Eric Naulleau : « L’antisémitisme est devenu pour Jean-Luc Mélenchon le principal outil de conquête du pouvoir »<!-- --> | Atlantico.fr
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Jean-Luc Mélenchon -- Photo AFP
Jean-Luc Mélenchon -- Photo AFP
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Parcours d'un ancien laïcard

La conférence sur la Palestine de Jean-Luc Mélenchon a été interdite. Depuis, l'ancien parlementaire a multiplié les outrances, réfutant les accusations de racisme et d'antisémitisme contre lui et sa formation.

Eric Naulleau

Eric Naulleau

Écrivain, critique littéraire, animateur de télévision, Éric Naulleau est l’auteur de pamphlets très remarqués (Petit déjeuner chez Tyrannie, Au secours, Houellebecq revient !). Il a publié La Faute à Rousseau en mai 2023 aux Éditions Léo Scheer.

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Atlantico : Amer contre la gauche de gouvernement, qui selon lui ne l’a pas traité à sa juste valeur, Jean-Luc Mélenchon avait pour objectif de se venger du Parti Socialiste. A-t-il été au-delà de ses espoirs et a-t-il tué la gauche en l’obligeant à se radicaliser ?

Eric Naulleau : Le sommet de la carrière socialiste de Jean-Luc Mélenchon fut un strapontin de ministre délégué à l’enseignement professionnel, fonction si prestigieuse qu’elle fut supprimée après son départ. Jules César disait que mieux valait être le premier dans son village que le deuxième à Rome, lui a décidé que mieux valait être le premier dans sa secte que le trentième à Solferino. Une décision qui a déplacé le centre de gravité du spectre politique : ce que l’on nommait autrefois l’extrême-gauche a pris la place de la gauche. Si bien que tout un folklore idéologique jadis pratiqué dans les marges (programme économique délirant, anti-américanisme primaire, anticapitalisme de principe, soutien à la cause palestinienne, europhobie…) se retrouve désormais au cœur de sa doctrine. Il a d’abord fallu que le nouveau Mélenchon fasse oublier l’ancien Mélenchon, celui qui appelait par exemple avec tant d’ardeur à voter le traité de Maastricht, ajoutant même que celui qui ne le ferait pas ne comprenait rien au sens de l’histoire. Il fallut ensuite détruire la gauche. Mais détruire la gauche de gouvernement revenait à se priver de toute possibilité d’accéder au pouvoir par des voies démocratiques. La prochaine étape est donc la destruction de la République. Tenter à force de démagogie, d’agitation et de « bordelisation » du pays de se qualifier pour le second tour de la présidentielle contre Marine Le Pen. Et une fois celle-ci élue, donner libre cours pendant 5 ans aux grands fantasmes révolutionnaires de M. Mélenchon et de ses amis. L’insurrection et la violence politique comme ultime horizon politique. Dès lors, une inévitable guerre civile opposera les forces républicaines à la coalition des insurgés professionnels, des islamistes, des nervis de tous poils, des petits bourgeois en quête de sensations fortes et des voyous de banlieue. Le terme du processus est donc la destruction de la France.

Jean-Luc Mélenchon était connu pour être responsable de gauche, très à cheval sur les valeurs de la République, en particulier la laïcité. Après l’élection de 2017, il opère un virage sur ces questions. Comment l’expliquer ? 

Eric Coquerel, l’un des fidèles de M. Mélenchon, a donné la réponse en expliquant qu’il avait manqué 400 000 voix à LFI lors de la dernière élection présidentielle pour accéder au second tour, et qu’il fallait aller les chercher dans les banlieues islamisées. Dès lors, il ne suffisait pas que celui qui était autrefois considéré comme un « laïcard » renie toutes ses convictions parfois exprimées de manière très directe — souvenons-nous de ses propos sur le voile islamique qualifié de « vêtement obscène ». Pour convaincre des populations peu enclines à se déplacer les jours de vote, il était nécessaire de lancer des signaux toujours plus puissants, jusqu’à faire de la guerre israélo-palestinienne le sujet presque unique de la campagne des européennes, jusqu’à faire de Rima Hassan, militante d’une Palestine « de la rivière à la mer », c’est-à-dire de la disparition d’Israël, la tête de liste officieuse de LFI, au détriment de l’ectoplasmique Manon Aubry. L’affaire est en bon chemin. Pour récompense d’avoir trahi la république pour le communautarisme et la laïcité pour l’islamisme, M. Mélenchon a reçu un brevet de bonne conduite de Mme Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes  de la République — la seconde ayant qualifié le premier de « plus belle prise de guerre ». La guerre, on y revient encore et toujours.

Dans une célèbre colère contre des policiers venus perquisitionner son local, Jean-Luc Mélenchon eu ce mot resté dans les mémoires “La République c’est moi”. N'est-ce pas paradoxal de vouloir incarner la République une et indivisible quand on a théorisé la conflictualisation à outrance du débat politique ? 

Dans cet épisode, il est assez difficile de distinguer entre la folie des grandeurs ou une autre pathologie psychiatrique et la mise en scène d’une feinte colère, autrement dit d’une opération de communication. Deux certitudes cependant. Pour commencer, il est évident que Jean-Luc Mélenchon n’entend plus désormais s’adresser qu’aux extrêmes — les Français authentiquement démocrates ne peuvent que se détourner d’un homme qui s’en prend ainsi aux représentants de la police et de la justice. Ce que M. Mélenchon perd d’un côté, il espère le compenser, et bien au-delà, de l’autre. Ensuite, les Insoumis jouent en permanence sur deux tableaux, le respect apparent de l’État de droit et le recours à la violence dans la rue lorsque les débats parlementaires n’ont pas tourné en leur faveur.

Après l’annulation de sa conférence sur la situation à Gaza dans une université lilloise, le président de la France Insoumise a comparé la “censure” dont son parti faisait l’objet à la répression du régime de Vichy et a comparé le président de l’Université à Eichmann. Est-il en train de franchir toutes les lignes rouges ? 

L’indécence de ces comparaisons se suffit à elle-même, que l’interdiction administrative d’une réunion publique devienne l’équivalent d’envoyer des milliers de personnes dans les camps de la mort n’appelle aucun commentaire — M. Mélenchon s’était déjà exclu du champ républicain, il a désormais quitté celui de l’humanisme. Sinon pour deux réflexions périphériques. M. Mélenchon a cru bon de se justifier en renvoyant à la lecture des Origines du totalitarisme d’Hannah Arendt où, selon lui, il serait question du procès Eichmann. C’est en réalité dans Eichmann à Jérusalem (oui, il y avait un indice dans le titre). Nouvelle preuve après bien d’autres que, contrairement à une réputation usurpée, nous avons affaire à un très médiocre intellectuel, à un demi-lettré, à une baudruche emplie des notes de lecture mal digérées que lui fournit son entourage. Par ailleurs, la séquence a été abondamment diffusée et commentée, elle se révèle donc une nouvelle fois efficace du strict point de vue de la communication politique — suprême perversion du Spectacle. Que certains des soutiens et des électeurs de LFI adhèrent au premier degré à ce discours délirant permet enfin d’aborder un point jusqu’à présent très négligé :  le succès de Jean-Luc Mélenchon est étroitement indexé sur l’effondrement du niveau scolaire et intellectuel de notre pays.    

Jean-Luc Mélenchon répète inlassablement que l’antisémitisme était inatteignable aussi bien pour lui que pour ses partisans, mais ses déclarations ou celles des autres membres de LFI ne cessent de provoquer le malaise de la communauté juive. Jean-Luc Mélenchon se voile-t-il la face sur l’antisémitisme ?

L’antisémitisme est devenu pour Jean-Luc Mélenchon le principal outil de conquête du pouvoir. C’est à ma connaissance le seul homme politique à avoir rassemblé dans un seul bouquet quatre des fleurs les plus vénéneuses de la haine des Juifs. En rallumant les vieilles lunes du peuple déicide, des assassins du Christ, comme il le fit dans une interview radiophonique. En ressuscitant d’entre les morts Edouard Drumont quand il déclara que si Eric Zemmour n’adhérait pas au concept de créolisation, c’est que les Juifs refusaient de se mélanger au reste de l’humanité. En reprenant à son compte les vieux clichés de l’extrême-gauche sur les Juifs et la finance. Et bien sûr, en s’alignant sur l’antisémitisme islamiste dont les représentants tètent le poison en même temps que le lait de leurs mères. La communauté juive ne s’y trompe pas. Elle a identifié LFI comme un danger mortel et va désormais bien souvent se réfugier dans les bras de Marine Le Pen et du Rassemblement National. Qui aurait pu prévoir cela du temps où Jean-Marie Le Pen évoquait un point de détail au sujet des chambres à gaz ? Pour être stupéfiant, ce retournement de situation n’en correspond pas moins aux vœux de Jean-Luc Mélenchon et sert ses intérêts politique. Jusqu’à présent, tout se passe pour lui comme prévu.

Eric Naulleau publie « La République c'était lui ! Grandeur et déchéance du camarade Mélenchon » aux éditions Léo Scheer.

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