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Fin du monde le 21 décembre 2012, J-3 : et selon vous, André Comte-Sponville, pourquoi se prépare-t-on plus facilement à la fin du monde qu'à notre propre mort ?
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J-3

Le calendrier maya prévoit la fin du monde le 21 décembre 2012. A cette occasion, Atlantico a demandé au philosophe André Comte-Sponville pourquoi les humains se préparent plus facilement à la fin du monde qu'à leur propre mort.

André  Comte-Sponville

André Comte-Sponville

André Comte-Sponville est philosophe et se décrit lui-même comme matérialiste, rationaliste et humaniste. Il est membre du Conseil consultatif national d'éthique, il est également l'auteur de très nombreux ouvrages de philosophie dont le dernier Le sexe ni la mort, Albin Michel, 2012.

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Atlantico : Si l’on en croit le calendrier maya, le 21 décembre prochain adviendra la fin du monde. Comment expliquer que nous appréhendions une disparition collective avec plus de légèreté que notre propre mort ?

André Comte-Sponville : La première chose à préciser à propos de cette prétendue fin du monde est l’incroyable sottise des gens qui y accordent du crédit. Si quelqu’un venait nous expliquer qu’il a vu la fin du monde dans le calendrier de la poste, il passerait pour fou et tout le monde rirait de lui. Je ne vois donc pas comment cette société maya qui était bien loin de notre niveau de développement et qui n’a pas su prévoir l’arrivée des conquistadors ni s’en protéger aurait pu prévoir la fin du monde plusieurs siècles après sa chute.Comme toujours, la superstition et la bêtise vont ensemble.

En revanche, le concept de fin du monde est une idée forte qui peut tout à fait devenir réelle et qui selon tous les physiciens finira par arriver. D’ailleurs en réalité, c’est plutôt la fin de l’humanité qui nous préoccupe et non pas la fin du monde. A ce sujet, mon argument est très simple : sur un temps fini, tout le possible se réalise. La fin du monde étant possible, celle-ci finira par arriver d’une manière ou d’une autre. Nous devons donc penser la vie de l’Humanité comme nous pensons la notre, c’est à dire sous l’horizon de la finitude. Ce même travail que nous devons fournir sur l’acceptation de notre mort, nous devons le fournir dans notre manière de concevoir notre monde. Il est donc essentiel de séparer la superstition débile de l’idée de fin du monde qui est une idée puissante à laquelle il est important de réfléchir.

Le paradoxe d’une réflexion autour de la fin du monde vient du fait qu’il s’agit en fait d’un événement sans importance puisqu’il n’y aura personne pour se soucier de l’après. C’est cette dimension qui fait que les humains abordent la fin du monde avec plus de légèreté que leur propre mort. En effet, notre mort est bien souvent plus inquiétante pour les conséquences que nous lui prédisons que pour ce qu’elle implique pour nous-mêmes. Comme le disait Épicure, la mort n’est rien ni pour les vivants ni pour les morts puisque les premiers sont encore vivants et que les autres ne le sont plus. En revanche, ma mort de par le fait qu’elle laisse des gens derrière elle m’apparaît problématique. Lorsque j’étais enfant ce qui m’angoissait était de penser, probablement à raison, que ma mère n’aurait pas survécu à ma mort de la même manière que lorsque j’étais un jeune père, je m’inquiétais de laisser mes enfants seuls. A l’inverse, si tout le monde meurt, je ne souffrirai pas de la mort de mes proches et eux ne souffriront pas de la mienne. La fin du monde nous dispense du deuil et devient alors une idée plus légère que la mort.

Enfin, dans cette opposition entre la mort de l’humain et celle de l’humanité, se pose la question du sentiment d’injustice qui peut être attaché au fait de mourir jeune et de voir mourir un proche jeune. Pour ma part, la question est résolue puisque j’ai déjà soixante ans et que je ne mourrais donc pas jeune mais de manière plus générale, c’est l’une des choses les plus déchirante dans le rapport à la mort. Apprendre que l’on est condamné (ou l’un de nos proches l'est) dans sa jeunesse peut mener à une terrible colère voire de la jalousie. Alors que face à une catastrophe globale, nous ressentons une sorte d’égalité de destins ainsi que l’approche de la fin des soucis. Il y a une sorte d’impatience, une curiosité. La mort effraie et la fin du monde fait rêver.


Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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