#LaVraieCasseSociale : pourquoi ces idées de la gauche pourraient bien achever l’économie française et enterrer définitivement les perdants de la mondialisation<!-- --> | Atlantico.fr
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La robotisation et l'automatisation des tâches auront pour effet de "détruire" 3 millions d'emplois en France d'ici à 2025 et la création d'emplois qui découlerait de cette automatisation de l’économie ne permettra pas de compenser une telle lame de fond.
La robotisation et l'automatisation des tâches auront pour effet de "détruire" 3 millions d'emplois en France d'ici à 2025 et la création d'emplois qui découlerait de cette automatisation de l’économie ne permettra pas de compenser une telle lame de fond.
©wikipédia

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Si plusieurs candidats de la gauche établissent avec justesse un diagnostic effrayant pour l’économie française, les remèdes proposés envisagent d’abord d’organiser le partage du mal plutôt que d’offrir des solutions de prospérité pour le pays. Une sorte de planification du renoncement.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Les 32 heures

Benoît Hamon était l'invité de l'Émission politique, sur France 2, le 8 décembre dernier. À cette occasion, l’ancien ministre de l’Education présenta ses propositions économiques, en indiquant par exemple "depuis que je suis entré en campagne, on me prête de vouloir faire les 32 heures", une position à relativiser puisque Benoît souhaite surtout "encourager le temps partiel" en se basant sur l'idée qu'"Il faut accompagner les transitions" car celles-ci "vont amener les hommes et les femmes à travailler moins". De la même façon, d'autres candidats à la primaire socialiste suivent la même voie, comme Gérard Filoche, ou Pierre Larrouturou, la réduction du temps de travail comme outil de lutte contre le chômage.

Soit. Le diagnostic exprimé ici par Benoît Hamon paraît clair. En constatant le ralentissement de la croissance qui mord le pays depuis près d'une décennie, et sa conséquence principale qui a été la progression du nombre de chômeurs, il conviendrait de partager le "travail disponible" entre les individus, afin d'obtenir une société plus "inclusive". C'est l'idée de partage du travail (qui est aussi celle du partage du salaire) qui prend racine dans l'acceptation de la conjoncture actuelle. Cette stagnation économique est vue comme une fatalité. 

Bien sûr, le constat ne peut être démenti. Par contre, ce qui pose franchement problème, c’est le renoncement à la croissance, le renoncement à une économie suffisamment forte pour inclure l’ensemble des actifs potentiels du pays, et pour le nombre d’heures qu’ils souhaitent. Parce que le passage aux 32 heures ressemblerait bien à une défaite en rase campagne, le temps partiel, les 32 heures ne sont rien d’autre qu’une condamnation à une stagnation, voire à une régression du niveau de vie d’une majorité de salariés sur la base d’un diagnostic douteux. Une conséquence qui frappera en premier lieu ceux que les 32 heures prétendent défendre. Une forte croissance n'est pas un vœu pieu, mais elle suppose une politique spécifique, et il semblerait que la recette ait été laissée aux oubliettes.

Les États-Unis ont créé 15 millions d'emplois au cours des cinq dernières années, tandis que la zone euro n'en a créé que 3 millions, et ce, alors même que les deux populations totales sont très proches, 338 millions de personnes en zone euro contre 318 millions aux États-Unis. Tout simplement parce que la Réserve Fédérale des Etats-Unis n’a pas déposé les armes, parce qu’elle a soutenu l’économie du pays. Le plein emploi n'est pas un problème économique, il s'agit d'un problème politique, et les solutions sont disponibles. Il s’agit principalement du rôle de la Banque centrale européenne. Le fatalisme n'est pas obligatoire.

Les États-Unis ont perdu la bataille des inégalités, mais ont gagné celle de la croissance. L'Europe, et la France tout particulièrement, ont les moyens de gagner ces deux batailles, mais le renoncement à la croissance et au plein emploi enclenchera la perte de la guerre. Et si la tendance à la réduction du temps de travail qui a eu lieu au cours des dernières décennies pourrait bien se poursuivre dans les prochaines années, celle-ci doit avoir pour cause le choix des salariés, ce qui suppose un niveau de revenus suffisant conduisant à un tel choix, et non une contrainte légale. Lorsque les 35 heures ont été mises en place en France, la conjoncture économique était robuste, et la logique était celle du partage des fruits du boom de la fin des années 1990. Ce partage aurait pu être monétaire, le choix a été fait de donner plus de temps libre à la population. Cette idée est contestable, mais au moins elle avait un but "positif". Rien de tel avec les 32 heures, il ne s’agit que de baisser la tête.

Le mythe de la croissance

Benoît Hamon déclara également "Oui, je fus croyant, mais je ne le suis plus. Je ne crois plus aujourd'hui qu'il faille tout sacrifier au mythe d'une croissance qui, de surcroît, est très inégalitaire"." La croissance relève du mythe. Nous lui sacrifions nos droits sociaux comme nos ressources naturelles". En l'espèce, Benoît Hamon pose le problème correctement en indiquant que la croissance ne suffit pas à lutter contre les inégalités. Cependant, le chiffre de l'évolution du PIB n'a jamais prétendu le contraire. La croissance n'est qu'un moteur, elle est l'indice du développement d'une économie, mais elle ne nous dit rien de sa distribution au sein de la population. Donald Trump et le Brexit sont apparus dans deux pays qui ont connu les plus importantes reprises économiques depuis l'année 2008, mais celles-ci se sont révélées inégalitaires, ce qui a conduit aux résultats électoraux évoqués. Mais ce n'est pas la croissance elle-même qui est en cause. Une forte croissance permet aux États d'avoir le choix entre une redistribution plus juste des revenus, permise par un État-providence efficace et adapté, ou une redistribution inexistante pour un résultat parfaitement inégalitaire. Mais un État sans croissance n'a pas le choix, et le "sacrifice des droits sociaux" deviendra la règle. Il est aujourd’hui avéré que les personnes les moins qualifiées, les chômeurs de longue durée, sont les plus éloignées de la possibilité de retrouver un emploi stable, et correctement rémunéré. Seule une forte croissance peut permettre de les réintégrer au sein du monde du travail. 

Si la notion de PIB peut être critiqué, cela serait plutôt en raison de son imperfection à "tout" mesurer, notamment dans le domaine de la finance, ou pour son incapacité à prendre en compte le développement qualitatif de la production, mais sans doute pas pour une question de "mythe". Le PIB est un repère, il est la mesure essentielle du développement, il est également l'outil essentiel et indispensable d'une politique monétaire, qui est elle-même au cœur d'une véritable politique de plein emploi. 

Vouloir évacuer le terme de croissance et de PIB revêt un caractère éminemment politique ayant pour but de reléguer la consommation dans le domaine du méprisable. Ce qui est vraiment très joli. Pourtant, si une nouvelle croissance verte, une croissance sympa sans pétrole et sans rouille, voyait le jour, il est fort probable que le chiffre du PIB redeviendrait un objet de fierté. Mais le chiffre de la croissance, lui, est neutre.

Faire payer des taxes sur les robots (entre autres) pour financer le revenu universel

L'autre mesure phare mise en avant par certains candidats de gauche, dont Benoît Hamon est une nouvelle fois le plus avancé, est le revenu universel. Face au défi immense du financement d'une telle mesure (chiffrée à 450 milliards d'euros), l'ancien ministre propose notamment de taxer les robots. Le diagnostic étant le suivant : la robotisation et l'automatisation des tâches auront pour effet de "détruire" 3 millions d'emplois en France d'ici à 2025 (selon le site du candidat), et la création d'emplois qui découlerait de cette automatisation de l’économie ne permettra pas de compenser une telle lame de fond. Dès lors, la mise en place d’un revenu universel permet d’offrir une réponse aux victimes du phénomène, en la finançant en partie (pour 32 milliards selon Benoît Hamon) par une taxe sur les robots.

En premier lieu, selon l'OCDE, le risque encouru par la France sur la question de l'automatisation et de la robotisation des taches concerne 2 millions, et non 3 millions d'emplois. Ce qui est tout de même suffisant pour s'interroger sur cette problématique que Benoît Hamon, il faut vraiment le reconnaître, a bien fait de mettre sur la table. En second lieu, le niveau d'imposition proposé sur les robots par le candidat socialiste paraît quand même très exagéré : 32 milliards d'euros (à mettre en comparaison avec les recettes totales de l’impôt sur les sociétés en 2015, soit 32,9 milliards d’euros). Mais l’essentiel est qu’il paraît bien peu évident de considérer que les deux millions de personnes mises à l’écart pourront se contenter d’un chèque de 750 euros par mois, au titre du revenu universel, comme seule réponse. Alors que le seuil de pauvreté à 50% du revenu médian est fixé à 840 euros par mois, le revenu universel ressemble quand même curieusement à une condamnation à la pauvreté perpétuelle. Les emplois seront pour les plus éduqués (ce qui exclut une bonne partie des enfants des classes populaires), les autres recevront leur chèque pour survivre. La sociabilisation permise par le travail, le statut qu’il procure, ne se remplaceront pas plus par un chèque. Encore et toujours, la logique de défense.

Mais l’idée du revenu universel a le vent en poupe. Reste que cibler correctement des fonds sociaux vers ceux qui en ont vraiment besoin, plutôt que d’orienter plus de 275 milliards d’euros (sur 450 en tout) vers les personnes vivant au-delà du revenu médian, malgré un caractère plus ringard, pourrait quand même être plus approprié.

Puis, pour en revenir à nos robots, le problème posé par une réponse fiscale est son aspect radicalement désincitatif à la robotisation et l'automatisation des entreprises du pays. En passant dans une logique punitive cherchant à préserver l’existant, l'économie française passera ainsi à côté de la création d’emplois plus qualifiés et plus rémunérateurs, ce qui sera autant d’opportunités perdues pour des personnes fraîchement diplômées. Car la taxation au niveau de l'entreprise sera totalement contreproductive si la France veut être un bastion de la haute technologie (et offrir des débouchés à une jeunesse toujours plus formée). Plutôt que de rater une nouvelle fois le train en marche, il faudrait peut-être se poser la question des possibilités ouvertes par cette "nouvelle ère de la machine", histoire de ne pas perdre sur tous les tableaux. Car la non-robotisation ne permettra pas davantage de préserver indéfiniment les emplois concernés. Le défi est autre et l'OCDE indique :

"Dans l’ensemble des pays, les travailleurs moins instruits sont ceux qui courent le plus de risques de voir leur emploi supprimé. Si 40% des travailleurs avec un niveau d’instruction inférieur au deuxième cycle du secondaire occupent des emplois ayant un fort risque d’automatisation, moins de 5% des travailleurs diplômés de l’enseignement universitaire sont dans le même cas. Ainsi, l’automatisation pourrait renforcer les handicaps auxquels certains travailleurs font déjà face".

Parce qu'il ne s'agit pas d'oublier les personnes les moins qualifiées qui sont les plus exposées à ce phénomène. Mais l'objectif n'est pas de maintenir ces personnes dans des emplois routiniers et peu qualifiés, il s'agit de créer les conditions permettant la prise en charge, par les entreprises elles-mêmes, de leur formation à ces nouvelles tâches. Ce que l'OCDE ne manque pas de rappeler :

"Même si le risque de chômage technologique peut être écarté, des suppressions d’emploi et des modifications de la structure des professions auront lieu. L’ampleur de ces changements variera d’un pays à l’autre, reflétant les différences en matière de tissu industriel et de profil de qualifications de la main-d’œuvre. Ces changements peuvent avoir un impact négatif sur les travailleurs qui ne sont pas en mesure de faire la transition vers les nouveaux emplois. Si la polarisation du marché du travail se poursuit, les salariés risquent d’être plus nombreux à se retrouver coincés dans des emplois peu qualifiés et mal rémunérés, avec peu de possibilités de franchir le fossé de plus en plus large les séparant des emplois assurant une rémunération et un bien-être suffisants".

L'enjeu réel n'est donc pas de bloquer l'automatisation mais de l'accompagner sans aucune naïveté. Aider réellement les personnes qui ne pourront faire face à la transition technologique, accompagner au mieux la formation du personnel en place, et toujours et encore, augmenter le niveau éducatif des jeunes. 

Le plein emploi ne peut pas tout mais il est indiscutablement l'outil le plus efficace pour répondre aux menaces économiques qui planent au-dessus de la France. Les mesures proposées ici correspondent avant tout à un traitement des symptômes du mal, bien plus qu'elles ne prennent sa cause à la gorge. Il s'agit, sur la base d'un diagnostic souvent juste, d’aménager la défaite, mais sans chercher de réponse offensive.

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