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La Commission européenne a présenté son projet de « taxonomie » qui intègre le nucléaire sous certaines conditions.
La Commission européenne a présenté son projet de « taxonomie » qui intègre le nucléaire sous certaines conditions.
©JOHN THYS / AFP

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La Commission européenne a présenté un projet de « taxonomie ». Ce système de labellisation verte va concerner les centrales nucléaires et à gaz. Ce dispositif vise à faciliter le financement d'installations contribuant à lutter contre le réchauffement climatique.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Bien connue comme branche de la Biologie, la taxonomie étudie la diversité du monde vivant en l’organisant au sein de classes hiérarchisées appelées taxons. Dans une démarche similaire, l’Union Européenne a appliqué ce concept aux énergies. La « taxonomie verte » différentie les « énergies du bien » sauvegardant la planète et promises au paradis des subventions européennes des « énergies du mal » vouées à disparaître en enfer. Tout le monde aura compris que le bien se situait du côté des énergies renouvelables tandis que le mal se nichait dans les énergies fossiles, charbon et pétrole en tête. Signalons au passage que les « mécréants » représentent toujours 47% du mix primaire européen alors que les élus de Dieu sont largement minoritaires comptant pour seulement 18% (en incluant l’hydroélectricité)

Entre paradis renouvelable et enfer fossile, les 35% restants sont pour l’instant cloués au purgatoire et doivent expier des péchés dont ils n'ont pas fait suffisamment pénitence. Face au grand tribunal Bruxellois, qui du gaz ou du nucléaire obtiendra la bénédiction nécessaire pour accéder au paradis vert des subventions européennes ? L’enjeu n’est pas mince dans la mesure où l’énergie est l’un des principaux postes du plan de relance européen[1]. Chacun des deux candidats fait valoir ses avantages tandis que ses principaux détracteurs mettent en avance leurs principaux défauts.

Gaz et nucléaire sont tous deux parfaitement pilotables et ne souffrent aucunement d’ intermittences. Ils peuvent donc l’un comme l’autre intervenir comme principal soutien aux renouvelables dont la montée en puissance devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies.

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Contrairement au nucléaire pratiquement neutre en termes d’émissions de GES (10 gCO2/kWh), les nouvelles technologies gazières par Cycles Combinés (60% de rendement) émettent de l’ordre de 340 gCO2/kWh. Sur le plan climat, le nucléaire l’emporte donc sans conteste. En revanche, si le nucléaire n’émet pas de GES, il génère des déchets qu’il faut traiter puis stocker. La France est néanmoins à la pointe dans ce ce domaine grâce à son laboratoire sous-terrain de Bures à la frontière de la Haute-Marne et des Ardennes capable de stocker des déchets radioactifs de façon sécurisée durant des milliers d’années à 500 mètres de profondeur dans une roche argileuse rigoureusement imperméable.

Au niveau économique, gaz et nucléaire sont deux philosophies totalement différentes. Alors que pour le gaz, les investissements restent modérés (environ 500 millions d’euros par GW), ils atteignent plusieurs milliards voire plusieurs dizaines de milliards d’euros pour le nucléaire surtout lorsque les coûts explosent comme à Flamanville. En revanche, pour le nucléaire le coût du combustible ne compte que pour quelques pourcents dans le prix du MWh alors que pour le gaz, le coût du combustible compte pour plus de 90% du coût du MWh. L’impact d’une potentielle fluctuation des marchés de l’Uranium s’avère donc négligeable d’autant que les stocks nationaux (plusieurs années en prenant compte du combustible recyclé) sont sans commune mesure par rapport au stock de gaz (seulement quelques semaines). Sur le plan de l’indépendance énergétique, le nucléaire l’emporte donc largement sur le gaz.

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Au cours des dernières années, les prix modérés du gaz lui donnaient un avantage économique par rapport au nucléaire de dernière génération.  Mais, depuis l’été 2021, le contexte a fortement évolué. Si la flambée des prix du gaz se confirme, le MWh gazier pourrait rapidement devenir structurellement non économique par rapport au MWh nucléaire. Donc, avantage conjoncturel au nucléaire avec une surveillance renforcée sur les marchés du gaz.

Bien que le risque nucléaire reste infime face aux millions de morts annuels inhalant des fumées et des particules de charbon, les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima (qui rappelons-le n’était pas un accident nucléaire) restent ancrées dans l’imaginaire collectif comme des plaies irréversibles. De surcroit, la propagande très bien organisée des collectifs « antinuk » font souvent mouche dans une société obsédée par le risque zéro. Sur le plan de l’acceptabilité sociétale, avantage sans conteste au gaz face au nucléaire qui, pour une grande partie de la population, reste un danger latent.

Au-delà d’une discussion bénéfices/risques, le nucléaire et le gaz restent pour les différentes nations européennes un enjeu politico-économique, chacun avançant ses pions selon son intérêt stratégique. Ursula Von der Layen est sensée arrêter sa décision finale fin décembre pour la rendre publique le 18 janvier. Les bruits sont pour l’heure contradictoires. Alors que selon le Monde, le choix de la présidente se serait finalement porté sur le nucléaire, le média européen Télos déclarait le 27 décembre : « Bruxelles vient de présenter le nouveau régime d’aides d’État…dont le nucléaire, contrairement au gaz, serait exclu ».

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Il faut dire qu’en coulisse, l’Europe est déchirée entre un groupe pronucléaire[2] de 10 mené par la France et un groupe antinucléaire[3] de 5 mené par l’Allemagne. Vienne menace d'aller devant la Cour de Justice européenne si la Commission faisait le choix de classer le nucléaire dans la taxonomie verte. La présidente de la commission est-elle prête à aller jusqu’au clash franco-allemand pour faire passer son projet ? Réponse à la mi-janvier.


[1]  Les transitions écologique et numérique ainsi que pour favoriser la stabilité macroéconomique et l'équité sociale : 672,5 milliards d'euros sur un total de 750 milliards d’euros

[2] France, Roumanie, République Tchèque, Slovaquie, Croatie, Slovénie, Bulgarie, Pologne, Hongrie et Finlande

[3] Allemagne, Autriche, Danemark, Luxembourg et Portugal

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