La taxe carbone, géniale oui... Mais inapplicable et toxique pour les Européens<!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant hostile à la taxe carbone en Australie.
Un manifestant hostile à la taxe carbone en Australie.
©GREG WOOD / AFP

Atlantico Business

N’en déplaise aux économistes, la taxe carbone décidée par les Européens est surement un moyen génial pour imaginer une économie verte, mais si on l’applique, on va bien réussir à tuer l’industrie européenne.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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« Entre le machiavélisme et la connerie, lEurope choisit une fois de plus la deuxième posture… ».  La phrase un peu brutale dAlain Madelin pourrait coller à lactualité de la semaine avec cette mesure de lutte contre les émissions de carbone.  

LUnion européenne sest enfin résolue à instaurer une taxe carbone sur les produits importés en Europe. Une taxe bénéfique au climat, certes. Cest évidemment une idée géniale mais elle est tellement géniale quelle va être non seulement très difficile à appliquer et à calculer, mais elle va être très toxique aux industriels. Donc elle est simple mais perverse. Formidable mais inapplicable. Cest une spécialité européenne.

En instituant pour la première fois cette taxe carbone aux frontières de lunion européenne, le parlement européen a évidemment envoyé un signal très fort au reste du monde. LEurope va enfin sattaquer frontalement aux émissions de carbone pour dissuader les consommateurs dacheter les produits importés responsables des émissions de carbone. Pour les économistes, il sagit dintroduire dans le prix de vente dun produit le coût de ce quon appelle « les externalités négatives » liées aux émissions de carbone dispensées lors de la fabrication et de la conception du produit.

En clair, on sait que la production électrique issue du charbon ou des énergies fossiles émet plus de gaz carbone que l’électricité issue dun panneau solaire. Par conséquent, en théorie, l’électricité qui sort dune centrale au charbon devrait couter plus cher au consommateur que l’électricité fabriquée par une turbine hydraulique à la sortie dun barrage des Alpes.

Pour les économistes, lidée de Bruxelles a donc toutes les vertus. Elle plait aux écologistes, elle est théoriquement équitable dans la mesure où les pollueurs seront aussi les payeurs. Enfin, elle est pédagogique puisqu’elle dissuade le consommateur dacheter ce type de produit ou alors en toute connaissance de cause et en payant le prix qui permettra de financer des efforts de pollution.

Cest donc génial. Et on peut se demander pour quelles raisons aucun pays dans le monde na pas eu cette idée avant nous.  

Et bien la raison est très simple. Elle sera inapplicable. Idéologiquement très affutée, mais très difficile à appliquer.

Conscient des difficultés, les experts du parlement européen ont dailleurs défini les produits sur lesquels cette taxe sera appliquée : lacier, laluminium, le ciment, l’électricité, les engrais, peut-être lhydrogène.  Pour importer un de ces produits depuis un pays tiers, il faudra payer le même prix du carbone que celui payé par les entreprises de lUnion européenne. Objectif: mettre fin à une concurrence inéquitable. Ok, sauf que cest très facile à appliquer si on importe du produit brut: de lacier ou de laluminium, mais cest autrement plus difficile quand on applique la taxe à des produits finis qui se composent dacier, mais aussi de micro-processeurs ou de tissus  etc…

Lautre problème qu’il faudra régler est la question des quotas gratuits dont disposent les industriels français. Il existe déen Europe un marché du carbone. Ce marché fixe une limite aux émissions de gaz à effet de serre et permet les échanges dequotas d’émissions. Pour chaque participant soumis au marché du carbone, il est obligatoire de restituer à la fin de l'année autant dequotasque de tonnes doxyde de carbone équivalentes émises dans l'atmosphère. Plus de 11 000 sites industriels disposent donc de droits gratuits d’émettre des tonnes de GES afin de ne pas être pénalisés par la concurrence étrangère qui, elle, est libre de taxe.

La taxe carbone aux frontières sera mise en place progressivement à partir de 2026 ou 2027, et devrait rapporter 14 milliards deuros par anMais les industriels demandent du temps.

Le problème le plus toxique sera de vérifier si lintroduction de cette taxe à la frontière ne va pas être plus pénalisante aux industriels européens. Pourquoi? Tout simplement parce quils auront plus intérêt à importer des produits finis que des composants. Ça leur coutera moins cher. Non seulement, ils peuvent gagner sur le prix de la main d’œuvre sils importent de Chine ou sur l’énergie sils importent des Etats Unis.  

On voit déce qui se passe sur le marché de la voiture électrique. Les producteurs asiatiques se bousculaient au dernier salon de lauto avec leur offres chinoises à des prix très attractifs, dautant plus quils allaient bénéficier sur le marché français des subventions accordées aux véhicules électriques. Or, ces subventions sont très généreuses.

La lutte pour le climat selon les modalités européennes (dont en France ) a évidemment comme objectif de lutter pour protéger lenvironnement, ce qui profite au monde entier, mais dans le même temps, si les mesures prises détruisent nos capacités industriellesau profit des économies asiatiques ou américaines, ça risque  de provoquer des situations socio-économiques un peu délicates dans les territoires.  

La Chine, par son attractivité coût, a déjà laminé beaucoup de systèmes de production en occident depuis 20 ans. Cette attractivité est sans doute devenue moins séduisante depuis le covid Mais les Etats-Unis, eux, ont compris quils devaient pousser leurs avantages comparatifs sur l’énergie et surtout en se protégeant des importations. Les dernières mesures adoptées par Washington vont avoir un effet redoutable. Contrairement à lEurope qui envisage un système très complexe de taxation des productions carbone importées, lAmérique, elle, va subventionner et aider massivement les productions « vertes », pourvu quelles soient produites sur le territoire américain. Cest simple et très efficace. Cest bon pour la planète, mais cest encore meilleur pour renforcer le potentiel industriel des Etats-Unis et donc pour lemploi.

LEurope vient dinventer une taxe carbone assez tordue mais les industriels européens attendent toujours un "pay europeen act ». Qui, aurait, au moins le mérite de lutter pour le climat mais aussi de répondre à la concurrence asiatique et américaine.

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