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La taxe carbone, géniale oui... Mais inapplicable et toxique pour les Européens
N’en déplaise aux économistes, la taxe carbone décidée par les Européens est surement un moyen génial pour imaginer une économie verte, mais si on l’applique, on va bien réussir à tuer l’industrie européenne.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
« Entre le machiavélisme et la connerie, l’Europe choisit une fois de plus la deuxième posture… ». La phrase un peu brutale d’Alain Madelin pourrait coller à l’actualité de la semaine avec cette mesure de lutte contre les émissions de carbone.
L’Union européenne s’est enfin résolue à instaurer une taxe carbone sur les produits importés en Europe. Une taxe bénéfique au climat, certes. C’est évidemment une idée géniale mais elle est tellement géniale qu’elle va être non seulement très difficile à appliquer et à calculer, mais elle va être très toxique aux industriels. Donc elle est simple mais perverse. Formidable mais inapplicable. C’est une spécialité européenne.
En instituant pour la première fois cette taxe carbone aux frontières de l’union européenne, le parlement européen a évidemment envoyé un signal très fort au reste du monde. L’Europe va enfin s’attaquer frontalement aux émissions de carbone pour dissuader les consommateurs d’acheter les produits importés responsables des émissions de carbone. Pour les économistes, il s’agit d’introduire dans le prix de vente d’un produit le coût de ce qu’on appelle « les externalités négatives » liées aux émissions de carbone dispensées lors de la fabrication et de la conception du produit.
En clair, on sait que la production électrique issue du charbon ou des énergies fossiles émet plus de gaz carbone que l’électricité issue d’un panneau solaire. Par conséquent, en théorie, l’électricité qui sort d’une centrale au charbon devrait couter plus cher au consommateur que l’électricité fabriquée par une turbine hydraulique à la sortie d’un barrage des Alpes.
Pour les économistes, l’idée de Bruxelles a donc toutes les vertus. Elle plait aux écologistes, elle est théoriquement équitable dans la mesure où les pollueurs seront aussi les payeurs. Enfin, elle est pédagogique puisqu’elle dissuade le consommateur d’acheter ce type de produit ou alors en toute connaissance de cause et en payant le prix qui permettra de financer des efforts de pollution.
C’est donc génial. Et on peut se demander pour quelles raisons aucun pays dans le monde n’a pas eu cette idée avant nous.
Et bien la raison est très simple. Elle sera inapplicable. Idéologiquement très affutée, mais très difficile à appliquer.
Conscient des difficultés, les experts du parlement européen ont d’ailleurs défini les produits sur lesquels cette taxe sera appliquée : l’acier, l’aluminium, le ciment, l’électricité, les engrais, peut-être l’hydrogène. Pour importer un de ces produits depuis un pays tiers, il faudra payer le même prix du carbone que celui payé par les entreprises de l’Union européenne. Objectif: mettre fin à une concurrence inéquitable. Ok, sauf que c’est très facile à appliquer si on importe du produit brut: de l’acier ou de l’aluminium, mais c’est autrement plus difficile quand on applique la taxe à des produits finis qui se composent d’acier, mais aussi de micro-processeurs ou de tissus etc…
L’autre problème qu’il faudra régler est la question des quotas gratuits dont disposent les industriels français. Il existe déjà en Europe un marché du carbone. Ce marché fixe une limite aux émissions de gaz à effet de serre et permet les échanges dequotas d’émissions. Pour chaque participant soumis au marché du carbone, il est obligatoire de restituer à la fin de l'année autant dequotasque de tonnes d’oxyde de carbone équivalentes émises dans l'atmosphère. Plus de 11 000 sites industriels disposent donc de droits gratuits d’émettre des tonnes de GES afin de ne pas être pénalisés par la concurrence étrangère qui, elle, est libre de taxe.
La taxe carbone aux frontières sera mise en place progressivement à partir de 2026 ou 2027, et devrait rapporter 14 milliards d’euros par an… Mais les industriels demandent du temps.
Le problème le plus toxique sera de vérifier si l’introduction de cette taxe à la frontière ne va pas être plus pénalisante aux industriels européens. Pourquoi? Tout simplement parce qu’ils auront plus intérêt à importer des produits finis que des composants. Ça leur coutera moins cher. Non seulement, ils peuvent gagner sur le prix de la main d’œuvre s’ils importent de Chine ou sur l’énergie s’ils importent des Etats Unis.
On voit déjà ce qui se passe sur le marché de la voiture électrique. Les producteurs asiatiques se bousculaient au dernier salon de l’auto avec leur offres chinoises à des prix très attractifs, d’autant plus qu’ils allaient bénéficier sur le marché français des subventions accordées aux véhicules électriques. Or, ces subventions sont très généreuses.
La lutte pour le climat selon les modalités européennes (dont en France ) a évidemment comme objectif de lutter pour protéger l’environnement, ce qui profite au monde entier, mais dans le même temps, si les mesures prises détruisent nos capacités industriellesau profit des économies asiatiques ou américaines, ça risque de provoquer des situations socio-économiques un peu délicates dans les territoires.
La Chine, par son attractivité coût, a déjà laminé beaucoup de systèmes de production en occident depuis 20 ans. Cette attractivité est sans doute devenue moins séduisante depuis le covid … Mais les Etats-Unis, eux, ont compris qu’ils devaient pousser leurs avantages comparatifs sur l’énergie et surtout en se protégeant des importations. Les dernières mesures adoptées par Washington vont avoir un effet redoutable. Contrairement à l’Europe qui envisage un système très complexe de taxation des productions carbone importées, l’Amérique, elle, va subventionner et aider massivement les productions « vertes », pourvu qu’elles soient produites sur le territoire américain. C’est simple et très efficace. C’est bon pour la planète, mais c’est encore meilleur pour renforcer le potentiel industriel des Etats-Unis et donc pour l’emploi.
L’Europe vient d’inventer une taxe carbone assez tordue mais les industriels européens attendent toujours un "pay europeen act ». Qui, aurait, au moins le mérite de lutter pour le climat mais aussi de répondre à la concurrence asiatique et américaine.
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