Pourquoi les Indignés ne mobilisent pas les foules en France (y compris au G20)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français ont, pour le moment, été peut-être moins directement affectés dans leur vie quotidienne par les effets de la crise que les Espagnols, les Portugais, les Italiens ou les Chiliens...
Les Français ont, pour le moment, été peut-être moins directement affectés dans leur vie quotidienne par les effets de la crise que les Espagnols, les Portugais, les Italiens ou les Chiliens...
©Reuters

Je marche Hessel

Les Indignés français se réunissent ce vendredi pour occuper la Défense à Paris. La tenue du G20 à Cannes leur donnerait également l'occasion de se faire entendre. Mais contrairement aux pays voisins, le mouvement reste mesuré en France...

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Comment expliquez-vous que le mouvement des Indignés ne connaisse pas le même succès en France qu’en Espagne ou en Italie ?

David Valence : A bien regarder les chiffres de la mobilisation du 15 octobre dernier, au cours de laquelle le mouvement des Indignés a pris une dimension vraiment internationale, on ne peut en effet qu'être surpris par la modestie des manifestations en France : à peine plus d’un millier de manifestants à Paris et à Toulouse. Je vois plusieurs explications à cette faible mobilisation.

La première est toute bête : c'est que les Français ont, pour le moment, été peut-être moins directement affectés dans leur vie quotidienne par les effets de la crise que les Espagnols, les Portugais, les Italiens ou les Chiliens (dans ces pays, la mobilisation a été importante le 15 octobre).

Mais il est un facteur qui gêne l'acclimatation du mouvement des Indignés en France, et que peu de commentateurs ont identifié jusqu'ici. Pour le saisir, il faut d'abord se rappeler que le mouvement des Indignés rejette dos à dos la droite et la gauche, qu'il condamne en bloc les milieux dirigeants, accusés de trop de complaisance à l'égard des marchés.

Or, en France, ce discours "gauche, droite, tous pourris" a été dès longtemps préempté par l'extrême-droite. La gauche radicale ne peut adopter ce slogan, sous peine d'être accusée d'identité de vues et de discours avec le Front national. Cette crainte est d'autant plus forte que beaucoup des jeunes qui pourraient se mobiliser en France, et ne l'ont pas fait jusqu'ici, sont "nés" à la politique avec le 21 avril 2002, jour où Jean-Marie Le Pen a accédé au second tour de l'élection présidentielle.

Iriez-vous jusqu’à dire que les mots d’ordres des Indignés et ceux du Front national coïncident ?

Non, évidemment ! Mais j'observe qu'on sous-estime, en France, cet aspect "antipolitique" du mouvement des Indignés, sa radicalité critique vis-à-vis du modèle démocratique occidental.

Le mouvement des Indignés, qui permet en ce moment à toute une génération de faire son éducation politique en Espagne, ne porte pas, du reste, que des valeurs "négatives". Il traduit un désir de transparence, de probité et de participation démocratique qui sont assez sains dans leur principe. En outre, les Indignés sont très loin du culte de l'homme fort, de l'homme providentiel, qui a toujours droit de cité au FN, malgré la féminisation de son leadership.

Est-ce que les difficultés à analyser le mouvement des Indignés résultent en partie de leurs revendications floues ?

Le mouvement des Indignés a incontestablement quelque chose de neuf, d'irréductiblement neuf, ce qui le rend difficile à comprendre ; c'est presque un truisme.

On peut toutefois remarquer que ce mouvement a été annoncé, en quelque sorte, par les mobilisations populaires en Islande et en Irlande après la crise de 2008, l'aspect générationnel en moins.

Moins que des mots d'ordre précis et un programme, les Indignés traduisent un rejet très net de la collusion entre le pouvoir politique et les pouvoirs économiques. S'y ajoutent des aspirations souvent assez vagues, mais généreuses... Tout cela est en train d'accoucher d'un phénomène sociopolitique de première importance, quoiqu'il n'ait pas encore su trouver sa traduction politique "concrète".

Comment expliquer l'écart entre le succès populaire du livre de Stéphane Hessel « Indignez-vous » et le succès du mouvement des Indignés ?

Je voudrais avancer une autre explication au relatif insuccès -pour l'instant- du mouvement des Indignés en France : c'est que notre pays est beaucoup plus profondément politisé qu'on ne le dit.

François Furet aimait à dire que la France avait, en 1789, tout parié sur la politique. Et c'est vrai que cette dernière est toujours une passion française. J'en veux pour preuve une participation qui atteint parfois des niveaux inconnus ailleurs en Europe, lorsque les citoyens perçoivent clairement les enjeux des scrutins : beaucoup de pays rêveraient d'avoir plus de 80% de votants, comme ce fut le cas lors du référendum de 2005 ou de la présidentielle de 2007 !

En clair, les Français désespèrent sans doute moins de la politique que leurs voisins... Le rejet global de la gauche et de la droite y sont donc moins marqués qu'ailleurs, parce que le désamour pour la politique y est sans doute moins profond, plus superficiel.

Quant au livre de Stéphane Hessel, j'avoue que son succès reste un mystère pour moi. A-t-il vraiment convaincu de jeunes Espagnols de descendre dans la rue, ou leur a-t-il simplement fourni un slogan et un nom très symbolique ? Je penche pour la seconde hypothèse...

Enfin, si le livre de Stéphane Hessel a eu du succès en France, est-on sûr que les 19-34 ans l'aient lu? Rien ne le dit...

Pour conclure, pourquoi, contrairement à Seattle en 1999 ou à Gênes en 2001, les Indignés français ne profitent pas de la tenue du G20 à Cannes pour se mobiliser ?

Parce qu'à l'époque de Seattle ou de Gênes, on ne parlait pas des Indignés ! Les mouvements qui y protestaient contre la réunion des dirigeants des pays les plus riches du monde étaient beaucoup plus marginaux, plus "durs", plus profondément anticapitalistes.

Le mouvement des Indignés est plus profondément pacifique. Il n'est pas du tout porté par les mêmes acteurs que ceux de l' "altermondialisme" d'autrefois : il nous faut, pour l'analyser, ne pas chausser les lunettes d'un passé révolu (mai 68, etc), mais en comprendre la radicale singularité. Beau défi pour les chercheurs, les journalistes... et les responsables politiques!

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