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La reine Elisabeth II et le président français Nicolas Sarkozy posent avant une réception et un dîner royal, le 26 mars 2008, au château de Windsor.
La reine Elisabeth II et le président français Nicolas Sarkozy posent avant une réception et un dîner royal, le 26 mars 2008, au château de Windsor.
©CARL DE SOUZA / POOL / AFP

Dignité et efficacité

La France pourrait-elle agir et se réformer institutionnellement pour faire évoluer son mode de gouvernance ? La théorie de Walter Bagehot sur la double nature du pouvoir politique nécessaire pour stabiliser un pays pourrait notamment être une source d'inspiration.

Jean-Eric Schoettl

Jean-Eric Schoettl

Jean-Éric Schoettl est ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. Il a publié La Démocratie au péril des prétoires aux éditions Gallimard, en 2022.

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Atlantico : Walter Bagehot, qui a écrit une constitution -non officielle- britannique en 1867 et dont la Reine s’inspirait avait théorisé sur la double nature du pouvoir politique nécessaire pour stabiliser un pays. The dignified et “the efficient”, la dignité et l’efficacité. A quel point est-ce effectivement important ? 

Jean-Eric Schoettl : Le système constitutionnel britannique place deux pôles à la tête de l’Etat : l’un pour diriger les affaires et qui procède de l’élection : c’est le Premier ministre, « the efficient » ; l’autre pour servir de référence à la Nation, incarner et rassembler celle-ci : c’est le monarque, « the dignified ». L’un est en charge de l’effectif, l’autre de l’affectif. En France nous n’avons qu’une tête au sommet de l’Etat : le Président de la République, élu au suffrage universel (le Premier ministre ne prenant la direction des affaires qu’en cas de cohabitation). 

La différence de nature entre la fonction d’un président élu, comme le Chef de l’Etat en France, et celle d’un monarque constitutionnel, comme l’était Elisabeth II, est à la fois évidente, profonde et difficile à définir. Dira-t-on que le premier exerce un pouvoir effectif et que le second joue un rôle symbolique ? Sans doute, mais cela n’épuise pas le sujet. 

L’absence de toute marge d’action sur les politiques publiques est constamment attestée par les pratiques de cette constitution non écrite qu’est la constitution britannique. Chacun sait et accepte sans sourciller que le discours du Trône, lors de l’ouverture de la session parlementaire, est écrit par le Premier ministre. Loin de réduire l’influence du monarque, cette absence de pouvoir politique la sauvegarde. Non seulement parce qu’elle situe le monarque en dehors de l’arène politique et de ses joutes, mais aussi parce qu’elle permet à sa fonction symbolique de se déployer.

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Reste à définir cette fonction symbolique. Elle renvoie au psychisme collectif. Elle est d’incarner, d’exemplifier, de représenter. Elle répond à un besoin collectif de surplomb, de transcendance. Elle s’accomplit non seulement dans les pompes de la liturgie royale, dans la célébration de la tradition, mais encore dans la manière d’être personnelle du souverain : sincérité, fidélité, simplicité, cran, humour dans le cas d’Elisabeth II. Vertus royales, mais aussi vertus britanniques. Le corps mystique du monarque est inséparable, dans une monarchie constitutionnelle, de sa personnalité.

Régner, pour Elisabeth II, l’a fait participer d’une manière très spéciale à la régulation de la société : en offrant à ses sujets un modèle d’identification, en leur étant à la fois très proche et moralement supérieure, ce qui est la définition du surmoi. Une reine comme Elisabeth II rassemblait ses sujets en les reliant à leur passé historique, en réactivant leur identité et en suscitant leur estime. Les années s’écoulant, elle s’est imposée comme la grand-mère courage de la patrie.

Nous touchons ainsi du doigt une autre dimension psychique de la fonction du souverain constitutionnel : partager et porter les épreuves de tous. C’est une fonction quasi christique. Aussi, d’Elisabeth II, retient-on surtout l’image de la jeune fille déblayant les décombres du Blitzkrieg, de la mécanicienne militaire. On retient aussi le panache du saut en parachute aux Jeux olympiques de Londres en 2012, grand moment de communion nationale. Même dans ses épreuves les plus personnelles – les crises familiales, la mort du conjoint – elle partage et porte les souffrances de ses sujets, car tout le monde traverse ce type d’épreuves. Le monarque constitutionnel n’est jamais autant au-dessus de ses sujets que lorsqu’il est à leurs côtés.

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Dès lors qu’existe cette empathie mutuelle entre lui et ses sujets, le monarque constitutionnel contribue à la cohésion affective de la société. Il contribue aussi à l’équilibre psychique de celle-ci en atténuant l’anxiété générée en chacun par les turbulences de la modernité. Icône du durable et de l’immuable, il est le contrepoids des bouleversements affectant les temps présents.Image du temps long, de la permanence et des racines profondes, il exorcise dans l’âme de ses sujets le sentiment de vulnérabilité, d’usure et d’obsolescence que charrie avec lui le progrès.

Comment la France pourrait-elle agir et se réformer institutionnellement pour récolter les bénéfices politiques d’une Reine sans rétablir la monarchie ?

La France pleure doublement la mort d’Elisabeth II. D’abord, parce que les Français l’aimaient. Mais aussi parce que nous souffrons toujours du vide symbolique creusé par la mise à mort d’un roi de France qui était en passe de devenir constitutionnel. 

La fonction symbolique du monarque constitutionnel ne peut être remplie par le Président de la République, car, quoiqu’il fasse et quelle que soit la sincérité de ses efforts, il ne peut prétendre rassembler tous ses concitoyens. Pourquoi ?Parce qu’il s’inscrit dans le temps court de luttes contemporaines et que, n’ayant été choisi que par une partie des électeurs, beaucoup de ceux qui ont voté contre lui ne s’identifieront jamais à sa personne. 

Aucune révision constitutionnelle ne comblera cette béance. D’abord parce la restauration d’une monarchie constitutionnelle n’est pas de l’ordre d’un réaménagement institutionnel. Ensuite parce qu’il est consubstantiel au monarque constitutionnel de prolonger la patrie historique, en s’inscrivant dans la succession des trônes. Or comment prolonger ce qui, avec le cou du Roi, a été tranché le 21 janvier 1793 ? Ceux qui ont voté la mort de Louis XVI voulaient en finir à jamais avec la monarchie. Ils y ont parfaitement réussi. Si nous voulons vraiment combler le vide creusé en 1793, nous devrons faire de Charles III ce que nous avions affectivement fait d’Elisabeth II : une figure monarchique de substitution. Mais il devra le mériter.

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Dans cette optique  de séparation entre dignité et efficacité, afin de bénéficier des apports politiques d’une telle configuration, faudrait-il supprimer ou repenser le président tel que la Ve République le conçoit tant son rôle -qui doit cumuler les deux (la dignité, l’efficacité)- est difficile à assumer pleinement (à moins d’être un génie politique ou une figure historique) ?

Le chef de l’Etat français dirige incontestablement les affaires. Mais il entend aussi incarner et rassembler la Nation, comme un monarque constitutionnel. Avec plus ou moins d’allant et de talent selon les titulaires. Emmanuel macron est très motivé à cet égard. En témoignent son goût des cérémonies, la prolixité de sa parole publique, sa prédilection pour les grands débats, sa volonté de contact direct avec le peuple. Mais cela ne marche pas, parce que les deux fonctions – direction des affaires et référence incarnant et rassemblant la Nation - sont antinomiques.

Pour le comprendre, il faut mesurer à quel degré s’opposent les carrières du chef d’Etat élu et du monarque constitutionnel.

Le monarque constitutionnel arrive sur le Trône par le hasard de la naissance et l’arbitraire des règles dynastiques, mais il lui faut ensuite mériter sa couronne jusqu’à la fin de ses jours. Il doit rester une référence inspirante et apaisante aux yeux de ses sujets. Tout affleurement visible de médiocrité, de faiblesse, d’égocentrisme, de vulgarité ou même seulement d’hédonisme peut rompre le charme qui lui permet d’exercer sa fonction symbolique. Le charme serait non moins rompu si le monarque constitutionnel s’avisait de peser sur les politiques publiques ou de se mêler au débat politique. Le monarque constitutionnel ne mérite pas son arrivée au Trône, mais, sa vie durant, il doit conquérir sa légitimité par ses vertus. En se déconsidérant, il se désacraliserait.

A l’inverse, le chef d’Etat élu mérite sa fonction par l’élection. Il est légitime dès sa prise de fonctions. Ne parle-t-on pas d’état de grâce ? Son mandat conserve sa légitimité jusqu’à son terme, malgré les défauts personnels de son titulaire. Il est normal de le juger au succès des politiques publiques mises en œuvre sous sa direction plutôt qu’à ses traits de caractère. C’est très bien ainsi s’agissant de fonctions qui relèvent de l’efficiency. Reste, en France, une carence de sacré, un déficit de symbolique. D’où notre nostalgie pour la figure du monarque.

Dans des démocraties médiatiques qui poussent à parfois sélectionner le plus excessif ou le meilleur en communication plutôt que le plus digne ou le plus « profond », est-il important de renouer avec ces notions ?

Tous les monarques constitutionnels ne remplissent pas leur rôle symbolique aussi bien qu’Elisabeth II. Inversement, la plupart des responsables politiques élus se font une idée exigeante de leurs devoirs et exercent dignement leurs mandats. Certes, la politique spectacle ne favorise pas la sélection des plus dignes et des plus profonds… Mais cela est vrai aussi au Royaume-Uni pour le personnel politique !

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