L'ONU voudrait que nous mangions tous des insectes… vraiment de quoi sauver le monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'ONU veut que nous mangions plus d'insectes.
L'ONU veut que nous mangions plus d'insectes.
©Reuters

Miam miam !

La FAO (Food and Agriculture Organization of USA) publie régulièrement des études qui reviennent sur l'importance de manger des insectes, et l'ONU vient récemment d'insister sur le caractère incontournable de cette transition alimentaire. Passé l’écœurement, certaines pistes peuvent s'avérer intéressantes.

Jean-Baptiste de Panafieu

Jean-Baptiste de Panafieu

Jean-Baptiste de Panafieu est auteur scientifique, qui cherche avant tout à vulgariser des procédés scientifiques parfois méconnus ou complexes. Il a fait des études en biologie, puis s'est attelé à des recherches en océanologie. Il a ensuite enseigné, à des élèves de collèges et de lycées, les sciences naturelles. Il a écrit, notamment, Les insectes nourriront-ils la planète (Le Rouergue) en 2013.

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Atlantico : La Terre comptera 9 milliards d'Hommes en 2050. L'agriculture et l'élevage ont un coût écologique certain. La situation est brossée comme une catastrophe à venir, et de plus en plus d'études, comme celles de la FAO (Food and Agriculture Organization of the USA) recommandent de se tourner vers les insectes pour notre alimentation. L'ONU également. Dans quelle mesure les insectes peuvent-ils "sauver le monde" ?

Jean-Baptiste de Panafieu : Les insectes constituent une source de protéines de bonne qualité, comestibles et digestes, très importante. Bien qu'il y ait énormément d'insectes dans la nature, c'est sous forme d'élevage que cela prend tout son sens et devient le plus intéressant. Il s'agit d'élevages dont l'impact écologique est nettement moins élevé que ceux des élevages animaliers qu'on connait actuellement. Et pour cause : les insectes peuvent être nourris avec des sous-produits qu'on ne saurait pas utiliser autrement. Des "déchets" agricoles comme les fibres, la paille ou les feuilles. Les insectes transforment ces sous-produits en matière animale, et ce de manière plus efficaces que ne le feraient des vaches ou des porcs. Les mammifères ont besoin de produire de la chaleur et consacrent donc une partie de l'énergie que donne la nourriture pour se chauffer. Les insectes ne font pas ça et le rendement de la nourriture est donc bien meilleur. S'il faut dix kilos de nourriture pour un kilo de veau, il faudra un kilo et demi de nourriture pour un kilo d'insectes. C'est un rendement particulièrement intéressant.

Egalement, la vitesse de croissance des insectes est bien plus élevée que celles des grands animaux. Certes, il faut beaucoup plus d'insectes, mais proportionnellement, l'insecte gagne encore la bataille. C'est aussi le cas au niveau des déchets : la litière produite par un élevage de grillons pourra être utilisé telle quelle comme compost. C'est d'ailleurs le cas à Toulouse. Face à du fumier qui pollue les sols et les eaux, le match est encore une fois inégal. Toujours en termes d'écologie, les émissions de gaz à effet de serre sont moins importantes avec les insectes qu'avec les ruminants, qui produisent énormément de méthane. Il y a de nombreux aspects économiques et écologiques qui rendent les élevages d'insectes particulièrement intéressants par rapport aux autres élevages. De là à dire qu'ils vont sauver la planète… Ce qui est sûr c'est qu'ils pourraient contribuer à ce qu'on dégrade moins l'environnement.

Au vu de la situation actuelle, avec l'augmentation de la population et l'augmentation de la demande en viande (et en produits protéinés), il y a un réel problème. Aujourd'hui, la production de viande nécessite plus de la moitié de l'agriculture mondiale. S'il faut, comme ce qui est prévu, doubler la production mondiale de viande, on va au-devant d'un grave problème. Sauf à consacrer toute l'agriculture mondiale, ce qui est impensable, à la production de viande ; ou à augmenter l'intensité des élevages avec tous les problèmes écologiques qu'on sait.

La "solution insecte" n'est pas une solution unique, pas plus qu'elle n'est suffisante. Il sera indispensable de modifier, à terme, notre alimentation.

Pour autant, en dépit de la nécessité que cela représente, sommes-nous prêts à manger des insectes ? L'idée en dégoûte plus d'un !

Dans les pays d'Occident, le principal problème quant à la consommation d'insectes vient du fait qu'il ne s'agit pas d'une tradition alimentaire. Il est légitime de se demander pourquoi. Ces peuples qui ne veulent pas manger d'insectes mangent pourtant des crevettes, des crabes, des grenouilles ou des escargots. On pourrait tâcher d'expliquer cet aspect un peu "bizarre" par des raisons historiques un peu lointaines, mais au final, il n'y a pas de raison objective évidente, absolue. Il y a plein de peuples qui mangent des insectes : c'est même un aliment banal pour beaucoup de gens, qui est d'aussi bonne qualité que les crustacés, par exemple.

La force des traditions et des habitudes fait qu'on a du mal à manger des insectes, mais nous sommes capables de changer de position sur ce qu'on mange : il y a une génération, il aurait été purement et simplement impensable de manger du poisson cru. Certains effets de modes sont susceptibles d'influencer notre façon de voir ce que l'on mange. Y compris sur l'insecte ! Si beaucoup de gens sont repoussés par l'idée d'en manger, la moitié se dit prête à tenter. Bien présenté, l'insecte ce n'est plus cette petite chose grouillante, sale. C'est autre chose. Il ne représentera sans doute pas un aliment important dans notre alimentation occidentale, mais il finira par entrer dans notre panoplie de consommateur. Ce qui nous permettrait d'envisager que l'insecte soit quelque chose de comestible, ce serait qu'il n'ait plus sa forme d'insecte : farine, de complément de charcuterie, ou d'alimentation animale. On l'envisage aujourd'hui en restaurant, il est déjà présent sur certaines cartes, et c'est la preuve que c'est possible en supermarché également. Pour autant, ça ne veut pas dire qu'il va envahir la gastronomie française.

Quels peuvent-être les autres intérêts de l'insecte, au sein de l'industrie agro-alimentaire ?

Nous parlions de farine d'insecte, un peu plus tôt. Or la farine fait partie intégrante de l'alimentation des élevages dans l'agro-alimentaire. On utilise aujourd'hui, essentiellement, des farines à base de soja ou de poisson. Ces farines ont un impact écologique important : pour ces plantations de soja (à OGM), des millions d'hectares de forêts ont été coupés en Amérique du Sud. Quant à la farine de poisson, elle représente la pêche de millions de tonnes de poissons pour cette unique raison, provoquant de graves troubles dans les chaînes alimentaires océaniques et dans les stocks de poissons. Au demeurant, en pêchant tous ces petits poissons, on en prive les plus gros (à plus forte valeur économique) dont on se prive également.

Grâce à la farine d'insecte, nous aurions la possibilité, notamment, de nourrir les poissons d'élevages (aujourd'hui nourris à la farine de poisson, ce qui pose certains problèmes), mais aussi les poules, les porcs, etc. Ces compléments protéinés ont un impact économique : les tonnages concernés par cette politique sont énormes. La farine de poisson représente des dizaines de millions de tonnes. En ouvrant ce marché à la farine d'insecte, on produit un nouveau système économique. Sans parler des croquettes pour chien et chat, eux aussi nourris à la farine de poisson. Tout cela pourrait être remplacé par de la farine d'insecte, avec des avantages économiques, écologiques, et sans problème sanitaires : zoologiquement, l'Homme est bien moins concerné par les maladies qui touchent les insectes que celles que peuvent contracter les porcs. Nous sommes trop éloignés des insectes pour avoir à nous en soucier.

Egalement à considérer, les insectes ne présentent pas les mêmes "problèmes" de bien-être animal : ils sont entassés au naturel. C'est leur forme de vie et d'organisation classique. Un grillon apprécie tout à fait d'être avec d'autres grillons.

On aura néanmoins du mal à manger des animaux qui ont mangé des insectes, tant qu'on estimera que les insectes sont immangeables. Qui aurait envie de boire le lait d'une vache qui a mangé quelque chose de répugnant ? Alors que si un poulet mange un insecte qu'on estime normal, consommable, on peut manger le poulet sans soucis. Le problème vient du fait qu'on a oublié la place de l'insecte dans la chaine alimentaire.

Finalement, quels pourraient être les alternatives viables ?

La première chose, c'est la réduction de la consommation de viande. L'idée, dans les pays riches, commence à faire son chemin. Il faut une meilleure répartition des protéines animales, et non doubler notre production de viande comme c'est préconisé dans un futur proche. Ensuite, il existe d'autres possibilités : on a longtemps cru que les poissons d'élevages pourraient remplacer la pêche. Si ces poissons d'élevages étaient jusqu'alors nourris via les poissons pêchés, on peut s'attendre à ce qu'en les nourrissant avec de la farine d'insecte, il soit possible d'aller plus loin dans ce sens, et représenter une vraie alternative.

Dans les autres animaux qui pourraient donner lieu à des farines intéressantes, on compte les vers de terre. Mais c'est véritablement quelque chose que les gens n'ont pas envie de manger.

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