Jacques Delors, l’homme qui a toujours voulu marier ses convictions sociales, les contraintes du marché et les ambitions européennes<!-- --> | Atlantico.fr
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Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne, est décédé à l’âge de 98 ans.
Jacques Delors, l’ancien président de la Commission européenne, est décédé à l’âge de 98 ans.
©THIERRY MONASSE / AFP

Atlantico Business

Jacques Delors restera comme l’homme politique qui aura convaincu les socialistes de l'efficacité du marché et de s’engager dans la construction européenne. Avec une règle d’or : le respect du possible, des faits et des chiffres.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Pour une grande majorité des Français, Jacques Delors a suscité un grand regret : celui de ne pas s'être présenté à l'élection présidentielle de 1995 alors qu'il était sans doute le mieux placé pour l’emporter. Pour beaucoup, il était l'homme dont la France avait besoin. Mais lui n’en était pas convaincu, il ne se sentait pas capable d’assumer une telle charge. Il a beaucoup aimé l'exercice du pouvoir, mais redoutait les contraintes de la conquête de ce pouvoir. Il avait trop de respect pour les valeurs de la démocratie, et ce respect lui interdisait de faire des promesses en sachant qu'elles ne pouvaient pas se réaliser. Il lui fallait chaque jour respecter les faits et les chiffres. Détail mais il a son importance pour comprendre ses positions : sa foi religieuse et son attachement à l’église catholique confortaient ses engagements politiques y compris quand il s'agissait de défendre la laïcité.

Ce dogme des faits et des chiffres a dominé toute sa carrière politique. Jacques Delors s’est fait connaître aux côtés de Jacques Chaban Delmas, qu’il suivra dans les fonctions ministérielles successives. Il s'entend bien avec le maire de Bordeaux, ce baron du gaullisme portait la fibre sociale qui a manqué à Georges Pompidou dans les années 1970.

C’est JCD, alors Premier ministre, qui va échafauder le projet de nouvelle société très inspiré par Jacques Delors. Un mariage habile entre les objectifs sociaux et la recherche de l'efficacité économique. Mais ça passe mal à l’Assemblée , ni à droite, ni à gauche. Jacques Delors veut faire du en même temps avant que la methode s’impose avec Macron . A l’époque déjà , Ça casse. Pompidou n’y croit pas. Il découvre la politique de terrain lorsque Jacques Chaban Delmas se présente à l’élection présidentielle qui suivra la mort de Georges Pompidou. Jacques Delors fait partie de l'équipe, mais le rêve de Chaban est balayé dès le premier tour par Valéry Giscard d’Estaing qui incarne un vrai changement.

Jacques Delors prend alors du recul avec la politique et se replie dans l'entreprise, le syndicalisme, mais regarde avec intérêt ce qui se passe en Europe sous l'impulsion de Valéry Giscard d’Estaing. Mais VGE est à droite, une droite libérale certes mais arrogante. À gauche, Jacques Delors n’aime guère François Mitterrand, trop florentin. Et pourtant, deux des collaborateurs de Mitterrand apprécient les analyses sur les changements de la société française : Alain Savary et Pierre Maurois, le maire de Lille. Ils vont le « vendre » à François Mitterrand qui finit par l'acheter et le nommer ministre de l'économie et des finances. Il restera à Rivoli parce qu'à l'époque Bercy habitait Rivoli dans les salons de Napoléon III… Il va rester aux finances de 1981 à 1985, deux fois deux ans auxquels il va imprimer deux tempos différents.

Dans un premier temps, il orchestre l'application du programme plus social qu’economique , présenté par François Mitterrand, notamment un programme massif de nationalisations. Jacques Delors n'est pas très chaud, mais il fallait respecter la promesse politique faite à l'aile très à gauche de la majorité et notamment aux communistes. En réalité, Jacques Delors y verra une opération de reconstruction du capitalisme français. Les entreprises nationalisées sont en mauvais état. Il leur fallait le soutien en capitaux de l'État. Mais au bout d'un an, l'activité n'a pas repris et la France est asphyxiée par ses déficits budgétaires et commerciaux. François Mitterrand, convaincu par quelques-uns de ses visiteurs du soir, donne carte blanche à Delors en gardant Pierre Maurois pour ne pas trop choquer la gauche. Ça passe ou ça casse ?

Ça passera cette fois -ci parce que Jacques Delors, après avoir financé le social, va s’occuper du marché pour dégager de la valeur et des marges. « Le socialisme ne peut distribuer que ce que l'économie a produit » disait-il . Et pour produire, il faut de la rigueur, de la liberté et des marchés. Jacques Delors va donner aux entreprises la possibilité d'ouvrir les portes des marchés financiers pour mieux se développer. La France n’a déjà plus les couleurs un peu ternes de 1981. Les communistes sont sortis du jeu, les socialistes apprennent le jeu du marché. En 1985, les couleurs politiques changent. Du rouge, on est passé à la social-démocratie et a la gauche qui apprend a faire des affaires.

Jacques Delors, lui, regarde en Europe parce que, pour lui, le seul moyen d’exister face à la concurrence mondiale qui commence à prendre corps, grâce d’ailleurs à l'effondrement du mur de Berlin et à la fin du bloc communiste, est de forger une Europe forte et unie.

François Mitterrand est sur la même ligne, non pas pour des raisons économiques, mais politiques. Avec son complice allemand Helmut Kohl, ils vont faire un deal... « Je te soutiens dans le projet politique de réunir l'Allemagne de l’Ouest et l'Allemagne de l'Est, et tu me soutiens dans un projet de monnaie unique ». Derrière ce deal, il y a Jacques Delors à qui les deux chefs d'États demanderont de piloter la Commission européenne.

Pour Jacques Delors, c’est le projet de sa vie. Renforcer l’Euro et faire l'union européenne... Le projet ne fait pas l'unanimité des générations en Europe, mais il plaît aux hommes d'affaires et aux jeunes à qui il offrira Erasmus. Un projet d’échange des jeunes étudiants européens qui vont aller se mêler dans toutes les capitales de l’Europe. Jacques Delors est convaincu que les échanges économiques contribueront à l'harmonisation sociale et culturelle et que la monnaie unique garantira l’avenir dans un monde dominé par le dollar et bientôt le yen.

Quel parcours de celui qui est passé de la nouvelle société qu'il voulait construire avec Chaban Delmas à la nouvelle Europe qu’il va piloter pendant une décennie. Pour ce parcours, Jacques Delors restera dans l’histoire... mais il est parti à 98 ans en observant les difficultés que les démocraties européennes ont rencontrées, et surtout les fractures qui vont se produire dans les grandes démocraties.

Jacques Delors ne s’est pas trompé, que seraient les pays européens sans l'euro ?  aujourd'hui, il ne s’est pas trompé, sauf en se braquant sur les faits et les chiffres, il a oublié que les États étaient faits aussi d'histoire et de culture , de rêve et de projets parfois utopique , qui ont du mal à se fondre dans les faits et les chiffres. Il a sous-estimé le poids de la politique dans le fonctionnement de la démocratie. Il a quitté une Europe forte de ses générosités sociales, fière de ses découvertes scientifiques, mais affaiblie par son manque d’intelligence politique, ce qui a donné de la place aux démagogues et aux extrémismes qui tiennent le haut du pavé dans beaucoup de pays modernes.

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