Ces multiples leçons qu’Emmanuel Macron pourrait rapporter de sa visite d’Etat en Suisse pour le plus grand bien des Français <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron accueille le président de la Confédération suisse Alain Berset à son arrivée pour un dîner officiel à l'Elysée, le 22 juin 2023.
Emmanuel Macron accueille le président de la Confédération suisse Alain Berset à son arrivée pour un dîner officiel à l'Elysée, le 22 juin 2023.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Modèle suisse

Le président de la République se rend mercredi et jeudi en Suisse. La France pourrait-elle s'inspirer du modèle suisse, notamment sur le plan économique et social ?

François Garçon

François Garçon

Auteur de France défaillante, Il faut s’inspirer de la Suisse, Ed. L’Artilleur, 2011, prix Aleps du livre libéral 2022. François Garçon a rédigé plusieurs ouvrages sur les mérites de la Suisse (Le modèle Suisse, Perrin – Le Génie des Suisses – Tallandier) , et a enseigné pendant plusieurs années à la Sorbonne.

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Atlantico : Emmanuel Macron se rend en Suisse. Le président de la République y séjournera deux jours, le mercredi 15 et le jeudi 16 octobre 2023. Le pays helvète, que d’aucuns désignent comme la nation de la démocratie directe, a-t-il quelque chose à apprendre à la France sur le plan politique ou institutionnel ? Quelles leçons pourrait-on tirer de ce voyage d’Etat ?

François Garçon : Considérant l’état de la Suisse, du point de vue de sa prospérité économique, de son calme politique ou encore de sa stabilité sociale, la France aurait très certainement beaucoup à apprendre de la Suisse. De tels atouts sont inséparables de la démocratie directe qui innerve en Suisse tout le système politique. Une démocratie directe qui permet au peuple suisse d’intervenir à tout moment dans la politique, pour réécrire la règle du jeu si celle-ci leur paraît malsaine ou devenue obsolète. En Suisse, le peuple souverain est au centre de tout, il coécrit les lois, peut s’opposer à celles forgées dans les assemblées élues. Le peuple copilote le pays. Ca n’est pas une formule creuse. Tant les élus que l’administration sont parfaitement au courant de ce pouvoir que détiennent les électeurs, tant au niveau communal que cantonal ou encore fédéral. Le peuple, à tout moment, peut défaire une loi, un taux d’imposition fiscal, un accord international. Il ne s’en prive pas. Ce qui rend prudents, parlementaires et exécutifs.

Quid du plan économique et social, peut-être ? Emmanuel Macron pourrait-il aussi s’inspirer de la Suisse sur ces sujets ? 

Il n’est guère pensable que le président Macron et sa cohorte de premiers de la classe, tous issus des mêmes écoles microscopiques au terme de pesants bachotages, puissent trouver en Suisse une source d’inspiration. Les Suisses sont avant des gens pragmatiques, autrement dit des gens qui attendent des résultats. Les Suisses jugent sur résultats. Les beaux discours les indiffèrent, quand ils ne les énervent pas. Le beau parleur est immédiatement suspect. Je parie qu’Emmanuel Macron n’aurait pas même été élu au conseil municipal d’une commune suisse : trop familier, se voulant plus malin que les autres, faisant trop facilement la leçon. Les Français sont gouvernés par des rentiers scolaires. Les résultats qu’ils « délivrent » sont accablants, comme le sont le niveau de la dette publique, l’état de décomposition avancée de notre système de santé, de notre système de formation, de notre justice. Quand, comme Emmanuel Macron, vous vous hissez au sommet de la pyramide sociale par la seule réussite à des concours de la fonction publique, vous êtes incapables d’apprécier un autre modèle de fonctionnement de l’Etat. En l’occurrence, en Suisse, l’Etat est étriqué, « cornérisé », pour reprendre un vocable à la mode. Et les citoyens s’investissent pour empêcher, à tout prix, que l’Etat déborde de ses prérogatives régaliennes et veille à ce qu’il soit le plus économie. e. Le moins d’Etat possible pourrait être la devise des Suisses. Sincèrement, je vois mal ce qui pourrait inspirer Emmanuel Macron au terme de son parcours express de deux jours en terres helvétiques.

Quels sont les points forts économiques de la Suisse dont la France devrait s’inspirer ? 

Le point fort de l’économie suisse est le pragmatisme de tous ses acteurs, depuis le patron jusqu’à l’apprenti en formation duale, en passant par le représentant syndical, attaché au respect de sa convention collective de travail. A l’instar des « petits » pays ne disposant pas d’un marché intérieur suffisant, la Suisse est allée chercher ses clients sur un planisphère. Or, pour vendre au monde entier sans pouvoir s’appuyer sur des marchés captifs, il faut se montrer humble avec l’acheteur potentiel et, de surcroît, lui vendre des produits de qualité. D’une qualité supérieure à celle que leur proposent les fournisseurs nationaux. C’est ce que les industriels suisses font. On s’est beaucoup gaussé, et à juste titre, du secteur bancaire suisse, de sa capacité à franchir la ligne jaune. Tout ceci est exact, mais c’est économiquement marginal. La puissance de la Suisse, c’est son industrie, soit 24% du PIB, c’est de la chimie, de la mécanique de précision, de l’horlogerie, ou encore de la pharmacie. Les journalistes français vont-ils enfin s’en rendre compte ?

Que dire, éventuellement des politiques "concrètes", comme le contrôle de l’immigration, par exemple ? Tant sur le fond de la politique en tant que tel que sur la façon de la décider ?

Le fameux contrôle de l’immigration doit peut-être être relativisé. La Suisse compte en effet 25% d’étrangers sur son sol, autrement dit des résidents permanents n’ayant pas le passeport suisse. Le contrôle de l’immigration, dans les faits, ce sont les citoyens qui l’exercent. Ce sont eux qui, dans les commissions, décident de l’attribution ou non de la nationalité suisse, et non des fonctionnaires. La nationalité se transmet par le sang, et non par la simple naissance sur le sol helvétique. L’acquisition de la nationalité suisse est un processus long, au résultat incertain. Un fait me paraît marquant que je voudrais souligner : les Suisses n’exigent pas que le candidat à la nationalité suisse s’assimile, autrement dit renonce à son identité d’origine. En revanche, ce qui incontournable, non négociable, c’est l’obligation d’intégration. Si vous ne vous intégrez pas, autrement dit vous ne respectez pas les us et usages en vigueur dans tel canton, vous ne serez jamais admis en tant que citoyen suisse. Vous vivrez en Suisse, vous travaillerez en Suisse, mais en citoyen de second ordre.

La presse helvète fait plus de compte du voyage d’Etat d’Emmanuel Macron que ne le fait la presse française. Comment expliquer ce décalage ? Que dit-il du rapport politique entre ces deux nations ?

Il est dommage que la presse française ne s’intéresse pas davantage, non pas à Macron en Suisse, qui est un sujet mondain dénué d’intérêt, mais à la Suisse, à ses performances en matière d’emploi, d’innovations, de fiscalité, de formation. Je crains que le voyage du président français ne change rien à cette condescendance paradoxale, quand on sait que le PIB par habitant est en Suisse double de la France, que près de 214 000 frontaliers français travaillent en Suisse et que 175 000 Français y sont résidents permanents. Cette cécité médiatique française est d’autant plus déplorable que si les Français étaient seulement informés des performances helvétiques, sans doute seraient-ils plus exigeants à l’égard de leurs propres élus, sans doute demanderaient-ils davantage de résultats à leur administration et, sans doute aussi, se prendraient-ils davantage en charge, au nom du principe de subsidiarité, au lieu de toujours tout attendre de l’Etat. Il est toujours permis de rêver.

Quels sont les points sur lesquels la France devrait s'inspirer de la Suisse sur le plan économique ? Les Suisses font face à moins de prélèvements obligatoires mais bénéficient de services publics de meilleure qualité (et ce, sans grèves récurrentes). Comment l'expliquer ?

Prenons les grèves. Les relations de travail sont régies par les Conventions collectives de travail. On compte 378 CCT d’entreprises qui couvrent près de deux millions de salariés. En 2022, on a enregistré 9 grèves et lock-out, représentant 16 709 journées de travail non effectuées[1]. Les grèves ont surtout concerné les secteurs du bâtiment et de la construction, très touchés par les étés torrides de ces deux dernières années.

L’inexistence de grèves tient à deux facteurs. Le premier, le plus important et qui ne se voit pas, est la qualité des relations de travail. Les enquêtes montrent que la confiance entre l’employeur et ses collaborateurs est bonne et réciproque. Une confiance que conforte des niveaux de salaire particulièrement élevés : en 2020, le salaire médian brut mensuel était de 6665 francs, soit l’équivalent en euros[2].

Les finances publiques sont particulièrement bien tenues. A la fin 2022, la Confédération avait une dette de 120 milliards de francs, soit 15,6% du PIB. Un taux d’endettement qui s’élève à 27,6% pour l’ensemble des administrations publiques (communes, cantons, Confédération). Le frein à l’endettement a contrarié un emballement de la dette publique. Pour mémoire, la dette de la Confédération se chiffrait à 130 milliards de francs en… 2005, soit voilà 17 ans.


[1] Office fédéral de la statistique, Conventions collectives de travail, et partenariat sociale, Neuchâtel,

[2] Office fédéral de la statistique Enquête suisse sur la structure des salaires, Neuchâtel

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