) et a été directeur de l'INED de 1999 à 2009. Il a notamment publié "Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française" (2007) et "L’avenir de la population française" (2009).

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Atlantico : Une étude de l’INED publiée ce matin révèle que, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins, la fécondité française n’est pas altérée par la crise. Quelle est la typologie des femmes qui font des enfants en France et comment cette typologie évolue-t-elle ?  

François Héran : Comme le montre cette étude de Gilles Pison de l'INED, les femmes françaises ont en général leur premier enfant avant 30 ans, ou plus exactement, « 30,5 ans », puis un second après cet âge. Nous ne sommes cependant pas les seuls à avoir un âge de fécondité aussi tardif puisque les Pays-Bas par exemple connaissent un âge de fécondité encore plus tardif. Nous avons donc une assez bonne symétrie entre la part des naissances avant 30-31 ans et les naissances après. Cet âge est clairement beaucoup plus tardif qu’à l’époque du baby-boom où la moyenne était plutôt à 21, 22 ans. Les femmes qui font des enfants le font en général après leurs études si elles en font et la fécondité au cours des études est en très net recul. L’une des particularités françaises est notamment que nos femmes ne s’arrêtent que quelques mois pour leurs grossesses alors que dans de nombreux pays, les mères s’arrêtent plusieurs années même pour un seul enfant.

Sur le plan social, il n’y a pas de grandes différences comme dans les années 1960 bien que se maintienne une courbe en U. Celle-ci représente donc une légère surfécondité des familles les plus aisées et de celles étant les moins aisées. Au milieu, se trouvent les classes moyennes qui font moins d’enfants. Ces écarts sont tout de même de moins en moins net et l’ensemble se lisse. De la même manière, les différences géographiques sont devenues quasiment inexistantes. L’arc de surfécondité Sud-Ouest, Nord, Nord-Est appartient en grande partie au passé. Il y a donc une convergence générale qui aplatit le profil des femmes qui font des enfants dans notre pays. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas le cas dans tous les pays comparables. L’Italie par exemple, connait de grandes disparités géographiques dans ses naissances et l’Angleterre de grandes différences sociales. Il y a encore de très nombreuses maternités précoces qui en France ont longtemps été l’apanage des milieux ouvriers mais qui sont de plus en plus rare.

Cette forte fécondité est-elle une tendance historique française ? Dans quelle mesure cela est-il lié à notre politique familiale ?

Nous avons une politique familiale qui, si elle est tout à fait améliorable, a le grand avantage de permettre de faire cohabiter la vie de famille et le travail à temps plein pour les femmes. Dans certains pays, cela se concentre au contraire vers à l’inverse sur la possibilité d’un travail partiel. En France, la politique familiale a pris une tournure féministe depuis la présidence de Valérie Giscard d’Estaing en créant donc cette possibilité faire coexister ces deux éléments de manière optimale. Cela est dû au fait que nous aidions l’enfant sur la durée. Au contraire, certains pays du Sud commencent à mettre en place des politiques de soutien ponctuelles qui ne se révèlent jamais efficaces puisque les parents prévoient les dépenses et ne font donc pas nécessairement plus d’enfants.

De la même façon, on évoque parfois l’idée que la fécondité était très forte même sous l’Occupation mais c’est un débat contesté parce qu’assez technique. Certains défendent l’idée que le baby-boom a commencé pendant cette période mais dans les faits il est probable que les couples qui ne l’étaient pas essayaient probablement de compenser, consciemment ou pas, le manque d’enfants provoquées par les nombreux couples séparés par le STO, les arrestations ou autres. Ce qui est certain en tout cas, c’est que dès 1946, il y a eu une augmentation de 200 000 naissances par an et que cela a duré trente ans. La vraie grande caractéristique de la France en termes de fécondité est la présence d’un consensus général sur l’importance de la politique familiale que ce soit à droite ou à gauche. Ce n’est pas le cas chez nos voisins puisqu’en Italie, en Espagne ou encore ne Suède ou en Hongrie, quand on change de gouvernement, on change de politique familiale. L’Eglise elle-même s’invite parfois dans le débat alors qu’elle n’a pas droit de cité chez nous. En Espagne par exemple, dès que vous parlez de politique familiale le nom de Franco apparaît sur toutes les lèvres tant c’est classé à droite. En France, il y a un mouvement nataliste qui date de la fin du XIXème qui se distingue par le fait de n’être absolument pas lié à l’Eglise. Il y a donc un esprit historique lié aux guerres de 1870 et de 1914-1918 puisque dans l’entre-deux-guerres, nous étions le pays, complètement déprimé sur le plan de la fécondité, qui comptait proportionnellement le plus grand nombre de personnes âgées. Cette situation a été bien diagnostiquée dès les années 1930 qui ont engendrées des mesures en réaction à une réalité objective de dépression démographique.

Le lien entre l’immigration et la fécondité est un débat recurrent et contesté, qu’en est-il vraiment ?

C'est une question sur laquelle je lis constamment que le taux de fécondité relativement soutenu de la France serait uniquement du à l'immigration : c'est faux, L'INSEE a d'ailleurs vérifié ces calculs. Il y a une contribution de l'immigration assez forte au nombre des naissances mais assez faible au taux de fécondité. Je m'explique. 

Prenons un exemple : sur 7 femmes, 6 sont françaises et 1 est étrangère. Si toutes les femmes ont deux enfants, l'étrangère va représenter une mère sur 7, donc 1/7 des naissances soit 14 % des naissances, mais elle ne changera rien au taux de fécondité si elle a autant d'enfants que les françaises. Il n'y aura pas d'écart de fécondité.  L'étrangère représentera donc une forte contribution au nombre des naissances mais une contribution nulle au taux de fécondité.

Maintenant, si l'étrangère a 3 enfants, et une des femmes françaises un seul au lieu de deux, l'étrangère aura donc 3 naissances sur 14, ce qui représente donc 21 % des naissances. Le taux de fécondité va alors changer : pour les 6 françaises, on aura un taux de fécondité de 1, 83, et, en prenant en compte la mère étrangère, le taux de fécondité sera de 2. Il y aura donc une petite élévation de la fécondité nationale, de 1,83 à 2, ce qui représente la situation actuelle en France. Sans les mères étrangères, on aurait 1,8 enfant par femme au lieu de 2. 

La contribution au nombre de naissances est donc forte - environ 20 % des naissances sont des naissances de mères étrangères. La contribution à la fécondité va être beaucoup plus faible, car une mère sur sept ne pèse pas très lourd dans la moyenne. On peut donc tout à fait avoir une forte contribution aux naissances et une faible contribution au taux de fécondité - qui est la moyenne du nombre d'enfants qu'ont les femmes. Si une minorité est surféconde, cela ne va pas pour autant faire changer fortement la moyenne, tout simplement parce que ces femmes restent minoritaires. Cette surfécondité par rapport au niveau français varie beaucoup selon les origines. L'immigration portugaise a même moins d'enfants que la moyenne française. Le taux de fécondité de l'immigration maghrébine est également maintenant très proche du taux français. Dans tous les pays du Maghreb, on avait 7 enfants par femme dans les années 70, alors qu'on en a à peine plus de 2 maintenant.  C'est chez les migrants d' Afrique subsaharienne que l'on trouve des taux de fécondité encore relativement élevés, mais pour l'instant la migration africaine, très concentrée dans la région parisienne, est modérée par rapport à la France entière. Les flux les plus importants de migrants que la France reçoit chaque année viennent du Maghreb, ce qui explique que l’impact sur la fécondité reste faible. Si on regarde la fécondité de la France sans les étrangers et si on applique tous les calculs aux pays voisins, l'écart du taux de fécondité de la France avec les pays voisins serait encore plus important. En Allemagne, plus de 30 % des naissances sont de mères étrangères, tout comme en Suisse et en Espagne. Dans la plupart des pays voisins, la croissance de population se fait uniquement par l'immigration, ce qui n'est pas le cas chez nous, puisqu'elle ne représente qu'un quart de la croissance de la population chaque année.

 Les femmes françaises ont beaucoup d'enfants, et on peut l'expliquer en partie par la politique familiale. L'Europe du Sud (Grèce, Espagne..) et les pays germaniques sont des pays familialistes, et ce sont ceux qui ont la plus basse fécondité, alors que ceux qui sont les plus flexibles - avec un statut des enfants dans le mariage ou hors mariage qui est équivalent, la pratique de la cohabitation - ont des taux de fécondité plus élevés. La rigidité des structures familiales sont maintenant contraires à la fécondité. 

Le poids social de l’absence d’enfant pour une femme influence-t-il ce phénomène de forte fécondité ?

Il est incontestable qu'en France il existe une norme assez forte de l'entourage. La politique familiale n'explique pas tout, mais c'est vrai qu'il existe dans notre pays l'idée qu'une femme ou un homme sans enfant n'aurait pas totalement réussi sa vie. La France est un des rares pays au monde à scolariser les enfants dès l'âge de 3 ans, ce qui manque cruellement dans les pays comme l'Allemagne, car ce n'est pas dans leurs traditions. En Allemagne, il y a un manque cruel de maternelles et de garderies, qui sont des structures qui jouent un rôle fondamental en France, qui font partie des plus fortes mesures natalistes.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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