Les salariés français sont parmi les plus pénalisés dans l’OCDE par la double peine « inflation + impôts » et voilà pourquoi <!-- --> | Atlantico.fr
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Selon un nouveau rapport, les Français semblent souffrir davantage de l'inflation que les autres pays de l'OCDE.
Selon un nouveau rapport, les Français semblent souffrir davantage de l'inflation que les autres pays de l'OCDE.
©INA FASSBENDER / AFP

Pouvoir d'achat en berne

Selon un nouveau rapport de l'OCDE, la France est parmi les 3 pays qui ponctionnent le plus leurs salariés. Les actifs voient leurs revenus réels baisser avec la hausse de l'inflation et de la fiscalité.

Alexander Pick

Alexander Pick

Alexander Pick est économiste et chef d'unité, Nouvelles politiques de développement et des institutions, au Centre de développement de l'OCDE.

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Atlantico : L'OCDE a récemment publié un rapport. Les impôts sur les salaires 2023. Que dit votre rapport sur l'évolution des salaires en 2022 ?

Alexander Pick : Nous constatons que les salaires nominaux augmentent dans tous les pays de l'OCDE. Cependant, si l'on tient compte de l'inflation, les salaires réels ont en fait baissé dans 35 pays sur les 38 que compte l'OCDE en 2022. Cela a sans aucun doute un impact significatif sur le pouvoir d'achat des travailleurs dans ces pays.

S'agit-il d'un phénomène mondial ?

Oui, en effet. Si vous vous référez au rapport, vous trouverez le tableau 1.7 qui fournit des chiffres précis. Dans ce tableau, vous remarquerez un certain niveau de variation entre les pays, mais dans l'ensemble, il s'agit d'un modèle cohérent. Si l'on considère les pays où la baisse des salaires réels a dépassé 5 %, on trouve des pays comme la République tchèque, l'Estonie, la Grèce, la Lettonie, la Lituanie, le Mexique, les Pays-Bas, l'Espagne et la Turquie. Il s'agit d'une distribution assez large de pays dans différentes parties de l'OCDE.

Mais vous montrez qu'il y a en fait un double coup dur ?

En effet. Comme je l'ai déjà mentionné, il y a eu une augmentation des salaires nominaux dans les pays de l'OCDE. Cela conduit à une situation où les individus passent dans des tranches d'imposition plus élevées ou sont confrontés à des taux d'imposition plus élevés sur une plus grande partie de leurs revenus. Il existe généralement des seuils de revenus en dessous desquels les individus sont exonérés d'impôts ; à mesure que les revenus augmentent, la proportion de revenus en dessous de ce seuil diminue, et les individus progressent graduellement dans le barème fiscal. Il s'agit d'un phénomène connu sous le nom de "bracket creep" ou "fiscal drag". Lorsque ces taux d'imposition plus élevés sont combinés à une baisse des salaires réels due à une forte inflation, le coup est double.

Ce phénomène a été observé dans la majorité des pays de l'OCDE en 2022. Il est possible d'atténuer cet effet en ajustant les seuils d'imposition en fonction de l'inflation. Toutefois, le rapport constate que la majorité des pays de l'OCDE n'adaptent pas automatiquement les seuils de l'impôt sur le revenu des personnes physiques à l'inflation.

Quels sont les pays qui adaptent leur système à l'inflation ?

Nous avons analysé divers aspects du système d'imposition du travail, notamment l'impôt sur le revenu, les cotisations de sécurité sociale et les prestations perçues, pour chaque pays. Si vous vous référez au chapitre deux du rapport, les tableaux 2.1 et 2.2 montrent quels pays adaptent automatiquement ces différents instruments à l'inflation et lesquels ne le font pas, sur la base des informations qu'ils ont fournies en 2022. Nous constatons qu'un peu moins de la moitié des pays de l'OCDE, à savoir 17 sur 38, procèdent à des ajustements automatiques. En outre, 21 pays de l'OCDE ajustent automatiquement leurs cotisations de sécurité sociale et 19 le font pour les prestations.

Il convient de mentionner que même dans les pays qui n'ont pas d'ajustements automatiques, ils peuvent encore réagir à l'inflation de manière discrétionnaire. Par exemple, si le parlement reconnaît que l'inflation augmente rapidement, il peut décider de procéder à des ajustements en conséquence. Par conséquent, l'absence d'ajustements automatiques ne signifie pas nécessairement que ces pays négligent l'inflation ; il s'agit d'un reflet du fonctionnement de leurs systèmes spécifiques.

Dans l'ensemble, cette question est complexe et doit être nuancée. Toutefois, la conclusion générale est que les mises à jour régulières des systèmes fiscaux pour tenir compte de l'inflation ne sont pas pratiquées de manière cohérente dans les pays de l'OCDE.

Vous avez calculé ce que vous appelez le coin fiscal. Qu'est-ce que cela nous apprend sur ce qui se passe en Europe ?

Le coin fiscal est le principal indicateur utilisé dans le rapport. Il mesure la différence entre le coût du travail pour l'employeur et le salaire net correspondant de l'employé. Il est calculé comme la somme de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et des cotisations de sécurité sociale payés par les salariés et les employeurs, moins les prestations en espèces reçues, en proportion du coût total de la main-d'œuvre pour les employeurs.

L'importance du coin fiscal peut influencer les décisions d'embauche des employeurs et l'incitation des individus à travailler.

La France se situe à un niveau très élevé en termes de coin fiscal. Cela signifie-t-il que les Français souffrent davantage de l'inflation que les autres pays de l'OCDE ?

Un coin fiscal relativement élevé n'indique pas nécessairement qu'un pays est plus vulnérable à l'inflation. Il indique plutôt que les taux d'imposition qu'il impose sont relativement élevés par rapport aux autres pays de l'OCDE. Prenons l'exemple de la France, dont le coin fiscal a toujours été supérieur à la moyenne des pays de l'OCDE. En 2022, le coin fiscal de la France n'a que légèrement augmenté. Elle a mis en œuvre diverses mesures pour se prémunir contre l'inflation et fait partie des pays qui ajustent automatiquement certains éléments de leur système fiscal.

Qui sont les plus touchés par ce double coup ?

Les modèles de taxation des salaires prennent en compte huit types de ménages différents, qui varient en fonction de la composition du ménage, de la situation matrimoniale, de la présence d'enfants et du niveau de revenu. Nous avons pu examiner l'impact de l'inflation sur la charge fiscale de ces différents types de ménages. Dans le rapport, nous analysons spécifiquement l'impact potentiel de l'inflation sur le coin fiscal d'un travailleur moyen et sur le coin fiscal d'un parent isolé avec deux enfants gagnant 67 % du salaire annuel.

Pour un travailleur moyen au salaire moyen, l'inflation exerce une pression modérée à la hausse sur la charge fiscale dans l'ensemble des pays de l'OCDE. Toutefois, si l'on considère un parent isolé avec deux enfants gagnant 67 % du salaire moyen, l'impact de l'inflation est beaucoup plus important. En effet, les personnes à faible revenu ayant des enfants bénéficient d'une série d'avantages, de taux d'imposition plus faibles et de dispositions spécifiques dans le cadre du système d'imposition du travail conçu pour les soutenir. Si ces prestations et dispositions ne sont pas ajustées en fonction de l'inflation, leur charge fiscale s'alourdit à mesure que leur revenu augmente. Étant donné que ces travailleurs ont accès à un plus grand nombre de ces mesures qu'un travailleur célibataire gagnant le salaire moyen, l'inflation a un impact plus important sur la charge fiscale des travailleurs à faible revenu avec enfants si les systèmes fiscaux ne sont pas ajustés en conséquence pour tenir compte de l'inflation.

Il est largement reconnu que les travailleurs à faible revenu, en particulier dans certains secteurs, ont été confrontés à des difficultés considérables pendant la pandémie. L'inflation a donc aggravé une situation déjà difficile pour ces groupes vulnérables.

Quels sont les pays les plus touchés par ce double choc ?

Il est difficile d'établir un classement définitif car deux facteurs différents interviennent simultanément : la baisse des salaires réels et l'augmentation du coin fiscal.Le tableau 1.1 montre l'augmentation du coin fiscal pour un travailleur célibataire au salaire moyen, qui peut être comparée au tableau 1.7 qui montre dans quels pays les salaires réels ont baissé. Toutefois, l'impact varie selon les types de ménages, et la pression fiscale n'a pas été le seul facteur. Aux États-Unis, par exemple, le coin fiscal pour ce type de travailleur a enregistré la plus forte augmentation entre 2021 et 2022 en raison de la suppression d'une mesure de soutien au COVID-19. Il est important de prendre en compte les régimes fiscaux et les politiques fiscales de chaque pays, comme nous le faisons en détail dans le rapport, pour bien comprendre la dynamique.

Souhaitez-vous ajouter autre chose ?

Il est important de prendre en compte les défis temporels liés à l'ajustement à une inflation rapide. Dans le passé, les systèmes fiscaux de l'OCDE étaient habitués à des taux d'inflation relativement faibles, mais l'année dernière, l'inflation a augmenté rapidement, atteignant son niveau le plus élevé depuis 1988 au sein de l'OCDE. Cette accélération fait qu'il est difficile de suivre le rythme de l'inflation, même si des ajustements sont effectués en début d'année. Il peut être difficile d'adapter les systèmes fiscaux à des augmentations soudaines de l'inflation tout au long de l'année.

Il convient de noter que la taxation des salaires n'englobe pas l'ensemble de l'économie, ni toutes les mesures que les pays peuvent avoir mises en œuvre pour atténuer la hausse du coût de la vie, telles que les mesures visant à contrer l'impact des hausses des prix des carburants. De nombreux pays ont pris des mesures pour protéger les ménages de la hausse des prix de l'énergie ou de l'essence. Ces mesures ne sont pas prises en compte dans le modèle de taxation des salaires, qui offre une perspective plus étroite, spécifiquement axée sur les conditions du marché du travail en 2022.

Bien que le modèle de taxation des salaires fournisse des informations précieuses sur les conditions actuelles, il est important de reconnaître ses limites et d'admettre qu'il offre un point de vue spécifique plutôt qu'une analyse complète du paysage économique dans son ensemble.

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