Biais idéologique des juges du travail, chômage et performance économique des entreprises : après examen de 150 000 décisions, voilà le diagnostic<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme participe à un entretien d'embauche lors de la "Semaine de l'emploi" en région Rhône-Alpes.
Un homme participe à un entretien d'embauche lors de la "Semaine de l'emploi" en région Rhône-Alpes.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Effets nocifs

Des économistes démontrent dans une étude qu'il existe des différences entre les juges quant à l'octroi d'une indemnisation pour licenciement abusif. Cela peut avoir de lourdes conséquences en fonction de la taille des entreprises.

Stéphane  Carcillo

Stéphane Carcillo

Stéphane Carcillo est économiste et dirige la division Emploi et Revenus de l'OCDE.

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Atlantico : Votre étude (Biais des juges dans les tribunaux du travail et performance des entreprisesJudge Bias in Labor Courts and Firm Performance) montre qu'il existe des différences entre les juges quant à l'octroi d'une indemnisation pour licenciement abusif et que cela a des conséquences en fonction de la taille de l'entreprise. Quelle a été votre méthodologie? Quels sont vos résultats ?

Stéphane Carcillo : Nous avons analysé près de 150 000 décisions en cours d’Appel relatives à des licenciements. Ces décisions conduisent à des indemnités accordées par les juges s’ils estiment que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse. Après avoir anonymisé les informations relatives à la cour et aux juges, nous constatons que certains juges sont régulièrement plus sévères que la moyenne envers les entreprises, tandis que d’autres sont régulièrement moins sévères. Pour une entreprise, tomber sur le premier type de juge plutôt que le second relève du hasard. Nous comparons les performances des entreprises post-jugement dans l’un et l’autre cas, à l’aide de données économiques et sociales.

Nous constatons que les décisions des juges plus souvent en faveur des salariés réduisent l’emploi: en moyenne la croissance de l’emploi diminue de 3 points dans les trois années qui suivent le jugement. L’essentiel de l’effet est concentré dans les petites entreprises et les entreprises peu performantes : l’effet négatif sur l’emploi est deux fois plus important et elles ont également moins de chance de survivre au jugement. Au final, la sécurité de l’emploi des salariés en CDI se détériore dans ces entreprises.

Vous dîtes qu'il y a un parti pris des juges, c'est-à-dire? Ils jugent avec idéologie ?

Nous sommes tous imparfaits, et prenons beaucoup de nos décisions sur la base des partis pris. Les biais cognitifs sont partout et il n’est pas étonnant de les retrouver aussi au sein des décisions de justice.  Cela étant, les écarts entre juges ne sont pas gigantesques : une augmentation d’environ un tiers de la sévérité des juges envers les entreprises augmente l’indemnisation d'environ un mois de salaire, comparé à une moyenne de 4,4 mois dans notre échantillon. Il est possible cependant de réduire ces écarts, par exemple en fournissant aux juges des grilles indicatives basée sur les montants moyens alloués par l'ensemble de leurs collègues dans des cas similaires, tout en leur laissant une marge d'appréciation en fonction des caractéristiques de chaque cas. Une autre possibilité, introduite par les Ordonnances de 2017, est d'imposer un plafond et un plancher pour ces indemnités, mais avec le risque qu'ils ne soient contournés car il ne s'applique pas à tous les cas de figure. 

Vous dîtes que ce parti pris est nocif et tout particulièrement pour les petites entreprises. Pourquoi ?

Ces entreprises n’ont souvent ni les capacités ni l’assise financière suffisantes pour anticiper et provisionner ces dépenses supplémentaires. Aux indemnités à verser au salariés s’ajoutent les coûts de justice et de procédure, et pour certaines d'entre elles c’est le coût de grâce.

Comment les entreprises réagissent (ou s 'adaptent) face à cette réalité ? Ont-elles les moyens de se défendre? 

Les entreprises peuvent faire appel de ces décisions mais la procédure est longue et coûteuse. La réaction se situe surtout au niveau de la gestion des ressources humaines. Au sein des petites entreprises –  parmi celles qui survivent – la réaction prend le plus souvent la forme d’un coup de frein sur les embauches en CDI. En revanche, parmi les grandes entreprises, et notamment celles qui sont en bonne santé financière, la réaction consiste à garder les salariés en CDI plus longtemps en poste afin d’économiser sur les coûts de licenciement.  Ces grandes entreprises contractent aussi des polices d'assurance qui les couvrent contre le risque juridique associé aux licenciements.

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