« Deux poids- deux mesures » de l’Ouest : où est l’hypocrisie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité au siège de l'ONU à New York, le 13 octobre 2023.
Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, s'exprime lors d'une réunion du Conseil de sécurité au siège de l'ONU à New York, le 13 octobre 2023.
©KENA BETANCUR / AFP

Palestine - Ukraine

L'hypocrisie n’est pas toujours là où on la présente.

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski

Antoine Cibirski est Diplomate européen, auteur de « Paradoxes des populismes européens » et du « Traité du Toasteur ».
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Vous l’entendez, ce prélude musical, lancé sur l’Ukraine, et qui va devenir refrain lancinant puis rengaine martelée avec la crise de Gaza : les « deux poids-deux mesures », les « doubles standards », « l’hypocrisie » de l’Ouest, qui reproche au Sud ce qu’il ferait quotidiennement, et qui voudrait imposer aux pays en développement des règles et principes donc il s’affranchirait largement. Pourtant, l’hypocrisie n’est pas toujours là où on la présente, loin de là.

Les reproches reposent sur des réalités, indéniables. Mais des réalités fondées avant tout sur des différences de niveau économique et une gouvernance mondiale déficiente, plus que sur des préceptes politiques. M. Guterres, le Secrétaire général des Nations unies, l’a bien relevé récemment lors d’une allocution remarquable devant l’Assemblée générale le 19 septembre : la gouvernance mondiale est figée dans le temps, alors que nous nous rapprochons dangereusement d’une grande fracture dans les systèmes économiques et financiers et relations commerciales. Il est grand temps de renouveler les institutions multilatérales sur la base des réalités économiques et politiques du XXIe siècle, et de les ancrer dans l’équité, la solidarité et l’universalité. Le système mondial est au bord de l’effondrement; l’architecture financière internationale, dysfonctionnelle, est dépassée et injuste. En matière climatique, les mesures prises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu; les pays du G20 qui sont responsables à 80 % des émissions de gaz à effet de serre sont loin de montrer l’exemple, et ne respectent pas ainsi leurs promesses de consacrer 100 milliards de dollars à l’action climatique.

Les reproches à l’encontre de l’Ouest, qui devraient se centrer sur ces faits, se déportent sur un terrain mouvant, celui des principes, des valeurs et des règles politiques. Ils s’amplifient, ils s’amplifieront davantage les semaines à venir, en empruntant beaucoup plus à la propagande et à la désinformation. On en voit déjà venir le leitmotiv : « l’Ouest nous demande à nous, Sud, d’accepter pour l’Ukraine, des principes qu’il bafoue pour Gaza ». Et si cette complainte venait de l’Est davantage que du Sud ?

La complainte est bien orchestrée, on l’entendait déjà pour l’Ukraine, présentée comme « un conflit de Blancs qui ne concernait pas le reste du monde ». Lavrov, lui-même, devait changer de tempo dans son discours à l’Assemblée générale des Nations unies le 23 septembre, discours passé relativement inaperçu parce que excessif et caricatural. Mais tellement révélateur. Le thème principal en était une dénonciation systémique d’un « Empire du mensonge », reniant tous ses engagements depuis 1945, un « collectif occidental » mené par les États-Unis, collectif déjà « minoritaire, » et qui sera rapidement emporté par l’immense majorité des Etats souverains, dont ceux du « Sud global » (méfions-nous de cette expression qui permet à la Russie de se réintroduire dans le jeu international et de se respectabiliser). Dans ce contexte, Gaza permet de démultiplier les critiques. C’est du pain béni pour les pays qui, comme la Russie ou la Turquie, se voient déjà portant les derniers coups de boutoir à un ordre mondial jugé trop occidental et portant des valeurs que leurs autocrates détestent. Pour se gagner les opinions du Sud et fracturer davantage, il leur faut donc intensifier les discours sur les « hypocrisies » de l’Ouest.

Il est pourtant facile de retourner les arguments:

- A l’encontre de la Russie d’abord. Rappelons que la Russie, loin d’être défenseur du monde musulman, est une puissance coloniale comptant aussi 25 millions de musulmans, et qui n’hésite pas à envoyer de force au front ces propres citoyens musulmans, premières victimes russes de la guerre en Ukraine. Elle y envoie non seulement ses ressortissants mais aussi les nombreux travailleurs saisonniers des pays voisins d’Asie centrale tabassés, réquisitionnés et rentrant souvent chez eux dans des cercueils. Comme puissance impérialiste, elle continue à violer tous les principes des Chartes des Nations Unies et d’Helsinki sur l’Ukraine. Elle s’y comporte avec une barbarie similaire à celle des terroristes du Hamas, dans un esprit de génocide. Cet impérialisme russe se double d’un cynisme outrancier, avançant des tartufferies tiers-mondistes.

L’Ukraine est ainsi un précédent intéressant pour le Caucase et l’Asie centrale, où la Russie essaye de compenser sa perte d’influence par des maquignonnages peu glorieux avec la Turquie.

-À l’encontre de la Turquie justement : à New York, comme partout dans le monde, le drapeau turc a été mis en berne pendant trois jours sur leur mission. Les passants américains, naïvement, se félicitaient d’une telle solidarité, avec Israël frappée par les terroristes du Hamas. Cela aurait été normal, conséquent, logique pour un pays se prétendant à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme. Que nenni !Le drapeau en berne exprimait une indignation contre des attaques israéliennes qui n’avaient pas encore commencé, et des exactions commises non par Israël mais probablement par le Djihâd islamique. Un soutien donc à un mouvement que depuis Erdogan a même publiquement qualifié de « groupe de libération ».

Double standard, double étendard, en berne !

Et que dire de la politique azérie de la Turquie, complice du coup de force azéri contre la population arménienne du Nagorno-Karabakh, s’apparentant à un nettoyage ethnique. Oui, mais là comme ailleurs, la Turquie serait protectrice des musulmans ! C’est pourtant une protection agéométrie variable, qui ne vaut pas pour la protection des Ouïgours musulmans en Chine. La Turquie vient de se désolidariser d’une déclaration à l’Assemblée générale des Nations unies sur les droits de l’homme au Xinjiang. Comme de nombreux autres pays musulmans, d’ailleurs. Où est la constance ? Deux poids deux mesures.

-Je n’aborderai pas là l’attitude de certains pays du « Sud global », silencieux sur le terrorisme en Europe et ailleurs, voire le finançant où s’en réjouissant; timides sur des réfugiés musulmans qu’ils détournent volontiers vers l’Europe,tout en s’étonnant que l’Europe prenne, elle, ses responsabilités en accueillant des réfugiés Ukrainiens; jouant de l’arme du pétrole, énergie fossile, en complicité avec les Russes; ne faisant que des efforts limités pour éduquer une opinion parfois primaire; commandant des indignations sélectives et attisant des émotions fétides. Le fameux « sentiment d’humiliation » a eu des raisons d’être mais ne devrait plus tenir lieu de politique, pas plus que le réflexe de victimisation qui conduit à faire des victimes chez les autres.

On peut multiplier les exemples à l’infini. N’hésitons donc pas à prendre les devants, adopter un discours plus offensif, mais aussi plus argumenté et fondé, plus convaincant sur les «doubles-standards » de l’Est et de l’Orient.

Nous ne sommes pas nous-mêmes, irréprochables, mais dissocions, dénonçons, et agissons.

Dissocions, en remettant le débat sur son terrain et, pour Gaza, en continuant à différencier ce qui relève de la lutte contre le terrorisme et ce qui relève du droit international humanitaire.

Dénonçons sans relâche les hypocrisies et le cynisme de la Russie qui veut se refaire une virginité, sur le dos des Palestiniens et au détriment des Ukrainiens.

Agissons enfin sur nos propres faiblesses en préparant activement le Sommet de l’avenir des Nations unies de septembre 2024, en contribuant effectivement à moderniser les institutions internationales, à les rendre plus équitables, à combiner développement solidaire et lutte climatique. Certaines initiatives occidentales comme le Pacte de Paris pour la Paix et la Prospérité vont déjà dans ce sens et mériteraient davantage d’attention du « Sud global ».

Shary Boyle; musée de l’art et du design de New York.

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