Décroissance, emplois verts et fin du nucléaire : la pensée magique des candidats EELV sur l’économie <!-- --> | Atlantico.fr
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Les candidats à la primaire écologiste pour l'élection présidentielle française de 2022, Eric Piolle, Delphine Batho, Sandrine Rousseau, et Yannick Jadot avant une réunion, le 12 juillet 2021 à Paris.
Les candidats à la primaire écologiste pour l'élection présidentielle française de 2022, Eric Piolle, Delphine Batho, Sandrine Rousseau, et Yannick Jadot avant une réunion, le 12 juillet 2021 à Paris.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Ecologie

Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Eric Piolle et Sandrine Rousseau, les candidats à la primaire EELV en vue de l’élection présidentielle, ont défendu leur programme dans le cadre d'un débat organisé ce dimanche par France Inter, France Télévisions et Le Monde. L'économie est-elle le talon d’Achille des candidats écologistes ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Eric Piolle et Sandrine Rousseau, les cinq candidats à la primaire d’EELV en vue de l’élection présidentielle, ont participé ce dimanche à un premier débat lors de l’émission « Questions politiques », organisée par France Inter, France Télévisions et Le Monde. Il y a notamment été question d'économieCe domaine est-il le talon d’Achille des candidats écologistes ?

Michel Ruimy : Les rapports entre l’économie et l’écologie se nouent sous le signe du paradoxe. Dans leur sens étymologique, les deux mots sont, en effet, quasiment synonymes, ce qui devrait être de bon augure. Ils sont issus de l’oikos (la maison, le patrimoine, la niche). Or, d’un côté, force est de reconnaître que la science économique dans son essence, par son histoire et sa logique, ignore la Nature et que le système économique demeure hostile à l’environnement. D’un autre côté, de nombreux écologistes sont devenus les plus farouches critiques de l’économie tant en termes théoriques que pratiques.

Mais, la « pression écologique » de l’opinion publique a obligé les économistes à un aggiornamento de leur discipline et à inclure, de manière marginale, l’environnement dans leurs modèles. Toutefois, cette économie écologique est loin de remettre en question la logique marchande (maximisation des rendements et des profits).

De surcroît, la pression pour contourner l’impératif écologique est quasi-permanente et nous pouvons nous demander si le politique sera en mesure, dans l’avenir, de jouer le rôle nécessaire pour la contrebalancer. Il devient urgent que les individus, redevenus citoyens, reprennent en main la question de leur survie, dès lors que celle-ci est de plus en plus menacée par le jeu de mécanisme pseudo-rationnels garantis par des arguments pseudo-scientifiques.

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Lors de ce débat, Delphine Batho a défendu l’idée de décroissance, en expliquant que « les écologistes aux responsabilités ne pourront pas conduire le changement et la transformation écologique avec la boussole du produit intérieur brut ». Elle veut plutôt « baser les politiques publiques sur d’autres objectifs : la pleine santé, la lutte contre la pauvreté, le niveau d’éducation, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la régénération de la biodiversité ».Les deux sujets sont-ils aussi contradictoires que le laisse entendre Delphine Batho. La croissance ne peut-elle pas être une alliée de l’amélioration de la qualité de vie (voire un prérequis) ?

La croissance économique et le bien-être matériel collectif sont généralement associés via le Produit intérieur brut (PIB). À court terme, il est assez peu discutable que la croissance économique détermine le niveau du bien-être social.

Pourtant, la pertinence de l’utilisation du PIB comme indicateur de mesure de l’évolution du bien-être sur longue période est contestable du fait du caractère limité des informations qu’il synthétise. Le calcul du PIB exclut une partie des activités : hors marché, monde informel mais aussi l’environnement dans lequel vivent les individus, si bien que la croissance des activités polluantes/néfastes du point de vue de la santé accroît le niveau du PIB sans qu’aucun ajustement pour dégradation de l’environnement ne soit pris en compte. De manière plus générale, cette grandeur ne tient pas compte des facteurs non strictement économiques qui peuvent influer sur le bien-être de la population : qualité de l’environnement naturel et culturel, qualité des relations sociales, conditions de travail des actifs, bonne / mauvaise couverture assurantielle des risques de la vie, en particulier en matière de santé, etc. Il n’est donc pas adapté pour évaluer la qualité de vie de la population.

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Pour tenir compte de ces limites, le PIB doit être complété par des indicateurs de qualité de vie en mesurant, par exemple, les émissions de CO2 des activités de production, les inégalités de patrimoine ou d’accès au logement selon les catégories de ménages, etc. voire d’indicateurs de développement durable avec pour objectif d’évaluer, pour les générations futures, les effets sociaux et environnementaux du développement économique (modification de l’équilibre climatique, dégradation de l’environnement).

« Croissance et qualité de la vie » pose la question de l’arbitrage entre les urgences présentes et les inquiétudes futures. Dès lors, il convient que les dirigeants soient capables de donner une valeur à la dégradation de l’environnement pour, ensuite, modifier les comportements de consommation et peut-être développer l’esprit de responsabilité vis-à-vis des générations futures.

« La décroissance est une politique responsable du point de vue des finances publiques, puisque ça consiste à dire qu’on arrête d’injecter de l’argent dans la destruction et qu’on [mobilise] ses capacités d’investissement vers ce qui est utile » a aussi déclaré Delphine Batho. Que vous inspire cette réflexion ?

La croissance économique n’a pas atteint l’avenir radieux pourtant promis : les inégalités se creusent, la crise écologique est là (pollutions, pertes de biodiversité, raréfactions des ressources…), etc. Elle a si uniformisé le monde et standardisé nos vies qu’elle a contribué à nous enfermer dans un imaginaire qui nous a fait perdre le sens réel de nos vies et de nos actes, sensations que nous avons pu notamment ressentir pendant cette crise sanitaire.

La décroissance vise à repenser les conditions de notre bien-être, les conditions du vivre ensemble, le partage des tâches et des richesses, et les déconnecter de l’accumulation de biens matériels, etc. Pour cela, elle se fonde sur une société radicalement écologique dans laquelle le volume de la consommation et celui de la production seraient réduits pour atteindre une croissance plus faible ou négative (décroissance). Cette vision est quelque peu erronée.

Tout d’abord, plusieurs études ont montré que la croissance économique de long terme repose principalement sur les avancées technologiques c’est-à-dire qu’elle n’est pas synonyme d’accumulation de biens. Ce processus productif recombine ce que nous avons déjà usiné pour plus produire.

Ensuite, la consommation est, de nos jours, essentiellement tertiaire. Les ménages dépensent environ 75% de leur revenu en services (coiffeur, médecin, enseignant, etc.). Consommer aujourd’hui consiste, en d’autres termes, à consommer le temps et les compétences d’une tierce personne (services) plutôt que d’accumuler des objets. Dans les années à venir, les goûts et préférences des individus continueront à évoluer et certains biens seront abandonnés au profit de nouveaux remplissant les mêmes fonctions (voiture diesel vs voiture électrique). Il s’agit de consommer moins de choses, là où les tenants de la décroissance proposent une réduction autoritaire de la consommation totale.

Enfin, le monde proposé par les sympathisants de ce courant a une conséquence négative majeure : la hausse du chômage. Un grand nombre d’études démontrent une robuste corrélation entre taux de chômage et taux de croissance. Plus vous produisez, plus vous avez besoin de main d’œuvre, moins il y a de chômage. Chaque pays a donc un seuil de croissance à partir duquel il créé des emplois (et inversement). A cet égard, l’idée du « travail partagé » est erronée au motif que le marché du travail ne fonctionne pas comme un gâteau à taille fixe qu’il conviendrait de se partager. Il est traversé de flux qui varient fréquemment et, en temps de crise, plus que la hausse des licenciements, l’arrêt des embauches entraîne la hausse du chômage.

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Yannick Jadot a expliqué vouloir sortir du nucléaire, faisant valoir que les membres d’EELV sont des « écologistes responsables ». Sandrine Rousseau a de son côté tiré à boulets rouges sur l’EPR de Flamanville. Que pourrait-être l’impact économique d’une sortie du nucléaire ?

En dépit de son caractère risqué (cf. accidents de Tchernobyl, Fukushima) et même si son coût devrait augmenter avec le temps (entretien, gestion des ressources relativement limitées en uranium), certains, face à l’urgence climatique, vantent l’énergie nucléaire comme solution en raison de son caractère « décarbonée ». D’autant que la filière nucléaire est la troisième filière industrielle en France, derrière l’aéronautique et l’automobile. Elle compte près de 2 500 entreprises et 220 000 salariés. Ce secteur permet de pérenniser des emplois qualifiés, non délocalisables et durables. Selon une étude PwC, la construction d’un réacteur de troisième génération comme un EPR permet ainsi de soutenir 8 350 emplois sur 7 ans et l’exploitation d’un réacteur permet de maintenir 1 650 emplois sur plus de 60 ans

C’est pourquoi, la sortie du nucléaire nécessite le recensement des dépenses financières et coûts environnementaux. Ce chiffrage est un exercice compliqué. Il doit prendre en compte un très grand nombre de paramètres et de données, qui ne sont pas toutes publiques. Par exemple, l’investissement nécessaire pour remplacer le parc nucléaire, principalement par des énergies renouvelables et/ou par des productions de base comme les centrales à gaz, l’indemnisation d’EDF et de ses actionnaires, le coût d'adaptation du réseau, les charges futures du démantèlement des installations et la gestion des déchets radioactifs ne sont pas les seuls coûts à prendre en compte. Ainsi, l’intermittence des énergies renouvelables oblige, en l’absence de solutions de stockage déployables massivement à des coûts acceptables, d’avoir recours à des moyens de production alternatifs, nécessairement d’origine fossile. Autrement dit, les émissions de carbone devraient augmenter.

Nous voyons donc que la sortie du nucléaire est une décision impliquante aux nombreuses conséquences que nos dirigeants actuels et futurs devront bien apprécier.

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