Du Mali à la Syrie : jihad, guerres communautaires et relents de Guerre froide <!-- --> | Atlantico.fr
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Des soldats de l'armée française au Mali.
Des soldats de l'armée française au Mali.
©Reuters

Imbroglio

La différence de traitement des conflits au Mali et en Syrie par les Occidentaux pourrait bien s'expliquer par des réminiscences de la Guerre froide.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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De prime abord, la guerre civile syrienne et l’actualité au proche-Orient arabe n’ont pas grand-chose à voir avec la zone sahélienne et a fortiori avec le Mali, où se prépare une élection présidentielle le 28 juillet prochain. Les aires géographiques sont fort différentes. Les ethnies et groupes antagonistes n’ont rien de semblable. L’islam arabe syrien n’a rien à voir avec l’islam africain, tant marqué par les confréries soufies-maraboutiques, combattues à mort par les salafistes.

Mais dans les deux cas, les conflits récurrents reposent sur le fait qu’une partie de la population n’accepte pas la domination d’une autre partie, en raison d’antagonismes tribaux, ethniques et ou religieux. Il s’agit de conflits identitaires, les plus violents des conflits géopolitiques. Dans les deux cas, les jihadistes salafistes sont présents, en toile de fond ou en première ligne, mais s’ils sont un problème, ils ne sont pas à l’origine du chaos, mais plutôt un parasite chaotique qui se greffe sur un arbre problématique.

Dans le cas malien, les islamo-terroristes ont été clairement désignés comme l’ennemi principal, notamment par la France et par les Etats voisins menacés par les groupes terrorismes plus ou moins liés à la nébuleuse d’Al-Qaïda et d’AQMI. Mais la différence entre ces deux conflits inter-communautaires réside dans le fait qu’au Mali, le pragmatisme n’a pas été entravé par des rivalités persistantes entre l’Occident atlantiste et le bloc russo-sino-iranien, qui soutient la Syrie. Ainsi, la France, ex-puissance coloniale du Mali, a accepté de dialoguer avec toutes les parties prenantes, qu’il s’agisse du régime non-démocratique de Dioncoundé Traoré, nommé à la suite du coup d’Etat de mars 2012, ou des rebelles non jihadistes du Nord comme le MNLA (mouvement national de libération de l’Azawad), ce qui excluait bien sûr les narco-Jihadistes qui n’ont fait que profiter des conflits entre le sud et le nord touareg pour prendre pied en Azawad et y installer une base narco-terroriste.

En revanche, dans le cas syrien, l’ancienne puissance coloniale (ou plutôt mandataire) française s’est rangée derechef du côté des rebelles de la Coalition nationale, reconnue comme « seul interlocuteur légitime ». Cette coalition est certes présidée par Ahmed Assi Jarba, réputé « laïc » et « modéré », mais elle a une très forte composante islamiste (Frères musulmans). Il est vrai que la Coalition se distingue de la rébellion jihadiste pro-Al-Qaïda, mais les bases combattantes des Frères musulmans, qui forment le gros de ses troupes, se retrouvent dans le même camp que celui des Jihadistes salafistes proche d’Al-Qaïda en Irak, comme on le voit dans le nord, face aux Kurdes, d’où la difficulté pour les Occidentaux de garantir que les armes ne se retrouveront pas dans les mans des Jihadistes...

Mais cette crainte n’a pas empêché récemment le Congrès américain de donner son feu vert à des livraisons d’armes aux rebelles, ceci après la décision occidentale de lever partiellement l’embargo sur les armes à destination des insurgés. Certes, nos dirigeants, qui veulent la fin du régime pro-russe et pro-iranien de Bachar al-Assad, jurent qu’ils ne vont pas livrer des armes létales à n’importe qui, mais ils laissent depuis deux ans leurs alliés sunnites du Golfe, Qatar et Arabie saoudite en tête, puis la Turquie du néo-sultan Erdogan, livrer toute sorte d’armes. La guerre civile n’est pas prête de s’arrêter…

Pour revenir au Mali, on s’achemine au contraire vers le rétablissement d’un processus électoral plus ou moins satisfaisant, car dans ce cas, on a fait preuve de bien plus de pragmatisme en mettant autour d’une même table des rebelles berbères du Nord (MNLA), à l’origine du conflit, et le régime du président par intérim Dioncounda Traoré, issu d’un coup d’Etat. En revanche, dans le dossier syrien, pollué par des relents de guerre froide, l’Occident n’a rien fait pour favoriser le dialogue entre le camp d’Assad et les rebelles, à l’origine de la guerre civile, ce que déplore la courageuse opposante syrienne laïque Randa Kassis, présidente du Mouvement de la  Société pluraliste. Pourquoi un tel aveuglement ? Simplement parce que la solution diplomatique est avancée par la Russie de Vladimir Poutine…

Le double standard occidental vis-à-vis du monde musulman

Étrange attitude en effet que celle des Occidentaux, qui combattent les jihadistes salafistes en Irak, mais sont de facto du côté de leurs frères moudjahidines de Syrie ; qui combattent les jihadistes au Mali mais les ont laissé génocider au Soudan durant 30 ans, puis les ont aidé en Côte d’Ivoire depuis les années 2000… Des Occidentaux islamiquement corrects qui dénoncent l’islamisme radical international sunnite que lorsque les jihadistes attaquent des pays faibles ou menacent leurs intérêts directs (Mali, uranium, etc), mais qui prennent fait et cause pour des rebelles islamistes - y compris les ancêtres d’Al-Qaïda – comme durant la guerre froide en aidant les moudjahidines afghans face à l’ex-URSS ou depuis les années 1990 face à la Russie néo-nationaliste de Poutine, l’homme d’Etat le plus diabolisé du monde par l’Occident (qui, par contre, ne diabolise pas les parrains d’Al-Qaïda et des Frères musulmans du Golfe…).

Le président russe est en effet toujours désigné par les pays de l’OTAN et de l’UE comme un bourreau pour son action anti-jihad - certes disproportionnée - en Tchétchénie, alors que l’Occident a rasé la Mésopotamie (puis l’ex-Yougoslavie) créant ainsi un double nouveau foyer islamiste-jihadiste (sunnite et chiite) en Irak après le renversement de la dictature laïque et anti-islamiste de Saddam Hussein, qui, comme l’ex-Yougoslavie de Milosevic ou le régime de Kadhafi, avait comme principal tort non de tuer des innocents, ce que font maints alliés des Occidentaux, mais d’être un allié de la Russie et de la Chine, qui ne se plient pas à l’ordre international-atlantiste unipolaire bâti sur le paradigme pourtant dépassé et désuet de la guerre froide.

A lire, du même auteur :Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d'Ankara(Editions des Syrtes). Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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