La folie française au cœur du budget : 3000 milliards de dettes d'État, mais 6000 milliards d'épargne des Français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'État est surendetté à hauteur de 3000 milliards d'euros, mais les Français sont les champions du monde de l'épargne.
L'État est surendetté à hauteur de 3000 milliards d'euros, mais les Français sont les champions du monde de l'épargne.
©LUDOVICMARIN / AFP

Atlantico Business

Ce budget 2024, recèle un paradoxe incroyable. L'État est surendetté à hauteur de 3000 milliards d'euros, mais les Français sont les champions du monde de l'épargne. C'est tellement incroyable que le gouvernement n'ose pas en tirer les conséquences.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Voir la bio »

Le projet de loi de finances présenté par Bruno Le Maire a confirmé ce que tout le monde savait. Dans un climat économique animé par une croissance molle mais une situation politique très nerveuse, pour ne pas dire violente, la France se retrouve avec un budget qui ne va satisfaire personne. Un budget qui cherche à prendre en compte les enjeux de la crise climatique, mais un budget qui essaie aussi d'amortir les chocs conjoncturels de l'inflation et surtout essaie de ne pas braquer une opinion publique exaspérée par une situation dont l'avenir n'est pas visible. Et pourtant, le gouvernement qui n'a pas de majorité politique fait ce qu'il peut pour protéger la stabilité de la situation sociale et politique.

Cette présentation budgétaire révèle pourtant un paradoxe qui pourrait être utilisé, parce que comme tous les paradoxes, il comporte une facette qui pourrait être fertile pour le bien public.

La facette noire et inquiétante, c'est évidemment la dette publique de l'État et de ses filiales sociales : plus de 3000 milliards de dettes stockées, soit près de 120 % du PIB, soit plus d'une année de richesses créées. Avec une ambition de réduire cet endettement qui ne se traduit pas dans l'action politique, puisque ce budget ne comporte pratiquement pas de baisse des dépenses publiques. Donc, le pays vit à crédit et il va continuer à vivre à crédit. L'ensemble du gouvernement et de la classe politique est responsable de cette dérive, puisque l'on ne trouve pas de majorité sur une ligne stratégique de désendettement. De plus, l'opinion publique ne semble pas inquiétée par cet endettement. L'impression partagée est que cela doit être normal.

La facette plus fertile de la situation financière, c'est l'exceptionnel montant de l'épargne accumulée par les Français : 6000 milliards d’euros. Malgré toutes les difficultés que les Français disent traverser, le taux d'épargne est le plus élevé du monde, soit près de 18 % du revenu net d'impôts et taxes. Cette épargne représente donc plus de 6000 milliards d'euros. C'est plus qu'un trésor, c'est une caverne d'Ali Baba. Il y a bien sûr les comptes d'épargne, à commencer par le Livret A, il y a tous les comptes courants, les excédents de trésorerie chez les particuliers, et les disponibilités en espèces qui sont rangées dans les placards, sous les matelas et les coffres-forts. On pourrait y ajouter certains comptes financiers rapidement réalisables.

À Lire Aussi

Un hold-up de plus de 3,5 milliards sur l'AGIRC-ARRCO pour combler une partie du déficit budgétaire

Ce stock d'épargne a deux caractéristiques.

- Un : l'argent est liquide ou disponible.

- Deux : cet argent ne rapporte rien.

À priori, il ne sert à rien, sauf à rassurer l'épargnant et sa famille. C'est une épargne de précaution contre des risques que les épargnants eux-mêmes ont du mal à définir, puisque parallèlement, ils sont bardés d'assurances (santé, travail, responsabilité civile... et plus de la moitié des Français sont propriétaires de leur logement principal. Le tiers des Français ont une résidence secondaire. Donc, à priori, à quoi peut servir cette épargne, sinon à prévenir des risques que l'État, par un modèle social sophistiqué et coûteux, essaie-lui aussi de couvrir.

En fait, toutes les enquêtes indiquent que les Français sont globalement stressés et inquiets de l'avenir, des conditions matérielles, mais pas que. Les Français épargnent comme des fous parce qu’ils n’ont plus confiance dans l’action publique. L’administration ne fonctionne pas, l’école périclite et la santé s’embourbe, la justice ne fait pas son job et la police est débordée ?Quant aux enfants, la majorité des familles se demandent comment ils pourront être décemment logés. Par conséquent, cette épargne colossale est une épargne de super-précaution.

La vraie et la seule question qu'il faudrait se poser, c'est de savoir comment un État moderne comme la France peut mobiliser cette épargne pour financer la couverture des risques climatiques. Si l'investissement à consentir pour la protection de l'environnement et plus spécialement pour la décarbonation est considérable, et si l'État n'a pas les moyens sur ses fonds propres ou ses revenus fiscaux de le faire, ce qui est le cas, il n'y a pas de raisons techniques pour ne pas faire appel à l'épargne privée disponible. La transition énergétique vers le nucléaire va nécessiter des centaines de milliards que l'État français n'a pas. Et EDF non plus, sauf à augmenter le prix de l'électricité, ce que le consommateur n'acceptera pas et qui risque de plomber la productivité de l'industrie.

À Lire Aussi

Essence, électricité, pouvoir d'achat : Emmanuel Macron coincé par le prix exorbitant de la transition énergétique et la lutte pour le climat

Parallèlement, l'industrie automobile et le secteur du bâtiment ont besoin également d'investissements gigantesques pour se décarboner. L'État n'en aura jamais les moyens. La seule solution consiste à offrir aux épargnants français des débouchés à leur épargne disponible (6000 milliards).

L'épargnant a besoin d'une meilleure sécurité et d'un rendement minimum. Lui offrir un investissement capable de contribuer à "sauver la planète" serait assez sécurisant. Quant au rendement, l'État peut sans risque lui promettre un revenu au moins égal à celui d'une assurance-vie. C'est à l'industrie financière qu'il faut tordre le bras et l'obliger à trouver des véhicules correspondant à ces objectifs. L'idée de faire un grand emprunt national pour couvrir cette entreprise historique ne suffira pas. Il faut des produits plus puissants et récurrents.

Les banquiers auront du mal à se laisser convaincre. Et pour cause, jusqu'à lors, ce sont les seuls à bénéficier de cette épargne liquide et disponible. Cette épargne constitue pour eux une matière première gratuite (ou presque) qu'ils peuvent recycler à des taux de plus en plus élevés.

Le comble de la situation actuelle, c'est que personne n'a intérêt à ce que le système de financement de la sphère publiquechange de logiciel. L'État peut vivre à crédit, ce qui lui maintient une sorte de paix socialo-politique. À droite comme à gauche, on s'insurge contre la facilité de la dette, mais on ne propose pas de financement alternatif.

L'épargnant assis sur son tas d'épargne a l'illusion d'avoir sécurisé son avenir, alors que son épargne gigantesque n'a qu'une fonction : servir de garantie aux marchés financiers internationaux pour qu'ils nous octroient des crédits dont l’accumulation devient dangereuse.

À Lire Aussi

Les chiffres clés d'un budget 2024 écartelé entre la fin du mois et la fin du monde

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !