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Explosion du travail au noir : le “black” est-il en train de devenir le dernier amortisseur social de la France ?
©Reuters

Noir c'est noir... ou pas

Le dernier baromètre O2-Market Audit révèle que plus d'un tiers des Français a travaillé au noir contre seulement 13%, il y a cinq ans. Une explosion qui n'est pas sans rappeler le chemin qu'ont suivi les PIGS, Italie et Espagne en tête.

Atlantico : Selon le dernier baromètre O2-Market Audit réalisé fin novembre, un Français sur trois déclare travailler ou avoir travaillé au noir, contre seulement 13% en 2008. Une tendance plus marquée dans les services à personne. Comment expliquer cette progression ? 

Gilles Saint-Paul : Cette évolution est sans doute le reflet de l'élimination graduelle des niches fiscales, dont certaines avaient été mises en place sous le gouvernement Balladur, précisément pour inciter les ménages à déclarer leurs services à domicile. Le gouvernement de l'époque avait conscience que seul un gros rabais fiscal pouvait dissuader les ménages de faire faire ces travaux au noir. On semble être en train de l'oublier et donc ces activités rejoignent à nouveau l'économie parallèle, ce qui est somme toute peu étonnant. 

A cela, il faut rajouter l'existence de minima sociaux (RSA) et des droits associés (APL, CMU), qui sont soumis à des conditions de ressources et n'exigent aucune contrepartie de la part de leurs bénéficiaires ; et que l'on est donc tenté de cumuler avec un travail au noir. Le fait de se trouver en dehors des circuits réguliers de l'emploi est moins pénalisant que par le passé depuis l'introduction de ces formes de protection sociale qui, contrairement aux retraites ou à l'assurance-chômage, ne sont pas liées au fait d'avoir un emploi. En augmentant le nombre de personnes titulaires de ces minima, la crise augmente naturellement le travail au noir, et on peut se demander si elles auront réellement intérêt à chercher un emploi régulier lors de la prochaine reprise.

François Taquet : Sur le plan pratique, la réponse est aisée à apporter : des cotisations de sécurité sociale trop élevées et des impôts à la hausse. En outre, du côté des particuliers, on constate la réduction des avantages fiscaux attachés au travail à domicile (suppression du régime au forfait en 2013, abaissement du plafond des niches fiscales...). On comprend dans ces conditions pourquoi le travail au noir a connu un tel développement. Qui plus est, du côté du salarié, maintes personnes choisissent de ne pas déclarer toutes leurs heures, soit afin de ne pas dépasser le  seuil de revenu qui est susceptible de  bloquer l’accès à certaines aides, soit pour échapper à l’impôt sur le revenu. Finalement rares sont les situations ou le salarié et l’employeur ont un intérêt commun. Malheureusement, le travail au noir, fait partie de ces cas de figure.

On notera également que dans le langage populaire, on fait la différence entre le travail au noir (travail non déclaré) et le travail gris (travail partiellement déclaré). Le seul problème est que
notre droit ne fait pas une telle différence puisque le travail dissimulé ou le travail illégal concerne ces deux types de situations. Et  les redressements de cotisations de sécurité sociale dont se
targuent les URSSAF concernent tant le travail au noir que le travail gris sans que l’on puisse à notre avis assimiler les deux phénomènes.

Source : Le Figaro

Faut-il s'en réjouir ou s'en inquiéter ? Face à l'explosion du chômage, le travail au noir est-il train de devenir le  dernier amortisseur social en France ?

Gilles Saint-Paul : Le chômage est un phénomène "artificiel" dans la mesure où les réglementations et la fiscalité créent un écart important entre le coût du travail pour l'employeur et le revenu de l'employé. Cet écart n'existe plus lorsque les relations sont informelles. Il y a donc naturellement des transactions avantageuses pour les deux parties qui ont lieu dans le secteur informel mais qui ne seraient plus profitables si elles devaient être déclarées. 

D'aucuns s'inquiètent de la hausse du travail au noir parce qu'elle représente une mauvaise nouvelle pour les finances publiques. Mais sur le strict plan économique, elle nous indique qu'il y a une demande et une offre qui sont mises en relation par un marché, ce qui est en soi efficace. Plus fondamentalement, si l'on pense, comme c'est mon cas, que les dépenses publiques et donc le poids de la fiscalité ont tendance à augmenter systématiquement et excessivement au cours du temps, alors il est bon d'avoir des "garde-fous" et la menace d'une explosion de l'économie parallèle en est un. (D'ailleurs il s'établit à la longue un "modus vivendi" entre le secteur informel et le secteur formel, ce dernier profitant indirectement du premier lorsque l'argent est réinjecté dans l'économie formelle et engendre ainsi des rentrées fiscales.)

François Taquet : Il convient incontestablement de s’inquiéter de tous les phénomènes de fraude sociale où la législation du droit du travail, de la sécurité sociale et fiscale se trouve éliminée. Finalement les hommes politiques feraient mieux de se poser la question de savoir pourquoi y a-t-il fraude et pourquoi les employeurs sont-ils prêts à prendre de tels risques pour éviter le paiement de ces charger sociales.

Les employeurs sont-ils les seuls à y trouver leur compte ? Quels sont les avantages du travail au noir pour les salariés ?

François Taquet : Les salariés en ne payant ni charges ni impôts y trouvent également leur intérêt. Certes, il est fréquemment invoqué le fait que les dites sommes ne produisent pas des droits à assurance retraite. Toutefois, les intéressés invoquent souvent le fait qu’ils n’ont pas de visibilité en la matière, que dans tous les cas, les cotisations de retraite ne représentent qu’une infime partie de leurs cotisations et qu’enfin, rien ne les empêche d’utiliser partiellement l’argent gagné pour cotiser à des régimes de retraite privée.

Gilles Saint-Paul : Les travailleurs au noir pâtissent de la précarité et du manque de recours légal en cas de contentieux (ce dernier point affectant d'ailleurs aussi leur employeur). En revanche, cela leur permet d'échapper à la pauvreté, par exemple lorsqu'ils cumulent RSA-socle et travail au noir. En fait, ironiquement, ils se retrouvent précisément dans la situation de "workfare" que les promoteurs du RSA-activité et de la prime à l'emploi ont toujours cherché à obtenir ; c'est à dire une situation où l'on redistribue en faveur des moins riches sans pour autant détruire leurs incitations au travail. Mais compte tenu de la fiscalité et des effets délétères du SMIC sur l'embauche, le RSA-activité a des effets limités et reste loin d'offrir les mêmes incitations qu'une activité non déclarée.

Cette augmentation du travail au noir est-elle directement liée à l'augmentation du coût du travail soit +12% depuis la réforme fiscale ? D'autres raisons peuvent-elles expliquer cette augmentation ?

Gilles Saint-Paul : Lorsque fiscalité et réglementation vont trop loin, la société développe spontanément des formes d'organisation parallèles qui permettent de maintenir un niveau d'efficacité acceptable dans les échanges. Il peut s'agir de contrebande pure et simple, comme c'est le cas désormais pour les cigarettes, de diverses formes de troc, qui bien qu'encensées par les tenants de "l'économie solidaire" échappent autant à la fiscalité que le travail au noir, de transactions informelles entre membres d'une même famille, de recours accru par les entreprises aux rémunérations en nature, etc. Comme la fiscalité ne cesse de s'alourdir, ces formes d'activité se développent tout naturellement. 

François Taquet : Certes, l’augmentation des impôts et des charges a accéléré  le mouvement et a fait exploser le travail au noir. Mais soyons clairs, le travail au noir a toujours existé, qu’il s’agisse des services à la personne (baby-sitting, etc.) ou encore dans certains secteurs (hôtels, cafés, restaurants, bâtiment, travaux publics etc.). Le phénomène n’est donc pas nouveau.

Sous l'effet de la crise, la France risque-t-elle de connaître la même situation que les PIGS ?

Gilles Saint-Paul : La réponse à cette question dépend avant tout de ce que sera l'état d'esprit des marchés. Mais une fois que la société s'organise pour recourir plus fréquemment à l'emploi informel, il est difficile de revenir en arrière. On peut donc s'attendre à ce que, si ces tendances se confirment, l’État ait de plus en plus de difficulté à se financer grâce à la fiscalité, ce qui risque de conduire à une nouvelle crise.

François Taquet : Il convient effectivement d’être très vigilant en la matière sachant qu’un pays comme l’Italie a toujours été montré du doigt pour son travail au noir. Si personne n’y prend garde, la France, doucement est en train de suivre la même trajectoire.

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