Ce que l’invasion de l’Ukraine fait voler en éclat dans le discours de la plupart des candidats à la présidentielle 2022<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Eric Zemmour se croisent alors qu'ils présentent leurs programmes économiques pour l'élection présidentielle devant le Medef, le 21 février 2022.
Marine Le Pen et Eric Zemmour se croisent alors qu'ils présentent leurs programmes économiques pour l'élection présidentielle devant le Medef, le 21 février 2022.
©ÉRIC PIERMONT / AFP

Ligne rouge

Deux catégories de candidats peuvent être distinguées : ceux qui ont sous-estimé la nécessité de s’adapter aux menaces géopolitiques de notre monde au nom du progressisme d’une part, ceux qui ont sous-estimé le danger posé par l’autoritarisme de Vladimir Poutine d’autre part.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : « Je prends le pari que la Russie n'envahira pas l'Ukraine » déclarait Eric Zemmour, il y a quelques jours. Le candidat a-t-il sous-estimé le danger posé par l’autoritarisme de Vladimir Poutine ?Comme lui d’autres candidats sont-ils tombé dans cet écueil ? Marine Le Pen, Fabien Roussel ou Jean Luc Mélenchon par exemple ?

Jean Petaux : Le « pari » d’Eric Zemmour est révélateur du fait que cet homme n’est pas du tout au niveau de la fonction à laquelle il candidate. Il n’a manifestement pas intégré l’idée selon laquelle quand on prétend occuper la plus haute fonction institutionnelle en France on n’est pas au comptoir du PMU du quartier. On ne « s’amuse » pas à « faire des paris » quand on veut être président de la République. Les relations internationales sont affaires trop sérieuses pour ce genre de loisirs. Il faudrait que Monsieur Zemmour lise (et non pas « relise » sans doute pour lui) Raymond Aron, le maitre d’Henry Kissinger. Une fois de plus Eric Zemmour a voulu « faire peuple » en s’exprimant comme, croit-il, son électorat. C’est aussi insultant pour ses potentiels électeurs que pour le pays qu’il souhaite diriger. De ce point de vue-là, la crise internationale actuelle aura au moins eu cette vertu : Eric Zemmour n’a pas l’étoffe d’un homme d’Etat. C’était probable, c’est désormais vérifié.

Pour les autres candidats que vous citez, les différences d’attitudes sont très importantes. Commençons par le dernier que vous mentionnez. Homme de grand talent et de grande culture, Jean-Luc Mélenchon a été formé à l’école trotskyste. Il ne nourrit pas une admiration particulière, nimême une quelconque complaisance à l’égard de l’actuel maitre du Kremlin issu du cœur du système stalino-brejnevien : le KGB, autrement dit la structure policière héritière de la Guépéou ou du NKVD dont l’une des principales activités a été d’exécuter tous les trotskystes ou assimilés en URSS et même loin du « centre » (cf Léon Trotski assassiné par Ramon Mercader agent du NKVD à Mexico le 21 août 1940). Mais Jean-Luc Mélenchon est confronté à un obstacle quasiment structurel. Il ne peut dénoncer deux impérialismes en même temps. Anti-américain par tradition et par idéologie, il n’a de cesse de dénoncer les menées expansionnistes, militaires jadis, financières, économiques et culturelles aujourd’hui, de Washington dans le monde entier. Souvent à bon escient d’ailleurs, d’un point de vue « historique ». Cela, semble-t-il, l’empêche de critiquer Moscou. D’où une forme de cécité sans doute plus psychologique que politique à l’égard de Poutine. En tous les cas, dès l’annonce de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, il a condamné sans réserve cette agression. Difficile de lui faire un reproche ici. Marine Le Pen est certainement très ennuyée. Si elle a pu financer sa dernière campagne présidentielle (en 2017) c’est grâce aux prêts des banques russes. Celles-ci n’auraient rien concédé sans l’accord de l’administration Poutine… Comme on dit : « qui paie commande ! ». Pour autant, elle aussi, dictée par l’intérêt national, a marqué sa désapprobation ce jeudi matin. Quant à Fabien Roussel, il a eu un comportement plutôt exemplaire. Mesuré pendant la phase « diplomatique », il n’a rien dit qui pouvait embarrasser le président Macron dans ses efforts et ses contacts avec Poutine et sa réaction dans la matinée du 24 février, appelant carrément à une forme « d’union sacrée » face au comportement de Poutine est frappée du sceau de la responsabilité politique.

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A l’inverse, certains candidats conscients de la dangerosité de Poutine n’ont-ils pas pêché en sous estimant la nécessité de s’adapter aux menaces géopolitiques de notre monde et de demeurer un acteur sérieux sur le plan international ainsi que les moyens concrets de le faire ? Une forme de naïveté ?

Jean Petaux : En relations internationales il existe, en matière de théorie de la dissuasion, la « dissuasion du faible au fort ». Cette doctrine a inspiré la mise en place de la force de frappe nucléaire française sous le général de Gaulle, inspirée par le général Gallois, entre autres. Cette théorie peut être ainsi résumée : « je ne prétends pas avoir ton arsenal nucléaire (apanage des deux superpuissances alors : les USA et l’URSS) mais tu dois savoir que si tu m’attaques je riposterai avec mes propres armes nucléaires et je provoquerai des dommages tels à ton économie, à tes villes, etc. que le « coût » de ton attaque sera tellement élevé que tu as intérêt à y renoncer ». Le « faible », ainsi, pouvait dissuader le« fort » de l’attaquer.

Il existe aussi une autre théorie, celle du « fou au faible ». Pascal Boniface a dit aujourd’hui que « Poutine adopte la stratégie du fou ». Formule pleine de sens. C’est le « fou » aux échecs qui trace saroute en diagonale mais n’en dévie pas et demeure toujours sur une « couleur », une caseblanche ou une case noire Il peut se déplacer vite, en diagonale donc avec une capacité de projection lointaine (à la taille des 64 cases de l’échiquier certes) mais il est surtout imprévisible et ne partage pas la même rationalité que ses adversaires. Les naïfs, s’il y en a eu face à Poutine, doivent comprendre qu’en matière de relations internationales seuls le réalisme et la force comptent. Les idéalistes (on aurait dit au début du XXè siècle, les « Wilsoniens », adeptes de la diplomatie « idéaliste » de Woodrow Wilson, président américain de 1913 à 1921) sont potentiellement dangereux parce qu’ils rêvent d’un monde tels qu’ils voudraient qu’ils soient et non comme il est en réalité : brutal, cynique, ne connaissant que les rapports de force.

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Certains candidats (c’est le cas de Valérie Pécresse par exemple, mais ne parlons pas de Christiane Taubira qui doit lire quelques poésies russes actuellement pour comprendre ce qui se passe…) n’ont peut-être réalisé (ou suffisamment anticipé) que le maitre du Kremlin s’inscrit dans une histoire russe totalement obsessionnelle,et s’est donné manifestement un seul objectif après 22 ans à la tête de son pays (officiellement ou officieusement) : réparer ce qui pour lui est la plus grande catastrophe géostratégique du XXè siècle : la disparition / dislocation de l’URSS… Tout ce qu’il fait semble dicté par ce « but à atteindre ». On peut aimer la civilisation russe, avoir appris le russe en très peu de temps (cf la « bio de campagne » de la candidate LR), avoir eu, dans son propre parti, un ancien candidat à la présidentielle, en 2017, percevant aujourd’hui des jetons de présence en tant qu’administrateur de sociétés russes) et être obligé de considérer, là encore, que le réalisme doit prévaloir : il n’y a aucune concession à faire à Poutine, en ce moment.

Certains prétendants à la fonction suprême ont-ils au contraire su trouver la bonne ligne avant même l'escalade de ces dernières heures ?

Jean Petaux : Emmanuel Macron doit être considéré différemment de ses challengers dans cet épisode. D’abord parce qu’il est, en tant que président de la République, directement en responsabilité.Comme chef de l’Etat d’un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU d’une part, et, d’autre part, parce qu’il assure non seulement la présidence européenne, théoriquement, pour encore quatre mois (s’il est réélu) mais aussi parce que la France, son pays, dirige, depuis le 21 décembre 2021, la « force de réaction rapide de l’OTAN » (la NRF : NATO Response Force). Il a tenté, à la manière de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la crise géorgienne face au même Poutine, dans les mêmes fonctions européennes que lui en 2008 (encore que le poste de « président du Conseil européen » n’était pas encore créé alors) d’intervenir dans le jeu diplomatique pour ramener le leader russe à la table des négociations. Il a manifestement échoué, ne serait-ce que parce qu’il faut être « deux pour danser le tango » et que le président de la Fédération de Russie n’en avait aucune envie, ne faisant que « balader » le président français et ses autres homologues occidentaux (sauf Joe Biden qui, pour sa part, n’avait pas non plus envie de négocier). Mais Emmanuel Macron ne peut être blâmé pour ces efforts diplomatiques, dès lors qu’il adoptera une ligne dure contre le maitre du Kremlin qui a choisi la voie des armes. De tous les candidats à la présidentielle en avril prochain, il est donc logique que le chef de l’Etat sortant soit celui qui s’en sorte le mieux. La fonction qu’il occupe lui offre un avantage comparatif, une capacité à discuter avec les acteurs de la crise, des moyens considérables, ceux de l’Etat, quand ses concurrents n’ont rien. Raison pour laquelle on peut considérer qu’au plan intérieur cette crise ukrainienne est plutôt favorable au « non-encore-candidat » Emmanuel Macron. Elle lui donne, de surcroît, un vrai argument pour temporiser encore dans l’annonce de sa candidature qui pourrait intervenir entre le 28 janvier et le 3 mars 2022, autrement dit la semaine prochaine.

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Dans quelle mesure la situation actuelle crée-t-elle un électrochoc auprès des candidats ? Observe-t-on chez les uns et chez les autres, une évolution dans le discours depuis jeudi matin ? Certains restent-ils plus sur leurs positions que d’autres ?

Jean Petaux : Toutes et tous sont obligés à faire « cause commune » et « profil bas » derrière le président de la République. La prise de position peut-être la plus « spectaculaire » depuis jeudi matin est sans doute celle de Yannick Jadot qui a proposé carrément des livraisons d’armes aux Ukrainiens (qui en ont bien besoin). On n’attendait peut-être pas une telle posture « belliciste » du candidat des « Verts ». Encore que celle-ci, justement, a le mérite du réalisme et de la responsabilité. Ce qui est manifeste, en ce début de crise internationale, c’est qu’une forme de consensus national, mais aussi des candidats, se dessine très rapidement sur la position de la France. Sans parler encore « d’Union sacrée » on voit bien, encore une fois, que les oppositions nationales sont « gênées aux entournures » pour critiquer le chef de l’Etat, dans une telle séquence, tant une critique trop appuyée pourrait être assimilée à une manœuvre d’affaiblissement de la position internationale de la France. Les différents adversaires d’Emmanuel Macron craignent sans doute trop que ce reproche éventuel entraine un désaveu massif des électeurs, attachés, en cas de crise internationale, à la sauvegarde de la souveraineté nationale, incarnée au plan international, par le chef de l’Etat. Même si sa politique intérieure, dans nombre de domaines, ne les satisfait pas.

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