Dernière panique alimentaire en date : le gluten est-il dangereux pour notre cerveau ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gluten est tiré de certaines céréales comme le blé.
Le gluten est tiré de certaines céréales comme le blé.
©Reuters

Peur sur la ville

Un livre, d'ores et déjà un best-seller, fait trembler l'Amérique en prônant pour la préservation du cerveau la suppression totale des céréales dans l'alimentation. Une réflexion plus que contestable que le professeur André Nieoullon décrypte pour Atlantico.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Une nouvelle fois  un ouvrage sur le cerveau fait le buzz aux US…  Aussi incroyable que cela puisse être, un neurologue de Floride, David Perlmutter, vient de publier un ouvrage qui est un véritable bestseller depuis sa parution en septembre dernier (« Grain Brain : the surprising truth about wheat, carbs, and sugar : your brain’s silent killers »). Je n’ai pas encore eu l’opportunité de lire ce livre mais si j’en crois le nombre de commentaires et articles de presse qu’il suscite, les théories avancées sur la toxicité de la consommation de sucre pour le cerveau trouvent un écho direct, certainement amplifié par le fait qu’aux Etats-Unis l’obésité est un problème de société majeur. Toutefois, à ce stade et pour autant que je puisse en juger, il n’est pas impossible que les prises de position de Perlmutter érigées en termes de théories scientifiques soient pour le moins excessives et quelque peu infondées, même si depuis de nombreuses années nous savons parfaitement que l’obésité et le diabète, voire l’intolérance au sucre qui lui sont associés, accroissent le risque de développer une maladie neurodégénérative, de type maladie d’Alzheimer notamment. Mais la relation causale entre la consommation de sucre et la survenue de ces maladies neurodégénératives est loin d’être établie. C’est au moins là que Perlmutter exagère et ne fait pas preuve de la rigueur scientifique qui devrait exiger qu’il nuance ses propos.

La théorie de Perlmutter est que la consommation de sucre sous toutes ses formes, qui augmente la glycémie, facilite l’inflammation cérébrale et exerce par là des effets toxiques sur le cerveau ; le risque étant accentué par la consommation de gluten qui, métabolisé au niveau de l’estomac, libère de nombreux polypeptides dont quelques-uns franchissent la barrière hémato-encéphalique et pénètrent par-là dans le cerveau, contribuant à accélérer les effets cytotoxiques du sucre. Jusque-là, rien à dire ou presque. Il s’agit d’une théorie parmi d’autres… Mais on est loin d’un scoop qui expliquerait une telle popularité de cet ouvrage tellement ces idées sont déjà bien ancrées dans l’esprit des chercheurs. Là où il faut s’interroger, c’est lorsque Perlmutter affirme que la consommation de ces sucres est un élément de causalité des maladies neurologiques et que l’une des façons de réduire la survenue de ces maladies incluant outre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, l’anxiété, la dépression, les céphalées, l’épilepsie… et jusqu’aux troubles de la libido, est de respecter une diète sévère alliant la diète sucrée à l’absence totale de consommation de céréales ! De plus, il affirme que de tels régimes alimentaires constitueraient une voie thérapeutique pour ces pathologies et notamment pour la maladie d’Alzheimer. De la prévention des maladies neurologiques à leur prise en charge. Rien que ça !

Évidemment, dans un pays où l’obésité représente un véritable fléau et où le diabète est endémique, on peut comprendre pourquoi ce livre est si bien reçu… Le régime alimentaire des Américains est basé sur la consommation de 60% de sucres pour 20% de protéines et autant de graisses. Un brin moralisateur, Perlmutter, dès lors qu’il affirme que les gens sont devenus addicts au sucre et au gluten et qu’on leur a menti en leur laissant croire qu’ils pouvaient faire n’importe quoi pour se nourrir… et donc qu’il est temps de se ressaisir pour éviter les maladies neurologiques. Le gluten érigé en « poison » par l’inflammation qui accompagne sa consommation, devenant alors un facteur de risque « évitable » des démences, notamment. Simple. Encore fallait-il y penser !

Heureusement, les choses ne sont pas si simples. Le sucre et les céréales sont consommés depuis la nuit des temps et leur contribution au métabolisme est essentielle, et dans de nombreuses cultures le sucre est consommé sans limitation sans qu’il soit fait état d’incidence sur les maladies neurologiques, sauf à accroître le diabète et l’obésité. Et même si le diabète accroît significativement le risque de maladie d’Alzheimer, il ne s’agit que de facteur de risque et certainement pas de lien de causalité. Toutes les études épidémiologiques le montrent. A cet égard, mis à part cette « fixation » de l’auteur sur l’inflammation, l’argumentation est un peu faible. D’abord, s’agissant de processus dégénératifs associés aux maladies neurodégénératives, le débat dans la communauté n’est pas encore tranché de savoir si l’inflammation est la cause ou la conséquence de la mort neuronale. Autant d’éléments à ce jour en faveur de l’une ou l’autre de ces hypothèses ! Ensuite, ce qu’il est commun d’observer est que si effectivement le glucose est le principal agent fournissant l’énergie des neurones avec l’oxygène, c’est aussi par les chaînes respiratoires des cellules que sont produits les radicaux libres dont les effets délétères sont connus et majeurs. A cet égard, il faut rappeler d’une part que les seules mutations géniques qui allongent la durée de la vie (constatées expérimentalement chez l’animal) sont celles qui contribuent à réduire le stress oxydatif et que, d’autre part, le seul moyen d’augmenter durablement l’espérance de vie est effectivement de réduire l’apport calorique dans une démarche que l’on nomme « restriction calorique ». Dans ce contexte Perlmutter pourrait ainsi être au moins en partie dans le vrai, mais probablement pas pour les raisons qu’il avance… Et enfin, s’agissant de l’impact d’une alimentation riche sur l’organisme il ne faut pas oublier que le principal effet reconnu est sur l’athérosclérose et les maladies cardio-vasculaires, plus généralement. Et à cet égard on note que ces pathologies sont également reconnues comme des facteurs de risque pour les états démentiels.

En conclusion, il reste surprenant que des discours aussi peu scientifiques et réducteurs comme celui de Perlmutter, assortis de recommandations drastiques telle la suppression pure et simple de toute consommation de céréales, trouvent un écho aussi favorable. Un problème de société ? Sans nul doute mais cela fait quelque peu frémir. Ceci rappelle d’ailleurs étrangement les théories sur le vieillissement qui émanaient aussi de l’Amérique puritaine des années 1950, où chacun était mis face à ses responsabilités : vivre en économisant son « potentiel vital », avec l’idée que la gestion sans excès promettait une longue vie, ou au contraire avoir une vie débridée en brûlant la chandelle par les deux bouts et s’exposer alors à mourir jeune. Un tel conservatisme serait-il encore de mise dans l’Amérique d’Obama ? A écouter Perlmutter, on peut le craindre !

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